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Inscription des étrangers

Elections communales: «Informer pour résoudre un déficit démocratique»

Les non-Luxembourgeois ont jusqu'au 17 avril pour s'inscrire sur les listes électorales. Le CEFIS forme des multiplicateurs pour qu'ils sensibilisent leurs communautés et entourage sur leurs droits à participer à ce scrutin.

Frédéric Mertz rappelle l'enjeu du vote: «La commune est la seule institution décentralisée au Luxembourg.»

Frédéric Mertz rappelle l'enjeu du vote: «La commune est la seule institution décentralisée au Luxembourg.» © PHOTO: Guy Jallay

Journaliste

«On va faire un peu de civisme!», sourit Manuel avant d'entrer dans la salle. Ce Portugais de 55 ans a participé pour la première fois ce mercredi à une formation de multiplicateurs organisée par l'association Centre d'étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) à l'Université de Belval.

«Cette action permet de diffuser l'information auprès de la population et des citoyens qu'ils peuvent aller voter aux élections communales. On va former par exemple un jeune qui parlera aux autres jeunes ou un Portugais qui parlera auprès de sa communauté, afin de pouvoir toucher le plus grand nombre de personnes», explique Nenad Dubajic, chercheur du CEFIS.

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80.000 nouveaux électeurs

L'association compte près de 300 multiplicateurs qui auront pour mission de sensibiliser leur communauté et entourage à aller voter. La démarche du CEFIS est soutenue par le ministère de la Famille, de l'Intégration et à la Grande Région.

Le CEFIS, c'est quoi?

Le Centre d'étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) étudie la participation politique et mène des recommandations dans le domaine social et politique.

Contrairement au dernier scrutin, les non-Luxembourgeois résidant au Grand-Duché n'ont désormais plus besoin d'habiter depuis au moins cinq ans au Luxembourg pour participer aux élections communales.

Ils doivent cependant s'inscrire 55 jours avant le jour du vote (11 juin prochain), soit jusqu'au 17 avril à 17 heures au plus tard. Avec le changement de condition de vote, ce sont près de 80.000 nouveaux électeurs qui pourront glisser leur bulletin dans l'urne.

Résoudre un déficit démocratique

Près de 300 personnes ont été formées par le CEFIS pour devenir multiplicateur. Manuel dit suivre cette formation pour donner «un coup de pouce aux personnes qui ne savent pas comment voter».

«Beaucoup d'étrangers l'ignorent totalement. Lorsqu'on a fait le bilan des inscriptions des étrangers au 30 janvier, le taux d'inscription était de 12%, ça reste très faible. C'est important d'informer, parce que nous sommes face à un déficit démocratique », observe Nenad Dubajic. «Atteindre 20%, ça serait vraiment bien.»

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La participation des étrangers au vote est cruciale selon le chercheur, car les résultats du vote peuvent déboucher à terme sur un manque de légitimité. «En termes de représentation démocratique, c'est important que les résidents étrangers aillent voter. La Ville de Luxembourg compte 70% d'habitants d'origine étrangère!»

La bourgmestre de la capitale Lydie Polfer(DP) notait qu'en janvier dernier, seuls 7% des résidents étrangers s'étaient inscrits.

Manuel, le multiplicateur d'origine portugaise, explique également vouloir montrer à d'autres que «beaucoup de choses se passent dans la commune» où il réside. «Il est possible d'y suivre des cours de luxembourgeois. La commune de Sanem organise par exemple aussi des balades», cite Manuel.

La commune est au Luxembourg la seule institution décentralisée.
Frédéric Mertz, responsable adjoint du CEFIS

Au-delà de la présentation du système électoral luxembourgeois, le CEFIS a expliqué à ses multiplicateurs le fonctionnement et les compétences des communes.

«Contrairement à la France ou la Belgique par exemple, la commune est au Luxembourg la seule institution décentralisée», relève Frédéric Mertz, responsable adjoint du CEFIS. Cette «échelle de la proximité» se traduit notamment par la gestion des déchets, des écoles, des maisons relais, des offices sociaux et la construction de logements. La commune a également pour mission d'aménager son territoire.

Avec les renseignements reçus par le CEFIS, Farah, 23 ans, va tenter «de faire de son mieux pour convaincre ses connaissances d'aller voter».

«Je participe à cette formation, parce que je crois à l'importance de l'activité sociale et de l'engagement dans les élections», indique la jeune Tunisienne installée depuis près d'un an au Luxembourg. «Je souhaite au moins arriver à faire prendre conscience à d'autres personnes qu'elles ont la possibilité d'aller voter.»

Qui sont les multiplicateurs?

Devenir multiplicateur ne nécessite aucune condition. À ce stade, le CEFIS n'a pas encore analysé en détail les personnes qui se sont inscrites pour suivre ces cours. Mais trois profils différents se dégagent selon Frédéric Mertz, responsable adjoint de l'ASBL:

-des personnes qui viennent de commissions communales (dont celle à l’intégration) ou plus généralement de leur commune

-des personnes du monde associatif (culturel, communautaire, …)

-des citoyens engagés à titre personnel pour favoriser la démocratie

Comment convaincre les non-Luxembourgeois de s'inscrire?

«Nous n'arrivons pas avec des solutions «clés en main». C'est à chacun d'adapter son projet, son action de sensibilisation à son public. Avec son langage, ses réseaux sociaux spécifiques. On ne sensibilise pas les seniors comme on sensibilise les jeunes», répond Frédéric Mertz.

