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Débat public ce mercredi

Deux jours de télétravail: entre consensus et réticences

Le débat sur la pétition «2 jours de télétravail par semaine pour tous, y compris les frontaliers» s'est tenu ce mercredi matin. Si députés et ministres s'accordent sur une nécessité d'augmenter les seuils, le chemin semble encore long avant de véritables avancées sur la question.

Katia Litim (35 ans), une employée de banque au Grand-Duché résidant en Belgique, est l'auteure de la pétition. Cette dernière était accompagnée par Laurent Mertz,  ancien secrétaire général de l'Aleba et collègue de Katia chez Quintet.

Katia Litim (35 ans), une employée de banque au Grand-Duché résidant en Belgique, est l'auteure de la pétition. Cette dernière était accompagnée par Laurent Mertz, ancien secrétaire général de l'Aleba et collègue de Katia chez Quintet. © PHOTO: Gerry Huberty

Journaliste

Ça y est ! Après avoir recueilli des milliers de signatures, la pétition n°2384 réclamant «2 jours de télétravail pour tous, y compris les frontaliers» a fait l'objet d'un débat public ce mercredi matin devant la Chambre des députés.

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Des discussions très attendues, tant la demande est présente chez les salariés, mais aussi les employeurs, depuis la fin du télétravail «sans limite» institué durant la crise sanitaire. Rappelons que, pour l'heure, le télétravail reste limité à 34 jours par an pour les travailleurs frontaliers belges et français. Ce quota est même réduit à 19 jours pour les salariés allemands.

Le texte demandant davantage de travail à domicile, était défendu par son auteure, Katia Litim (35 ans), une employée de banque au Grand-Duché résidant en Belgique. Cette dernière était accompagnée par Laurent Mertz, ancien secrétaire général de l'Aleba (syndicat des banques du Luxembourg, NDLR) et collègue de Katia chez Quintet.

Le télétravail, un risque pour l'économie luxembourgeoise

A 10h30, après un bref rappel du contexte par Fernand Etgen (DP), président de la Chambre, Nancy Arendt, députée et présidente de la Commission des Pétitions, a insisté sur le fait que le télétravail fait l'objet d'un suivi et d'un encadrement depuis plusieurs années. «Cette pétition montre à quel point ce thème est important. Tout un chacun est d'accord de promouvoir le télétravail là où il est possible. On a bien vu son efficacité durant la pandémie afin d'améliorer la qualité de vie», a-t-elle lancé.

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Cette dernière n'a pas manqué de rappeler que si le télétravail compte son lot d'avantages, il engendre également plusieurs risques pour l'économie. On se rappelle qu'il y a quelques mois, le Conseil économique et social estimait le manque à gagner en raison du télétravail à hauteur de 350 millions d'euros par an pour le commerce et l'horesca luxembourgeois. «Mais également le risque de perte de contacts personnels avec ses collègues», a rappelé Nancy Arendt.

Katia Litim, de son côté, est d'abord revenue sur les bénéfices non négligeables que représente ce mode de travail hybride. «Un poste sur deux est « télétravaillable » au Luxembourg. Les entreprises elles-mêmes demandent plus de flexibilité. 83% des entreprises aimeraient offrir au moins deux jours par semaine à leurs employés. A l'heure actuelle, un employé résident peut théoriquement travailler de chez lui tous les jours si son employeur l'y autorise, au contraire des frontaliers. De ce fait, dans une même équipe où se côtoient résidents et frontaliers, de nombreuses disparités existent, ce qui crée des déséquilibres et des tensions».

«Le télétravail est devenu indispensable»

Dès lors, deux jours, c'est le compromis idéal, un«minimum» selon la pétitionnaire. «Afin de maintenir l'attractivité de la place luxembourgeoise», a assuré Katia. «Le télétravail est devenu indispensable et les employeurs en sont conscients. De nombreux salariés sont prêts à quitter leur emploi en raison d'un manque de flexibilité. Nous ne pouvons ignorer ces données.»

Sans compter également sur l'aspect environnemental. «Permettre deux jours de télétravail pour tout le monde, c'est 17 millions d'allers-retours par an en moins. Moins de déplacements, c'est logiquement moins d'émissions. J'en veux pour preuve qu'on estime que 50% de ces trajets transfrontaliers se font en voiture sur une distance de 20 km. Sur un an, c'est 35 kilotonnes de CO2 qui sont ainsi économisées, soit l'équivalent de 20.000 allers-retours Paris-New York.»

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Si, selon Katia, le télétravail n'est pas la solution unique pour résoudre les problèmes de mobilité au Luxembourg, il est en tout cas un élément essentiel de la question. «Aussi, mettre tous les salariés sur un même pied d'égalité favoriserait la cohésion sociale.»

Face aux risques de dérive, d'isolement et d'impact économique sur l'horeca, Katia a souhaité tempérer. «Il faut trouver un équilibre. Deux jours est un seuil réclamé dans plusieurs sondages. C'est aussi le seuil qu'a décidé de proposer la Suisse pour les frontaliers français.»

A l'heure actuelle, on n'attire plus des talents uniquement avec un salaire, il faut aussi leur offrir des conditions de travail attractives.
Laurent Mertz, pétitionnaire

Laurent Mertz s'est quant à lui montré plus incisif, évoquant une certaine urgence face à une possible fuite des talents et une perte d'attractivité du pays.«La pétition se veut équilibrée et ne doit pas s'immiscer dans la question politique transfrontalière. Le Luxembourg a tout intérêt d'être pionnier en la matière. Sinon, il risque de louper le train de la génération Z qui recherche plus que de l'argent. A l'heure actuelle, on n'attire plus des talents uniquement avec un salaire, il faut aussi leur offrir des conditions de travail attractives. Ma crainte est, qu'à terme, les entreprises quittent le Luxembourg pour des pays offrant de meilleures conditions pour les employés.»

