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Franz Fayot: «J'ai baigné dans la culture française dès mon enfance»

Le député Franz Fayot a attendu que son papa renonce à la politique pour se présenter aux élections. Avocat et père de trois enfants, il nous a reçus à son étude à Luxembourg, au cœur du quartier de la Gare où il a grandi.

Franz Fayot est titulaire d’un séminaire dans le Master de droit bancaire à l'université du Luxembourg

Franz Fayot est titulaire d’un séminaire dans le Master de droit bancaire à l'université du Luxembourg © PHOTO: Caroline Martin

Christelle Brucker

Le français, langue pivot dans le travail au Luxembourg mais aussi langue en perte de vitesse parmi les Luxembourgeois. Avant les élections législatives d’octobre prochain, nous avons décidé d’interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière, à travers une série d’interviews que nous publierons régulièrement jusqu’à l’été. Après Françoise Hetto (CSV) et Gilles Baum (DP), c'est le socialiste Franz Fayot qui s'est prêté au jeu.

Membre du parti socialiste depuis 1994, Franz Fayot a attendu que son papa, Ben Fayot, figure emblématique de la politique luxembourgeoise renonce, pour se présenter aux élections législatives en 2013. L'héritage familial aidant, à 41 ans, il est directement élu député. Marié et père de trois enfants, cet avocat nous a reçus dans les bureaux cosy de son étude, avenue de la Gare à Luxembourg. Un quartier qu'il aime et qu'il connaît comme sa poche, puisqu'il y a grandi.

  • Quel rapport avez-vous avec la francophonie?

J'ai grandi dans une famille francophile, avec un papa professeur de français de formation, donc on a toujours été plus proches de la culture française que de la culture allemande, ce qui est un peu atypique pour une famille luxembourgeoise. A la maison, on écoutait Brassens, Brel, Moustaki, on lisait les journaux français, on regardait la télé française. Dès mon enfance, j'ai baigné dans un milieu très francophile.

Dans le quartier de la Gare, où on vivait, on parlait beaucoup le français avec les étrangers qui étaient installés là dès les années 1970. A l'école aussi, on parlait français avec les copains portugais, italiens, yougoslaves. C'est assez naturellement que je suis parti faire mes études de Droit à Paris en 1992. J'y ai passé 4 ans.

  • Quels souvenirs gardez-vous de cette parenthèse parisienne?

De très bons souvenirs! Avec le regret toutefois de ne pas avoir assez profité de la vie culturelle à l'époque... Quand on est étudiant, on n'est pas toujours conscient de la richesse de l'endroit où on se trouve.

  • Dans quelles circonstances utilisez-vous le français au quotidien?

Je vis dans le quartier de la Gare à Luxembourg donc j'utilise le français tous les jours, dans les commerces, etc. Dans le cadre de mon travail également, avec l'anglais. J'écris des articles en français... Bref, c'est une langue qui est omniprésente dans ma vie. J'ai gardé l'amour de la francophonie de mon enfance: j'écoute énormément la radio "fip" à la maison, côté musique, j'adore les grands classiques de la chanson française. Je lis les auteurs français: en ce moment, je suis en train de lire le prix Goncourt 2017, L'ordre du jour, et je vais m'intéresser aux livres d'Edouard Louis qui était de passage à Luxembourg récemment, et que j'ai malheureusement raté.

© PHOTO: Caroline Martin

  • Essayez-vous de transmettre à votre tour cette culture française à vos enfants?

Oui, même s'ils sont encore un peu jeunes pour s'intéresser vraiment à la littérature: mon fils aîné a 13 ans et les deux plus petits ont 9 et 8 ans. J'essaye de leur faire découvrir les aventures du Petit Nicolas par exemple, et ils adorent la série des Max et Lili. Mais malheureusement, comme c'est le cas pour beaucoup d'enfants du Luxembourg, ils sont un petit peu "traumatisés" par le français.

Je pense que c'est dû à la manière dont on l'enseigne, qui n'a pas beaucoup évolué depuis mon époque. C'est assez rébarbatif, ce qui fait qu'ils ne vont pas spontanément vers le français. C'est une langue très éloignée de notre langue maternelle qui est un dialecte germanique donc on doit vraiment partir "de zéro" pour apprendre toute la grammaire, l'orthographe, et ce n'est vraiment pas évident!

  • Quand on est député au Luxembourg, comment intègre-t-on les questions liées aux étrangers résidents dans son travail quotidien?

Les étrangers sont aujourd'hui presque majoritaires dans ce pays avec près de 50% de résidents non-luxembourgeois, presque 70% dans la capitale, donc il est clair que ces concitoyens ne peuvent pas être ignorés par la politique. Ce sont des gens qui vivent ici, qui votent pour certains, qui participent activement à la vie associative, dont les enfants sont à l'école avec des enfants luxembourgeois, donc l'intégration est une question primordiale.

La réflexion qu'il faut mener, c'est de trouver comment les amener à prendre davantage part à la vie politique du pays et comment éviter que des communautés parallèles ne se forment sans s'intéresser à ce qu'il se passe dans la société luxembourgeoise. Ça, on n'a pas encore trouvé. Malheureusement, il y a toujours du clientélisme: ce sont les Luxembourgeois qui votent et il y a une tendance naturelle à faire de la politique avant tout pour eux. Ce qui fait que souvent, la discussion passe à côté des problématiques des étrangers.

