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L'adieu aux armes du général Duschène

Le chef d'état-major s'apprête à quitter l'armée luxembourgeoise après lui avoir consacré 42 ans. L'officier laisse un millier d'hommes. Un effectif qui va être renforcé bien vite, autant que les capacités opérationnelles.

«Quand un lieutenant est venu me trouver pour me proposer de suivre une formation d'officier, je me suis juste dit : "Oh, encore beaucoup de livres à ouvrir..." Mais j'ai bien fait de suivre son conseil!»

«Quand un lieutenant est venu me trouver pour me proposer de suivre une formation d'officier, je me suis juste dit : "Oh, encore beaucoup de livres à ouvrir..." Mais j'ai bien fait de suivre son conseil!» © PHOTO: Anouk Antony

Patrick Jacquemot

Les politiques passent, les militaires restent. Au total, dans sa carrière sous l'uniforme, Alain Duschène aura ainsi vu défiler une dizaine de ministres de la Défense. Maintenant, c'est à son tour de quitter ses fonctions, remisant l'uniforme kaki pour une tenue ordinaire. Le départ est fixé pour le 29 septembre pour un général entré à l'armée, en 1978, sur les conseils de ses parents...

L'armée luxembourgeoise a été appelée sur le front du covid-19 ces derniers temps. Comment jugez-vous son action?

Général Alain Duschène : «Cela a été doublement positif. Déjà pour notre image auprès de la population: nous avons su montrer que nous pouvions être réactifs, apporter une réelle compétence en termes de logistique (montage des centres de soins avancés, distribution de millions de masques aux artisans et frontaliers, aide à l'optimisation des flux avec CargoLux, participation à la cellule de crise...). Mais cela constitue aussi un temps fort en interne, valorisant pour chacun des militaires du pays qui trouve là un exemple concret de servir. Des recrues en instruction jusqu'aux officiers, chacun s'est senti utile.

Quelle armée laissez-vous à votre successeur?

«Un groupe fort et composé d'un millier de soldats, tout d'abord. Mais surtout une armée en pleine croissance qui a reçu l'autorisation du conseil de gouvernement de se renforcer. Au total, 45 nouveaux officiers, sous-officiers ou personnels civils devraient nous rejoindre chaque année jusqu’en 2024. Avec un recrutement axé notamment vers des personnels spécialisés (informatique, télécommunication, etc).

Le plus grand défi sera de trouver ces personnels. Ce n'est pas évident au Luxembourg de recruter. Déjà parce que CGDIS, police, douanes, armée, nous pêchons tous dans le même bassin. Et il n'y a pas forcément toutes les ressources nécessaires dedans. Celui qui gagne, c'est celui qui a le plus bel hameçon, alors l'armée doit donner la meilleure image de ses actions. Pour les soldats volontaires, nous sommes déjà ouverts aux candidatures de l'étranger (et les non-résidents représentent 15% des effectifs) mais pour l'instant, il faut toujours être Luxembourgeois pour les carrières. Mais une ouverture aux extérieurs, comme dans la police, est en discussion.

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Sans compter qu'après l'incorporation et l'instruction, il faut assurer la fidélisation de ces hommes et femmes dans nos rangs. Là encore cela n'a rien de simple.

D'autant que les missions militaires ne sont pas légion...

«C'est effectivement le cas, mais le travail d'une armée, consiste avant tout à s'entraîner, à avoir des réflexes, à se tenir à disposition et -parfois- à intervenir. Pendant 17 ans, nos militaires savaient, par exemple, qu'ils pouvaient être amenés à partir pour le Kosovo. Savoir qu'une action vous attend vous pousse à vous affûter. Depuis quelques années, ce terrain d'intervention a été abandonné, et l'OTAN nous a pourtant toujours demandé d'avoir deux compagnies prêtes à intervenir et qui se trouvent ''au garage''. Ne pas partir ce n'est pas un accomplissement professionnel, et je comprends que certains personnels perdent leur motivation.

Terrains d'action

Si la mission d’entraînement au Mali attendra, les soldats luxembourgeois sont déjà en activité en Afghanistan et en Lituanie. Dans les deux cas, les militaires grand-ducaux sont intégrés à des opérations internationales.