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Son collègue, Nenad Dubajic, considère qu'il est aussi important dans ces démarches de communication de s'adresser à des groupes cibles: «Si on lance une campagne nationale avec des flyers ou des affiches, ça n'a aucune portée. Mettre en revanche en place des actions ciblées par rapport aux jeunes, par rapport à la nationalité ou au genre, ça marchera parce qu'on s'adresse directement aux gens. Ils se sentent ainsi concernés.»

Les futurs multiplicateurs formés par le CEFIS.

Les futurs multiplicateurs formés par le CEFIS. © PHOTO: Guy Jallay

Cette méthode a d'ailleurs fait ses preuves par le passé selon lui. «En 2017, on avait ciblé la communauté capverdienne qui est présente depuis près de 40 ans au Luxembourg. Lors d'un bilan intermédiaire en 2016, leur taux d'inscription était de 10%.»

« Nous avons contacté l'ambassadeur du Cap-Vert au Luxembourg et formé des membres des associations capverdiennes dans le nord du pays. Nous avons réussi à faire passer le taux d'inscription de cette communauté à 22%. C'est un chiffre formidable par rapport aux élections communales précédentes.»

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Des actions avaient également été menées auprès des Français résidant au Luxembourg.«Ça a porté ses fruits. Les Français avaient systématiquement un taux d'inscription en dessous de la moyenne à ces élections. En 2017, leur taux d'inscription s'élevait à 24% (deux points de plus que la moyenne des inscriptions des étrangers)», met en avant le chercheur du CEFIS.

Pour cette année, il entend concentrer ses efforts sur les Portugais, qui restent la communauté étrangère la plus importante au Luxembourg. Mais aussi s'adresser aux nouveaux arrivants: «Une de nos priorités, c'est d'informer les personnes qui sont au Luxembourg depuis moins de sept ans et les jeunes parce que ce sont des populations plus politisées mais qui connaissent moins le système politique luxembourgeois.»

C'est comme dans l'amour, il faut donner pour recevoir.
Manuel, multiplicateur portugais

Le multiplicateur portugais, également engagé dans un parti politique, estime que les communes doivent faire des efforts pour mieux informer leurs habitants sur les événements organisés. Mais il est également nécessaire selon lui que les citoyens, dont les non-Luxembourgeois, s'engagent davantage.

Pour Manuel, la commune et les citoyens doivent chacun de leur côté faire des efforts.

Pour Manuel, la commune et les citoyens doivent chacun de leur côté faire des efforts. © PHOTO: Guy Jallay

Le multiplicateur portugais, également engagé dans un parti politique, estime que les communes doivent faire des efforts pour mieux informer leurs habitants sur les événements organisés. Mais il est également nécessaire selon lui que les citoyens, dont les non-Luxembourgeois, s'engagent davantage.

Pour Manuel, le vote des élections communales est un rendez-vous démocratique important, y compris pour les non-Luxembourgeois.

«50 % des citoyens au Luxembourg sont des étrangers. S'ils ne veulent pas se plaindre, il faut être actif. Nous devons aussi donner l'exemple aux autres pays qu'ici au Luxembourg ça fonctionne. C'est le cas, mais il faudrait que les étrangers participent plus à la vie et à la société civile luxembourgeoise. C'est comme dans l'amour, il faut donner pour recevoir.»

Aborder le vivre-ensemble dans sa globalité

Les changements des conditions de vote ne changeront pas grand-chose en 2023, pense Nenad Dubajic, chercheur du CEFIS. «Je pense que c'est encore trop tôt, il y a toujours un décalage psychologique. Si ça ne porte pas ses fruits pour ces élections, ce sera le cas pour celles de 2029.»

«L'essentiel est à mon avis de lancer le débat et de parler de politique. Pas seulement en termes de vote, mais aussi en termes de vie, de citoyenneté et de participation politique, sociale et culturelle dans le pays. C'est vraiment le thème de l'intégration et du vivre ensemble dans sa globalité. Il faut avoir cela à l'esprit.»

Le CEFIS sera également présent lors du Festival des Migrations à Luxexpo le dimanche 26 février pour y donner à nouveau une formation de multiplicateur. L'entrée est libre et les personnes intéressées n'ont pas besoin de s'inscrire.

«Inscrire d'office tous les étrangers»

Avec la fin de la condition de durée de résidence, «toutes les barrières administratives possibles ont été levées», salue le directeur de l'ASTI, Sergio Ferreira, présent lors de la formation de ce mercredi.

Ce dernier plaide pour que les étrangers puissent être intégrés d'office sur les listes électorales. Pour lui, le règlement européen prévoyant que le Luxembourg ne peut pas procéder ainsi pour les étrangers en raison du vote obligatoire au Grand-Duché se discute comme toute disposition juridique:

«Le règlement dit l'inverse: les pays où il n'y a pas d'inscription d'office et où il n'y a pas de vote obligatoire peuvent avoir une inscription d'office. C'est une négation et pas une affirmation. Ça peut se discuter et on peut toujours changer les lois et les règlements. Mais je pense que la discussion mérite du moins d'avoir lieu»

Tous les étrangers vivant au Luxembourg ont le droit de s'inscrire pour voter, excepté les bénéficiaires d'une protection temporaire.

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