Elina Pinto: "Les résidents étrangers ont un devoir de civisme"
En 2018, la Lettonie célèbre le centenaire de son indépendance à l'image des autres pays baltes, la Lituanie et l'Estonie mais aussi de la Finlande. Une révolution, deux guerres mondiales, des combats pour la liberté, plusieurs occupations, des déportations, des réfugiés et un grand exode, la Lettonie s'est construite ce dernier siècle sans omettre de rayonner en Europe et de s'intégrer.
Elina Pinto est présidente de l'association Luxembourg Lettonie et vice-présidente de l'association européenne des Lettons. © PHOTO: Gerry Huberty
Elina Pinto est lettone et vit au Luxembourg depuis 5 ans avec ses deux enfants et son mari, luxembourgeois. Traductrice à la Commission européenne, elle est également présidente de l'association Luxembourg Lettonie et vice-présidente de l'association européenne des Lettons. Elle nous explique ce que signifie pour elle de célébrer ce centenaire dans un pays comme le Luxembourg
Combien de Lettons vivent au Luxembourg?
Au dernier recensement (2011, ndlr), nous étions 933 personnes originaires des pays baltes qui vivaient au Luxembourg. On les retrouve surtout dans le quartier du Kirchberg.
Nous ne sommes pas nombreux mais très actifs! En ce qui concerne les Lettons, nous sommes à peu près 400 personnes à travailler au Luxembourg et 240 à vivre en ville. Ce n'est pas beaucoup si on compare avec le nombre de Lettons en Belgique où là, c'est plutôt 2.000 personnes.
Depuis combien de temps les Lettons sont-ils installés au Luxembourg?
La plupart des Lettons sont arrivés en 2004 quand le pays a rejoint l'Union européenne. La plupart travaillent pour la Commission européenne mais aussi pour des institutions financières et une petite minorité sont des créatifs. Nous sommes très attachés à la Lettonie mais aussi à l'Europe.
Vous êtes vice-présidente de l'Association européenne des Lettons. En quoi cela consiste-t-il?
Cela concerne tous les Lettons expatriés en Europe. Nous venons de réaliser une étude sur leur activité civique et culturelle en Europe et la communauté lettone du Benelux est la plus active.
Au Luxembourg, ce sont surtout les activités culturelles qui ont du succès, surtout celles concernant le chant. Nous nous réunissons toutes les semaines à Weimerskirch pour nos répétitions de chant choral et notre groupe folklorique existe depuis 10 ans. En ce moment, nous préparons le grand rassemblement qui se déroulera la première semaine de juillet et qui rassemble plus de 40.000 personnes. Cette grande fête du chant a lieu tous les cinq ans en Lettonie. Pour ceux qui n'iront pas là-bas, le même rassemblement en plus modeste se fera aux Pays-Bas avec les chanteurs lettons du Benelux.
Comment se fait-il que le chant et la danse aient autant de succès en Lettonie?
Chanter, c'est dans nos gènes mais aussi dans notre histoire. Nous avons été occupés par différents pays et le chant a toujours été un moyen pour nous d'affirmer notre identité, de nous exprimer et de renforcer les liens entre nous. Aujourd'hui, les Lettons sont résolument tournés vers l'Europe et veulent faire découvrir cette passion aux autres pays.
Dans nos activités, nous proposons également une approche concernant la finance et l'économie et nous essayons de créer des liens plus étroits avec des associations luxembourgeoises comme Design Friends ou 3C-L avec lesquelles nous sommes en relation depuis la présidence de l'Union européenne par la Lettonie en 2015.
Y a-t-il des passerelles entre les trois communautés des pays baltes au Luxembourg?
Nous nous rencontrons le plus souvent dans le cadre du festival CinEast. Nous sommes de bons voisins: on se sent proche mais en même temps nous avons des histoires différentes. La Lituanie est de tradition catholique et proche de la Pologne, l'Estonie partage beaucoup, y compris la langue, avec la Finlande. La Lettonie est au centre des trois pays baltes et comprend les uns et les autres.
Cependant, je pense qu'on pourrait endosser un rôle encore plus important et renforcer nos liens en nous inspirant de ce que le Benelux a réalisé. Notre identité balte nous est commune bien que nous soyons différents les uns des autres. C'est pourquoi voter ici au Luxembourg, nous semble si important.
Vous êtes également présidente de l'Association Luxembourg Lettonie. Comment avez-vous incité vos compatriotes à voter lors des dernières élections communales?
Nous avons organisé des soirées fondées sur le civisme dans le cadre des élections communales et cela a été un grand succès. Nous pensons que chaque citoyen a le droit mais aussi le devoir de participer à la vie civique et nous sommes tellement bien accueillis au Luxembourg qu'il paraît normal de vouloir être des citoyens responsables. Le niveau communal est celui où l'on peut apporter le plus par notre engagement.
C'était d'autant plus intéressant que ces élections sont tombées en même temps que les élections communales en Lettonie où le même phénomène se passe: très peu de résidents étrangers sont inscrits pour voter. Il me semble important de réveiller l'engagement de cette tranche de la population au niveau européen. Dans ce cadre, nous avons invité deux Lettones élues dans des conseils communaux en Irlande et en Angleterre pour qu'elles témoignent et racontent leur expérience.
Qu'en est-il ressorti?
Cela change tout au niveau du lien. Si l'un de nous est impliqué dans la vie communale, la communauté se sent plus concernée, est plus informée. L'intégration ne reste pas un concept froid mais relève de l'intimité. Si je sais que quelqu'un de ma communauté peut porter ma voix devant les instances communales, c'est ma vie dans le pays qui change.
Et votre campagne a-t-elle eu le résultat escompté?
Nous n'avons pas fait de statistiques mais beaucoup de personnes présentes à ces soirées se sont montrées intéressées. Ce qu'il faut savoir, c'est que beaucoup de Lettons sont frontaliers et vivent en France ou en Allemagne tout en travaillant au Luxembourg. Un tiers de notre communauté vit de l'autre côté de la frontière. Ce qui explique ce choix, c'est l'envie de vivre près de la nature et beaucoup de Lettons préfèrent habiter dans une maison individuelle à la campagne plutôt qu'en ville.
Qu'avez-vous pensé en 2015 lorsque les Luxembourgeois ont voté en masse contre le droit de vote aux étrangers pour les élections nationales?
Nous avons suivi ça de près et notre avis est nuancé. On a vraiment admiré l'ouverture d'esprit de la part du gouvernement en proposant cette option. Nous l'avons perçu comme une reconnaissance de l'apport économique des résidents étrangers au Luxembourg. Si je regarde ce qui se passe en Lettonie, nous avons beaucoup de personnes qui n'ont pas la nationalité lettone mais russe. Ces russophones ne souhaitent pas devenir lettons pour conserver une ouverture vers la Russie.
La question de la langue nationale est très importante dans notre pays à cause de l'occupation russe et nous comprenons très bien comment le Luxembourg veut s'assurer que seuls les Luxembourgeois puissent voter. Nous comprenons également très bien cette volonté de faire de la langue luxembourgeoise une condition sine qua non pour l'obtention de la nationalité.
Que signifie pour vous de célébrer le centenaire de votre pays au Luxembourg?
Pour moi, cela veut dire que 100 ans après la naissance de notre pays, nous faisons partie de l'Europe et que malgré notre histoire compliquée, notre identité est clairement dirigée vers l'ouest.
Je m'investis beaucoup au sein de l'association au Luxembourg pour maintenir la langue et la culture lettone dans notre héritage mais aussi pour que les Lettons vivent l'Europe tout en restant ce qu'ils sont.