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Vivre sa religion au Luxembourg

"La foi, c'est la confiance"

La communauté orthodoxe est la plus bigarrée du Luxembourg: elle est hellénique, Serbe, Roumaine ou encore russophone. Des traditions qui s'ancrent pourtant toutes dans une valeur commune : la transmission de la foi à travers sa pratique et la place de choix donnée au prêtre et à son épouse.

La communauté orthodoxe est la plus bigarrée du Luxembourg: elle est hellénique, Serbe, Roumaine ou encore russophone. Des traditions qui s'ancrent pourtant toutes dans une valeur commune : la transmission de la foi à travers sa pratique et la place de choix donnée au prêtre et à son épouse.

"La foi, c'est la confiance", explique Emilie Poukh

"La foi, c'est la confiance", explique Emilie Poukh © PHOTO: Pierre Matge

"J'avais 22 ans lorsque je me suis mariée et convertie à la religion orthodoxe et, si Dieu le veut, le 4 septembre prochain, mon mari et moi fêterons nos 60 ans de mariage", confie Emilie Poukh dans un sourire plein d'espoir.

L'épouse du père Serge, le prêtre qui a officié durant de longues années au sein de la paroisse orthodoxe russophone du pays, nous reçoit dans leur appartement de Belair. Un lieu où la Russie côtoie le Luxembourg, où les icônes recouvrent les murs du salon à l'image d'une église orthodoxe et où les visites se succèdent et la sonnette de la porte d'entrée ne cesse de retentir. Le père Serge est alité depuis quelques mois et a passé le flambeau de la paroisse au père Georges mais les fidèles viennent rendre visite au vieil homme:

"Mon mari est heureux de recevoir du monde et lorsqu'il est en forme, je ne refuse à personne de venir", précise la vieille dame en ouvrant la porte à un nouvel arrivant. Quelques mots en russe et elle nous rejoint dans le salon sous le regard calme des madones et prend place dans un large fauteuil avant de reprendre: "Je suis née au Luxembourg, naturalisée américaine et mariée à un Russe. Vous voyez, c'est une vraie salade russe! Mais peu importe d'où l'on vient et où l'on se rend tant qu'on a la foi. La foi, c'est la confiance", semble-t-elle conclure de son regard pénétrant.

"Si Dieu me laisse en vie, je bâtis une église"

Le père Serge et Emilie se rencontrent en 1951 sur leur lieu de travail, "à la BGL" comme elle dit, et se marient en 1955 avant de partir pour New York en 1959.

"Nous avions envie de voyager et la famille de mon mari étant installée en Amérique, nous sommes partis travailler là-bas. A ce moment-là, nous étions de simples pratiquants et mon mari n'était pas encore prêtre", poursuit Emilie Poukh, "Etre orthodoxe en Europe ou aux Etats-Unis, c'est la même chose. Ce qui compte, c'est de se donner de la peine et avec mon mari, nous participions à la vie de la paroisse activement jusqu'au moment où il est tombé malade..."

A ce moment du récit, le visage de la vieille dame se ferme et on comprend que malgré le temps écoulé, la douleur provoquée par ce souvenir est encore vive: "En 1971, il est tombé gravement malade et j'ai cru que j'allais le perdre... C'était long, ça a duré des mois... Mais mon mari n'avançait pas dans le brouillard puisqu'il me déclare alors"Si Dieu me laisse en vie, je bâtis une église"".

Le sourire revient vite sur son visage: "En 1974, nous étions de retour au Luxembourg pour construire une église!"

2,5 euros par an depuis 41 ans

L'église orthodoxe russe est située rue Probst à Luxembourg-ville

L'église orthodoxe russe est située rue Probst à Luxembourg-ville © PHOTO: Chris Karaba

Le terrain situé rue Probst à Luxembourg-ville et qui abrite encore actuellement l'église orthodoxe est une donation de la Ville de Luxembourg: "La paroisse verse symboliquement 2,5 euros par an à la commune depuis 1974", précise la vieille dame, "En revanche, la construction de l'église a été entièrement financée par la paroisse et ça nous a pris de longues années puisqu'elle a été consacrée en 1982! Ce qui ne nous a pas empêché de célébrer les services entre-temps!", ajoute-t-elle, malicieuse, "les peintures ont été réalisées par un ami moine venu spécialement de New York pour ça".

Consacré prêtre en 1974, le père Serge et son épouse entament une toute autre vie à leur retour au Luxembourg: "Nous continuons à travailler à temps complet et à nous occuper en même temps de la paroisse. Mon mari célébrait les messes et tous les jeudis après-midi, les enfants venaient chez nous pour la catéchèse".

On imagine une vie bien remplie, orientée vers la foi et l'envie de découvrir l'Autre: "C'est mon mari qui m'a appris le russe, c'est également lui qui m'a montré comment mener un choeur en slavon, c'est parce que je l'ai aimé que j'ai pu mener cette vie à ses côtés. Un prêtre devrait toujours avoir une femme. Certes, elle est dans l'ombre mais juste à côté de lui".