Désormais, les soldats luxembourgeois sont appelés pour agir au Mali dans le cadre de la mission d’entraînement de l’UE. Il y aura donc de nouveau des contingents en mission de manière rotative, tous les quatre mois. Le covid-19 est venu stopper net l'engagement international là-bas, donc nos troupes sont à nouveau dans l'attente.

Mais à l'automne, l'armée pourrait envoyer des hommes là-bas. Aussi bien pour la mise en fonction de communication satellitaire que pour des opérations d'assistance aux troupes nationales maliennes, de conseil au quartier général mais aussi de surveillance par drones des camps ou des détachements en instruction sur le terrain. Si une vingtaine de nos militaires participent aux rotations, ça redonnera de l'élan aux troupes.

Ces dernières années ont aussi été marquées par un renforcement impressionnant en matériels, notamment dans le domaine aérien.

«Oui, nous espérons recevoir l'Airbus A400M pour septembre. Cet appareil fera partie de la flotte de huit avions de la flotte binationale que nous partagerons avec la Belgique. Bien sûr que l'idée n'est pas de s'en servir tous les jours, mais avec cet investissement nous savons que nous avons désormais en permanence les moyens de nous projeter pour des missions lointaines. Pour du militaire pur ou de l'humanitaire. Pour voler sur cet appareil, nous avons déjà envoyé quatre pilotes en formation à l'Ecole militaire, et nous avons été la seule armée à réaliser 100% de réussite, c'est à signaler.

© PHOTO: Anouk Antony

«Oui, nous espérons recevoir l'Airbus A400M pour septembre. Cet appareil fera partie de la flotte de huit avions de la flotte binationale que nous partagerons avec la Belgique. Bien sûr que l'idée n'est pas de s'en servir tous les jours, mais avec cet investissement nous savons que nous avons désormais en permanence les moyens de nous projeter pour des missions lointaines. Pour du militaire pur ou de l'humanitaire. Pour voler sur cet appareil, nous avons déjà envoyé quatre pilotes en formation à l'Ecole militaire, et nous avons été la seule armée à réaliser 100% de réussite, c'est à signaler.

Il y aura aussi nos deux hélicoptères, partagés avec la police et également à disposition pour des missions commandées par l'OTAN. Sans oublier l'emploi régulier du satellite GovSat lancé déjà depuis quelques années, qui nous sert à établir des communications partout sur la planète.

Mais il n'y a pas que la flotte aérienne qui a grandi, nos matériels roulants ont eux aussi connu une belle croissance. Là encore, cette montée en puissance s'accompagne de recherche de nouveaux savoir-faire techniques.

Votre fin de carrière a été marquée par «l'affaire Schleck». Cela vous a-t-il poussé à partir?

«Déjà, je deviens pensionné parce que j'en avais la possibilité. La date n'a pas été avancée en raison de cet épisode. Mais dans cette «affaire», je peux dire que j'ai reçu plus de soutiens que de critiques. Avoir eu pratiquement toute l'armée derrière moi m'a fait rester. J'ai toujours été là pour mes hommes; là ils m'ont rendu la pareille. Point.

Maintenant, c'est au tour du lieutenant-colonel Thull de prendre le commandement. Quel regard portez-vous sur votre successeur?

«C'est forcément un gars bien car, comme moi, il a d'abord été chef de peloton mortier! Blague à part, il m'a souvent suivi dans mes fonctions. Nous avons été tous les deux officiers en charge du personnel, notamment. Il est bien plus sportif que moi, ça devrait l'aider à soutenir le stress journalier. Je suis persuadé que Steve Thull est capable de reprendre le flambeau, sachant que le défi qui s'ouvre à lui sera bien de trouver de nouveaux soldats, les former et les fidéliser.

Lire aussi :Steve Thull, futur numéro un de l'armée

Pour ma part, je vais rattraper le ''temps perdu'' auprès des miens. Ici, j'étais général, mais à la maison, ce n'est pas forcément moi qui commanderai, il va falloir que je m'habitue à être de nouveau simple soldat...»

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