Gilles Baum: «L'économie du pays ne tournerait pas sans les frontaliers»
Le français, langue pivot dans le travail au Luxembourg mais aussi langue en perte de vitesse parmi les Luxembourgeois. Avant les élections législatives d’octobre prochain, nous avons décidé d’interroger les députés sur leur rapport à la langue de Molière, à travers une série d’interviews que nous publierons régulièrement jusqu’à l’été.
Interview Gilles Baum, député DP - Photo : Pierre Matgé © PHOTO: Pierre Matgé
Après la députée CSV, Françoise Hetto, c'est Gilles Baum qui s'est prêté au jeu de cette interview. Très francophile, il a détaillé longuement sa vision de l'apprentissage de la langue au Luxembourg, notamment à travers le projet des crèches bilingues mais aussi la place des étrangers dans le pays.
Monsieur Baum, cela fait une vingtaine d'années que vous êtes en politique: comment êtes-vous entré dans ce milieu?
C'est une grande histoire d'amour en fait. A l'époque, j'étais un jeune étudiant amoureux. Le père de ma petite amie de l'époque était échevin dans une ville du Luxembourg et il m'a emmené plusieurs fois avec lui pour voir l'envers du décor. Ca m'a plu et je me suis ensuite engagé avec les jeunes démocrates, pour ne plus jamais les quitter. J'étais déjà avec Xavier Bettel à l'époque. Cela fait maintenant plus de 20 ans effectivement.
Quel est votre rapport à la francophonie?
J'ai un très bon rapport à la francophonie puisque ma mère est française. Je parlais français avant d'apprendre le luxembourgeois. J'ai donc passé beaucoup de temps en France, notamment chez mes grands-parents du côté de Soissons, dans l'Aisne, mais aussi sur la côte d'Azur où nous avons une maison familiale depuis quatre générations. J'adore aller là-bas pour changer de mode de vie: j'aime beaucoup le Sud de la France. La France fait indéniablement partie de ma vie, de mon enfance. J'y ai passé toutes mes vacances, j'ai encore de la famille là-bas, des amis...
J'aime aussi beaucoup les Belges. Les Luxembourgeois se rendent régulièrement sur les plages belges et on apprécie beaucoup leurs blagues. Je suis surtout un fervent supporter de l'équipe nationale de football, les Diables Rouges! J'ai déjà prévu de me rendre à Arlon cette année pour le match Belgique/Angleterre. Il y a une très bonne ambiance là-bas dans ces moments-là.
Gilles Baum en 2015 aux côtés de Xavier Bettel et Eugène Berger. «J'ai commencé au sein des jeunes démocratiques il y a plus de 20 ans avec Xavier Bettel» © PHOTO: Tania Bettega
Vous vous êtes beaucoup investi dans le projet des crèches bilingues: pourquoi?
Parce que je pense que plus on est jeunes, plus on apprend vite. Je le vois avec ma propre fille de 4 ans, qui parle allemand mais chante aussi des comptines en français. C'est tout à fait possible de leur apprendre plusieurs langues dès le plus jeune âge. Le tout c'est de ne pas forcer l'apprentissage. On utilise des chants, des jeux... et pas des fiches vocabulaires à apprendre par cœur! Il faut que cela devienne instinctif.
Les élèves luxembourgeois ont toujours une certaine réticence avec le français. Mais si on propose des choses ludiques, ça peut marcher. Il faut arrêter avec les barrières, la peur et les préjugés. Ce sont d'ailleurs souvent les adultes qui ont ces préjugés-là: les enfants eux, n'en ont pas.
Je pense aussi qu'il ne faut pas faire de généralités. Oui certains enfants étrangers ou luxembourgeois ont des difficultés mais ce n'est pas le cas de tout le monde. C'est important de développer l'apprentissage d'une langue étrangère.
Des réfugiés ont très bien réussi à s'intégrer et à apprendre la langue en arrivant au Luxembourg. Tout est une question de volonté et de talent. C'est le temps que l'on investit qui compte. La langue n'est pas un handicap en soi.
Quelle place accordez-vous dans votre réflexion de députés, aux résidents étrangers?