Conserver la main-d'œuvre tout en assurant l'avenir

À court terme, la pétitionnaire a donc réclamé une nouvelle fois des accords fiscaux avec les pays voisins avec effet rétroactif, en attendant un accord européen. «Je demande aux personnes concernées de redoubler d'efforts diplomatiques. Nous devons accélérer les négociations. À l'heure où le droit au télétravail s'inscrit dans la loi dans certains pays, comme aux Pays-Bas, les entreprises luxembourgeoises doivent conserver leur main-d'œuvre qualifiée en assurant l'avenir. Je suis fière de travailler au Luxembourg, pays qui rayonne à l'international, mais le Grand-Duché se doit d'être pionnier en la matière.»

Je suis fière de travailler au Luxembourg, pays qui rayonne à l'international, mais le Grand-Duché se doit d'être pionnier en la matière
Katia, auteure de la pétition

Les députés ont eu l'occasion d'interroger Katia au terme de ses explications. Sven Clement (Pirate) s'est, par exemple, demandé ce qu'il serait possible de faire pour les personnes qui ne peuvent pas télétravailler, par exemple dans le secteur de la construction ou de la santé. Ce à quoi l'auteure de la pétition a estimé qu'il ne «devait pas y avoir de débat sur le sujet sachant que les personnes qui exercent ces professions non « télétravaillables » savent dans quoi elles s'engagent».

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Pour le député Dan Kersch (LSAP), «nous avons besoin des frontaliers mais d'un autre côté, nous n'avons pas la possibilité d'établir des conditions plus favorables pour les résidents des pays voisins sans des discussions avec d'autres pays. Si le code du travail doit être modifié, il devra être très solide juridiquement en raison des exceptions qui devront être faites.»

Marc Spautz (CSV) a aussi souhaité mettre en avant les enjeux qu'implique un tel changement, tant d'un point de vue de la sécurité sociale que du volet fiscal. «Il faut trouver un accord avec les trois pays, mais également discuter avec eux sur le thème de la double imposition et d'une manière globale, sur toute la fiscalité qui concerne les travailleurs frontaliers», a-t-il dit, tout en rappelant les risques de davantage de télétravail pour l'horeca luxembourgeois.

Un consensus général mais... des contraintes

D'une manière commune, d'un point de vue politique, tout le monde s'accorde à dire que davantage de télétravail est nécessaire. Le consensus est clair. Néanmoins, les différents ministres évoquent une certaine complexité dans ce dossier qui a déjà fait couler énormément d'encre.

L'idée serait d'avoir un accord commun dans la Grande Région
Claude Haagen, ministre de la Sécurité sociale

À commencer par le ministre du Travail Georges Engel (LSAP), qui a rappelé que «le droit du travail doit être équitable pour tout le monde».

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Claude Haagen (LSAP), ministre de la Sécurité sociale, assure que des contacts ont déjà été pris dans les pays voisins concernant le volet social pour une augmentation allant jusqu'à 41%. «On a eu un retour des Allemands et des Belges pour une ouverture des négociations. Nous attendons encore une réponse du côté français.» Le ministre a évoqué la complexité de ce dossier, expliquant que les conditions de négociations diffèrent en fonction des pays. «Par exemple, la Belgique nous a assuré, de manière informelle, qu'elle suivrait notre voie si aucun accord européen n'était trouvé. L'idée serait d'avoir un accord commun dans la Grande Région.»

Yuriko Backes campe sur ses positions

Un accord global au niveau de la Grande Région, c'est également ce que préconise la ministre des Finances, Yuriko Backes (DP). Celle-ci s'est dite «sensible» aux arguments soulevés par la pétitionnaire. «La compétitivité de notre pays nous tient à cœur. Concernant le volet fiscal, les règles sont fixées par des conventions et des accords bilatéraux. Le souci, c'est que nos trois pays voisins ont toute une série d'autres voisins pour qui les accords luxembourgeois risqueraient d'influencer les négociations avec leurs propres pays voisins, et ainsi de suite. Concernant les frontaliers allemands, j'en profite d'ailleurs pour rappeler qu’il n'y a pas de manque de bonne volonté de notre part, j'aborde le dossier à chaque fois que je m'y rends».

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Néanmoins, d'une manière plus globale, la ministre a campé sur les mêmes positions qu'en septembre dernier. En effet, elle a, à nouveau, répété que ces quotas annuels sont des seuils de tolérance qui «n'ont pas été prévus expressément pour effectuer du télétravail par un travailleur frontalier».

Elle explique en effet que ces seuils constituent une exception aux principes généraux d'imposition des revenus d'emploi d'un frontalier et prévoient donc une tolérance. «Afin de permettre à un frontalier d'exercer son emploi de manière ponctuelle dans son État de résidence ou dans un État tiers, notamment lors d'un détachement», a-t-elle rappelé. «Néanmoins, nous sommes conscients de l'importance du sujet et nous allons continuer à travailler là-dessus»

Au terme du débat, une seule chose était claire: nous sommes loin d'en avoir fini sur la question du télétravail au Luxembourg.

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