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Homophobie

«Ah bon? Elle aime les femmes!»

Tilly Metz (Déi Gréng) a 38 ans quand, en 2005, elle tombe amoureuse de Barbara et découvre son homosexualité. Depuis cette révélation, aussi perturbante qu'inattendue, elle milite plus que jamais en faveur des droits de la communauté LGBTIQ+.

Tilly Metz, une députée haute en couleurs.

Tilly Metz, une députée haute en couleurs. © PHOTO: Laurent Blum

Journaliste

Le 17 mai 1990, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a retiré l'homosexualité de la liste des maladies mentales…

Tilly Metz: « Ça paraît si récent que c'en est d'ailleurs choquant... Je pensais que ça remontait aux années 70-80. Cela étant, au Luxembourg, les femmes n'ont eu le droit d'ouvrir un compte bancaire sans l'autorisation de leur mari en 1973. Alors...

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Que représente pour vous cette journée du 17 mai consacrée à travers le monde à la lutte contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie?

«C'est un combat et il faut rester vigilant car il suffit de voir ce qui se passe en Pologne où, depuis 2019, sont apparus des villes ou des quartiers avec la mention ''LGBT-ideology free zones'' (Ndlr : lieu sans idéologie LGBTIQ+). La Hongrie, de son côté, pratique une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et les livres faisant référence à des modèles de famille non traditionnelle sont interdits. Et nous sommes en Europe… Bon, au Luxembourg, une ville comme Esch-sur-Alzette est une ''LGBTIQ+ Freedom zone'' (Ndlr : zone de liberté LGBTIQ+), mais il y a eu cette histoire de livre d’enfant intitulé ''Un kangourou comme toi'' qui aborde de manière simple et sans tabou l'histoire de l'homosexualité contre lequel l'ADR s'était insurgé au point de déposer une question parlementaire...

Je dois dire avoir eu du mal au début à parler librement de ma relation avec Barbara

Pourquoi avoir accepté de témoigner ?

«Pour briser les tabous au sein des familles. J'en connais où l'on disait ''moi, je n'aurais aucun problème si mon enfant était homosexuel'', mais lorsque le fils ou la fille vient leur dire ''écoute, j'aime les personnes du même sexe'', soudainement, ça devient un problème. C'est donc difficile pour les jeunes de faire leur coming out.

Pour la femme de combat que vous êtes, quelle place occupe la lutte contre l’homophobie dans votre vie de tous les jours?

«Alors que j'assume toujours ce que je vis, les amours que je vis, je dois dire avoir eu du mal au début à parler librement de ma relation avec Barbara (Ndlr : Agostino)… Les personnes hétérosexuelles parlent facilement de leur vie de famille. ''Oh, mon mari ceci, ma femme cela…'' J'ai un collègue homosexuel qui, la dernière fois, alors que son téléphone sonnait, me disait ''bon, là faut que je réponde, c’est mon époux''. Je trouve ça formidable. Aujourd'hui, je n'ai plus ce problème. Et puis, comme dirait ma mère, on n'a rien volé à personne.

Comment votre homosexualité s'est-elle révélée à vous?

«On ne me met pas facilement dans un moule. Quand je suis tombée amoureuse de Barbara, je suis tombée amoureuse de la personne. Si ça avait été un homme avec les mêmes caractéristiques, je serais tombée amoureuse d'un homme. On a tous en nous ce côté masculin et féminin… Jamais je n'aurais imaginé avoir une relation avec une femme. Jusque-là, je n'avais connu que des hommes. Et puis, en 2005, Barbara est arrivée.

J'étais devenue folle, je devais ''aller voir quelqu'un'', j'allais droit dans le mur…

Vous viviez encore avec votre ex-époux?

«Oui, avec Henri, un homme très bien, très attentionné… Alors, sur le moment, je me demandais ce qui m'arrivait. Je pouvais trouver une femme jolie, comme Ulrike Folkerts, lesbienne aussi d'ailleurs, sans m'imaginer une seconde être homosexuelle… Mais Barbara, c'était un coup de foudre! Au fond, choisit-on vraiment celui ou celle qu'on aime? Comme je ne sais pas mentir, je l'ai assez rapidement dit à mon mari. Il a compris mais pensait que ça passerait... Mais ce n'est pas passé. Un an et demi après, je suis allée habiter avec Barbara. En 2017, après dix ans de vie commune, on s'est mariées.

Cette décision de quitter votre mari a-t-elle été difficile à prendre?

«Très difficile. Tout le monde me disait: tu as un homme génial, fidèle, gentil, tu as une belle maison, sans souci... Il m'avait acceptée avec ma fille issue d'une précédente union. Il lui a appris à rouler à vélo et l'a toujours considérée comme sa propre fille. Je culpabilisais énormément. Comment pouvais-je quitter un homme comme ça? Pour certains, j'étais devenue folle, je devais ''aller voir quelqu'un'', j'allais droit dans le mur…

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L'annonce de votre homosexualité a-t-elle eu des répercussions sur votre carrière politique?

«En 2007, quand j'ai emménagé avec Barbara, honnêtement, j’avais un peu peur. J’étais bourgmestre d’une commune rurale (Weiler-la-Tour) et je ne savais pas quelles allaient être les réactions de mes administrés. Mais, au fond, je crois que ce que les gens ont en horreur, c'est qu'on leur mente. Et, dans l'ensemble, la plupart des réactions ont été très agréables. Bon, il y a bien eu des coups de fil à la commune du genre: «Vous savez que votre bourgmestre est une lesbienne qui sort avec une de ses élèves!» C'est vrai, je donnais des cours de psychologie de l'enfance et Barbara était une de mes élèves. Mais quand notre relation a débuté, elle était déjà diplômée. Et puis, on a aussi quinze ans d’écart, forcément ça fait jaser...

