Des «nettoyeurs du web» blacklistés par une entreprise luxembourgeoise?
Des modérateurs de contenus sur les réseaux sociaux auraient été interdits de postuler pour les mêmes fonctions auprès d'une autre société d'externalisation baptisée «Majorel», dont le siège est au Luxembourg.
Le métier de modérateur est particulièrement ingrat au regard des conditions de travail dénoncées ces dernières années ainsi que du manque de soutien psychologique. © PHOTO: Shutterstock
Méconnu, le rôle des «nettoyeurs du web» est pourtant crucial. Ces travailleurs de l'ombre sont chargés de modérer les réseaux sociaux et de visionner, à longueur de journée, des contenus gores, violents et choquants afin de faire de Facebook, Twitter ou encore Instagram un endroit plus sûr pour ses utilisateurs. Un métier particulièrement ingrat au regard des conditions de travail dénoncées par de nombreux modérateurs ces dernières années ainsi que du manque de soutien psychologique. «La première vidéo que j'ai vue, c'était une décapitation en direct», expliquait l'année passée Daniel Motaung.
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Originaire d'Afrique du Sud, ce dernier a travaillé pour Sama (retenez bien ce nom), un sous-traitant de Meta chargé de la modération de Facebook pour plusieurs pays d'Afrique. «Imaginez ce que ça peut faire à une personne normale, si ensuite vous regardez d'autres vidéos et images et contenus similaires, tous les jours», pestait-il, ajoutant souffrir d'un syndrome de stress post-traumatique.
Aujourd'hui, cette même polémique refait surface et vise directement une entreprise luxembourgeoise. Ainsi, en janvier dernier, 43 modérateurs de Facebook implantés au Kenya et travaillant pour Sama étaient licenciés. «Du jour au lendemain, ces modérateurs effectuant un travail essentiel pour l'Afrique de l'Est et du Sud ont perdu leur emploi», selon un communiqué publié ce lundi. Sama gérait la modération de Facebook depuis 2019.
Seulement voilà, nous l'avons relayé à plusieurs reprises dans nos colonnes, le secteur de la tech traverse une crise jamais connue jusqu'alors. Le groupe Meta, qui, outre Facebook, englobe également Instagram et WhatsApp, a entrepris de réduire ses effectifs de près de 25% en moins de six mois.
Une entreprise luxembourgeoise dans le viseur
Toujours est-il que les modérateurs kenyans, s'estimant lésés, ont annoncé porter plainte au Kenya contre Meta, notamment pour «licenciement illégal», selon un communiqué publié lundi. «43 modérateurs du centre de modération de Facebook à Nairobi portent plainte contre la société de réseaux sociaux et ses sous-traitants pour avoir licencié l'ensemble de la main-d'oeuvre», dénoncent-ils.
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Les travailleurs licenciés expliquent également avoir été mis sur une liste noire par une entreprise luxembourgeoise. En effet, ils affirment également qu'ils ont été interdits de postuler pour les mêmes fonctions auprès d'une autre société d'externalisation baptisée «Majorel». Cette entreprise est basée au Luxembourg, le long du boulevard de Kockelscheuer. Elle aurait, semble-t-il, récupéré le contrat de Sama concernant la modération de Facebook.
L'association Foxglove, qui milite pour un secteur de la tech plus juste, a assuré que plusieurs des modérateurs qui avaient perdu leur emploi chez Sama ont postulé à nouveau pour des postes vacants chez Majorel pour le même travail. Aucun d'entre eux n'a été retenu et Foxglove affirme que les recruteurs de l'entreprise luxembourgeoise ont reçu l'ordre de n'embaucher aucun des modérateurs qui venaient d'être licenciés par Sama. Pour quelle raison? L'organisation indique qu'il s'agirait d'un moyen de pénaliser les travailleurs qui s'organisent et s'expriment.
De rudes conditions de travail dénoncées
Selon plusieurs témoignages d'anciens employés, les conditions de travail des modérateurs de Majorel, qui possède des bureaux de modérateurs pour différentes entreprises, dont TikTok, autour du monde, seraient encore pires que chez Sama. Un employé de Majorel au Kenya, qui modère du contenu TikTok, a expliqué au média Wired que son travail consistait à supprimer des vidéos de suicide ou de cruauté animale. Le tout, pour l'équivalent de 281 dollars par mois, soit deux fois moins que chez Sama. Nous avons tenté de joindre Majorel par mail, sans réponse.
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L'affaire a toutefois rebondi ce mardi puisqu'un juge kenyan a temporairement bloqué le licenciement massif des employés concernés. Ce dernier a également interdit temporairement à Meta de sous-traiter les rôles des travailleurs qui modèrent le contenu de Facebook pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe, ce qui est loin de faire les affaires du groupe dirigé par Mark Zuckerberg, déjà empêtré dans de nombreux autres scandales.