Je fais de la politique pour l'ensemble de mon pays, pas seulement les Luxembourgeois, mais aussi celles et ceux qui viennent chez nous. Je sers mon pays. Et c'est vrai, la proportion d'étrangers ne cesse d'augmenter, on sera bientôt à 50/50 (47% de la population du Grand-Duché était de nationalité étrangère au 1er janvier 2016 ndlr) et je pense que le vivre-ensemble fonctionne extrêmement bien avec nos amis étrangers au sein du pays.
Il est vrai que beaucoup de personnes viennent principalement pour travailler mais beaucoup d'étrangers se sont aussi bien intégrés depuis de nombreuses années au Luxembourg, et je pense que nous faisons énormément d'efforts pour les intégrer à notre pays.
Certaines fautes ont été commises pendant la campagne des communales en revanche. Nous savions que l'engouement politique était moindre, autant du côté des étrangers que des Luxembourgeois eux-mêmes, mais prendre les gens par la main pour les inciter à voter n'était pas une bonne idée. Je pense qu'il ne faut pas forcer la main: chacun doit faire son libre choix.
Qu'avez-vous pensé du résultat du référendum de 2015?
Cela m'a profondément choqué. Le Luxembourg a montré qu'il faisait encore moins confiance à ces jeunes qu'aux étrangers (plus de 80% de la population a voté contre le droit de vote à partir de 16 ans, ndlr). Mais à nouveau, nous avons commis des fautes durant cette campagne. Nous nous sommes beaucoup trop impliqués et surtout, trop tardivement.
Quand le Luxembourg comptera près d’1 million d’habitants vers 2060, il comptera aussi environ 350.000 travailleurs frontaliers, selon les projections du Statec et de la Fondation Idea. Est-ce pour vous plutôt une richesse ou un défi pour le pays?
C'est clairement une richesse. L'économie du pays ne tourne pas sans eux, c'est une certitude. Le défi va être d'assurer une croissance durable et écologiquement favorable pour la suite. Il faut améliorer la mobilité. On le voit déjà avec le tram, les autoroutes, les parkings près des gares etc. Il faudra du temps mais c'est important d'envisager la mobilité pour faire venir tous ces gens et aussi ceux à l'intérieur du pays, bien évidemment.
«Devenir député apporte de grands changements au début, surtout après avoir passé 19 ans à être enseignant» © PHOTO: Pierre Matgé
Je suis un fervent admirateur du tram d'ailleurs. J'aimerais qu'il soit étendu vers Strassen et Bertrange et pourquoi pas plus tard vers l'est et Junglister.
Quel bilan faites-vous de ces quatre dernières années en tant que député?
Je n'ai aucun regret. C'était plaisant de voir un rafraîchissement, d'autres visages à l'oeuvre. Beaucoup de projets ont avancé! La situation financière est bonne, beaucoup de pays envient notre travail. Mais il reste des choses à faire: pour l'école, la mobilité, le logement, la protection de l'environnement. Je veux d'ailleurs continuer à suivre de près des dossiers concernant ces aspects-là. On n'a jamais vraiment "fini" notre travail.
Vous vous représentez donc pour les élections législatives de 2018?
Oui je me représente en 2018 avec mon équipe du DP dans ma circonscription. Je pense que l'on peut atteindre des résultats similaires à 2013, voir même un peu mieux! C'est un beau match en perspective.
Devenir député apporte de grands changements au début, surtout après avoir passé 19 ans à être enseignant. On est habitués à avoir des horaires fixes et lorsque l'on devient député, il faut devenir très flexible. On ne sait pas à quelle heure on va rentrer le soir, ni quand auront lieu précisément nos réunions... ça demande une organisation, notamment avec ma famille, ce n'est pas toujours facile.
Mais c'était une expérience valorisante, j'ai beaucoup aimé voir l'envers du décor, les coulisses, comment cela se passe en interne. C'était important pour moi de m'engager concrètement dans des dossiers. On rencontre beaucoup de monde aussi, on tisse des liens. C'est un atout pour les gens que l'on représente.