Pouvez-vous nous parler de votre rencontre avec Barbara?

«Bien sûr! J'ai revu Barbara pour la première fois après ses études lors d'un match de gala de football entre l’équipe nationale féminine, dont Barbara était la capitaine, et l'équipe messieurs de Weiler-la-Tour.

Quand certains politiciens d'extrême droite (...) prennent la parole, je m'épargne leur discours et enlève les écouteurs

C'était donc à cette occasion que vous vous êtes revues…

«Oui et non. Parfois, d'anciens élèves me contactent pour avoir besoin d'un conseil ou parce qu'ils rencontrent l'une ou l'autre difficulté passagère. Barbara m'écrivait de temps en temps, me faisait part de l'un ou l'autre tracas. Je n'avais pas tout remarqué qu'elle était lesbienne. Et un jour, dans un mail, elle me dit avoir rompu avec son «amie». En voyant le ''e'', je me suis dit: ''Ah bon? Elle aime les femmes!'' Quand j'y repense, j'en ris encore. Mais Barbara m'a toujours fait beaucoup rire.

Avez-vous l'impression que les regards ont changé sur l'homosexualité?

«Un jour, au quartier de la gare, Barbara et moi, on s'est fait insulter une fois de ''sales lesbiennes''. Sinon, je ne peux pas dire que l'on a subi des agressions. Bon, si je poste quelque chose (sur les réseaux sociaux) pour ce 17 mai, des gens diront ''mais vous n'avez pas d'autres soucis?'' J'ai trouvé aussi dégueulasse le reproche fait à Xavier Bettel lorsqu'il a introduit le mariage pour tous. On a dit qu'il l'avait fait parce qu'il était lui-même homosexuel, mais pas du tout, c'était prévu dans l'accord de coalition. Même au parti conservateur, c'était devenu un sujet... Xavier Bettel n'a fait que le concrétiser. Vraiment, les gens se sont montrés injustes et méchants.

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La politique a pour réputation d'être assez machiste. Avez-vous noté une différence dans vos rapports avec vos collègues?

«J'étais bourgmestre de 2005 à 2011 et porte-parole de 2004 à 2009. Bon, chez les Verts, je n'ai eu aucun souci. Quelques-uns avaient un problème parce que c'était une ancienne élève. Barbara, de son côté, alors qu'elle était institutrice dans une école catholique privée, a vu un père de famille lui dire qu'il ne voulait pas que son enfant ait une maîtresse homosexuelle. Sa hiérarchie l'a soutenue. Un jour, j'ai demandé à un patron de banque ce qu'il ferait si un gros client venait à lui dire qu'il ne voulait pas que tel ou tel employé s’occupe de ses affaires car il était homosexuel. Il m'a répondu : ''joker''. Sinon, pour en revenir à la question, je dirai simplement que la personne la plus machiste avec laquelle j'ai vécue, c'est Barbara! Mais bon, elle est d'origine italienne (rires)...

Ne trouvez-vous pas désolant que l'on soit là à vous interroger encore sur ce sujet?

«Oui… Euh non (rires). C'est un sujet très important. Plus encore en période de crises où les droits des minorités ne sont jamais garantis. On en parle souvent au Parlement (Ndlr : elle est eurodéputée au sein du groupe des Verts/Alliance libre européenne). Je suis membre de l'Intergroupe LGBT, mais je ne suis pas aussi investie que Marc Angel (Ndlr : Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates) dont c'est le cheval de bataille.

Justement, en tant qu'eurodéputée, quels sont vos rapports avec vos homologues polonais et hongrois?

«Au Parlement, nous sommes 705 eurodéputés, pas sûre que tout le monde soit au courant de ma vie privée. Cela étant, quand certains politiciens d'extrême droite - pour qui le droit des femmes, est une idéologie de gauche - prennent la parole, je m'épargne leur discours et enlève les écouteurs. Avec certaines personnes, je sais qu'on ne sera jamais d'accord… Début mai, on avait un débat sur la situation des femmes en Ukraine. Là, un député d'extrême droite a dit que ''c'est ridicule de parler des femmes, les véritables héros, ce sont les hommes, ce sont eux qui se battent…'' Bon, là c'était tellement bête que j'ai répondu pour rappeler que beaucoup de femmes qui ont quitté l'Ukraine sont en situation très difficile, ont parfois subi des violences sexuelles, ne sont pas à l'abri de certains prédateurs...

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Les pays réfractaires sont-ils ceux où la place de la religion et de l'Eglise est plus présente?

«Par rapport à l'avortement, c'est très clair. Barbara a aussi longtemps espéré que l'on puisse se marier à l’église… Quand je repense aux manifestations, en France contre le mariage homosexuel, et ces gens dire que c'était nocif qu'un enfant soit élevé par deux parents du même sexe. Mais c'est oublier que dans un couple hétérosexuel, le parent le plus maternel, c'est parfois le père… Ce dont un enfant a besoin, c'est surtout d'amour. D'ailleurs, des études ont démontré qu'un enfant élevé par un couple homosexuel n'a pas plus de difficulté qu'un autre. Après, je suis d’avis que celui-ci doit être en mesure de savoir qui est son père biologique.

Au Luxembourg, il n'existe pas de loi contre la thérapie de conversion?

«Peut-être que sous prétexte que cela ne se pratique pas au Luxembourg, il n'est pas nécessaire de légiférer sur la question... Mais, il n'y a pas si longtemps encore, lorsqu'un individu annonçait son homosexualité à ses parents, leur réflexe était de l'emmener chez le psychiatre.»

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