  • Le référendum de juin 2015 voulait y remédier en accordant le droit de vote aux élections nationales aux étrangers, avec le résultat qu'on connaît: un refus massif.

Je pense qu'il y a une grande tolérance des Luxembourgeois quant à la présence des étrangers dans le pays mais on voit bien que dès qu'on aborde la question d'une participation concrète à la vie politique du Luxembourg, il y a des réflexes conservateurs. Je crois que pour des raisons bassement électorales, beaucoup de politiques luxembourgeois ne se prononcent pas sur ces questions ou alors prennent carrément des positions d'exclusion ou de réflexe identitaire par rapport à la langue, etc. C'est un effet du résultat de ce référendum.

  • C'était une bonne idée ce référendum?

(soupir) Après coup, on est toujours plus intelligent... On a manifestement surestimé l'aptitude réformatrice du pays ou sa modernité par rapport à une réforme qui était assez radicale et qui n'a pas vraiment été faite en Europe sous cette forme. Je me souviens de ces débats dans lesquels la question de savoir si cela avait déjà été fait ailleurs revenait beaucoup.

On a mal jugé la situation, par manque de préparation peut-être, mais il y a aussi eu une instrumentalisation de ce référendum par l'opposition pour des raisons de politique nationale. Les gens étaient dans un refus de cette idée. Et vu l'envergure du résultat, c'est un débat qui va être difficile à mener pour les 10 ou 20 prochaines années. Le sujet est mort à moyen terme. On ne va plus tellement oser en parler. Ce serait surprenant de voir un parti mettre cette question dans son programme électoral. Le déficit démocratique reste et il va probablement s'aggraver.

  • Comment avez-vous vécu ce résultat personnellement?

Déçu bien sûr. J'ai été triste, et aussi surpris par l'ampleur du refus, je pensais que cela serait plus serré. Par la suite, j'ai été irrité par la récupération qui a été faite des résultats: je n'ai jamais pensé que les 20% qui avaient voté en faveur du droit de vote pour les étrangers représentaient l'élite du pays et que les 80% restants étaient des "ploucs" conservateurs. C'est plus compliqué que ça! Cela montre juste qu'à ce moment-là, il y avait une forte atmosphère de défiance envers la coalition.

© PHOTO: Caroline Martin

  • Comment construire une cohésion sociale dans ce contexte?

C'est la grande question, surtout pour un socialiste. Ce n'est pas simple parce que nos sympathisants sont souvent des étrangers, qui galèrent et qui sont les plus faibles dans notre société, et électoralement, ça ne joue pas. Donc il faut faire une politique où on essaye d'inclure tout le monde pour les classes moyennes, de plus en plus vulnérables, et une politique pour les gens qui se trouvent déjà plongés dans la pauvreté. C'est ça l'enjeu pour un parti de gauche populaire comme le nôtre.

  • Le travail frontalier, c'est quoi pour vous? Dans quelle mesure l'intégrez-vous dans vos réflexions de député?

D'abord, c'est une richesse, car il est indispensable pour faire fonctionner notre économie. Ensuite, c'est un challenge, surtout en ce qui concerne la mobilité. C'est l'échec des transports publics, les frontaliers ne sont pas en cause. Il y a une prise de conscience désormais du fait qu'il faut mettre le paquet sur les investissements en terme de transports en commun: au Luxembourg, je crois qu'on a le pire modal split du monde. On doit inciter les gens à modifier leurs comportements, notamment en mixant les différents modes de transport. Il y a aussi des réflexions à mener sur le télétravail.

  • Avec la culture, la protection des données ou les finances publiques, l'université du Luxembourg est l'un de vos thèmes de travail. Vous plaidez notamment pour davantage d'autonomie.

La vraie question, c'est quelle université voulons-nous? De quelle université avons-nous besoin? Aujourd'hui, elle compte 2.000 étudiants, 350 enseignants-chercheurs. L'université est un formidable instrument pour faire avancer le pays, pour créer de la matière grise, pour l'innovation, la recherche, mais à condition de lui reconnaître une certaine liberté académique.

Cela fait 14 ans que l'université du Luxembourg existe. On a cette loi de 2003 qui part d'une réflexion assez autoritaire de la gouvernance, avec un recteur et un conseil de gouvernance fort, et un conseil universitaire qui n'a aucun pouvoir, alors que dans une université "normale", il constitue le contrepoids démocratique et rassemble le corps académique.

© PHOTO: Caroline Martin

On a vu l'échec de ce modèle de gouvernance avec la crise du budget début 2017 à l'université et on essaye maintenant d'orienter le projet de loi vers plus de pouvoir au corps académique mais aussi aux étudiants, aux représentants du personnel, pour aller vers une autonomie organisationnelle qui soit coupée de la tutelle du gouvernement.

  • Où en est le projet de loi?

Il a été déposé et il est actuellement discuté en commission. Quelques réunions sont encore prévues en janvier. Le vote devrait avoir lieu au printemps ou au début de l'été. Le LSAP a fait pression, avec d'autres partis, pour la nomination de représentants du conseil universitaire au conseil de gouvernance: il y aura maintenant 4 représentants internes à l'université qui y siégeront. Il est temps de lui donner des ailes à cette université.

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