L'incontournable de la paroisse

Une place de choix pour une compagne de chaque instant, c'est également ce qui ressort de notre entretien avec le prêtre orthodoxe grec, le père Panajiotis Moshonas. Marié et père de quatre enfants, il officie à l'église de Weiler-la-Tour et guide la communauté hellénique du Luxembourg depuis quelques mois: "Etre prêtre et marié, c'est compatible", explique-t-il, "être père de famille, c'est également possible! Cependant, cela suppose que la vie de famille soit intimement liée à la vie de la paroisse et que le couple se construise sur l'engagement du prêtre. Cela demande également que la femme soit consciente du rôle qu'elle va jouer au sein de la communauté au moment de son engagement car elle est considérée comme une mère spirituelle".

Et Georgia, la femme du père Panajiotis, est très active au sein de la paroisse. A l'image d'Emilie Poukh, elle a une vie professionnelle - elle enseigne la religion en Belgique, préside les oeuvres caritatives, fait la catéchèse aux enfants de la paroisse mais surtout, elle accompagne chaque jour son mari dans son sacerdoce.

"Oui, elle est toujours à mes côtés et elle m'est d'un grand réconfort", confie le prêtre hellénique.

Les Russes et les Grecs, des communautés très différentes

La communauté orthodoxe compte à peu près 5.000 fidèles au Grand-Duché et se compose de quatre branches: les helléniques, les Serbes, les Roumains et les russophones.

Pour cet article, nous nous sommes penchés exclusivement sur deux communautés: les Grecs et les Russes et nous avons découvert des paroisses très disparates. Les helléniques et les russophones sont présents dans le pays depuis de nombreuses années et y pratiquent l'orthodoxie depuis toujours. Pour cela, les catholiques leur ont prêté leurs propres lieux de culte, l'église orthodoxe de Weiler-la-Tour est même construite sur un terrain donné en héritage à la communauté par un prêtre catholique.

Le père Serge, né en Bulgarie en 1926, est arrivé au Luxembourg en 1928 comme de nombreux russophones. Les Grecs sont arrivés plutôt vers les années 50, à la recherche d'un travail mais c'est surtout à partir de 1981 que la communauté hellénique explose au Luxembourg, lorsque les institutions européennes s'installent dans le pays. "Notre communauté est passée de 800 membres en 1981 à plus de 2.000 aujourd'hui mais en tout le pays compte près de 5.000 orthodoxes", relate le père Panajiotis. "Nos fidèles sont des gens privilégiés ayant un bon niveau de vie, travaillant pour la plupart au sein des communautés européennes. Le dimanche, l'église est remplie de familles et la vie paroissiale est très riche. Après la messe, nous nous réunissons tous au foyer pour boire un verre et partager un moment entre paroissiens".

Du côté de la rue Probst, les choses sont bien différentes et on croise plutôt des paroissiennes que des familles. Le père Georges, le nouveau prêtre de la communauté, n'aime pas trop en parler pour ne pas stigmatiser la communauté cependant, on y croise plutôt des femmes issues d'une immigration très modeste de nationalité ukrainienne ou russe et mariées à des Luxembourgeois.

La transmission: une tradition

Joseph Sedrati et sa famille

Joseph Sedrati et sa famille © PHOTO: Chris Karaba

C'est Joseph Sedrati qui nous parle davantage de ce phénomène. Français marié à une Russe, il travaille comme conseiller principal d'éducation dans un lycée professionnel à Longwy et fréquente la paroisse de Luxembourg depuis quelques temps déjà: "La paroisse est petite, elle compte une centaine de pratiquants et les familles sont plutôt rares car ce sont surtout des femmes issues de l'immigration qui la composent. Si les baptêmes d’enfants sont assez nombreux, les mariages sont assez rares car ces mariages mixtes ne sont pas forcément suivis d’une conversion".

La conversion, Joseph Sedrati peut en parler puisqu'il "entre en orthodoxie" comme il dit, en 1988 à l'âge de 29 ans après un voyage en Russie en 1984: "Elevé dans une famille catholique, je suis parti avec l'intention de découvrir la politique et j'ai découvert la foi. Je l'ai rencontré à travers les gens car même sous le régime communiste, ils continuaient à vivre leur foi et à pratiquer leur religion en cachette, mais activement. La foi, c'est la chose la plus importante en Russie."

Il retourne ensuite en France puis repart en Russie pour y travailler en 1994 et découvre un pays très différent de celui qu'il a quitté dix années auparavant et choisit la Sibérie comme destination: "Après l'éclatement de la Russie, les églises rasées, les lieux de culte fermés n'avaient rien enlevé de la vigueur de la foi du peuple russe", explique-t-il, "elle était plus vive que jamais".

Joseph Sedrati vit à Tomsk jusqu'en 2005 et rentre ensuite en France avec son épouse, Ioulia, et leurs deux fils. Il fréquente aujourd'hui la paroisse de Luxembourg-ville et se sent plus que jamais orthodoxe: "Pour moi, un orthodoxe est forcément pratiquant, il va à l'église en famille et transmet sa foi et ses valeurs à ses enfants. La transmission de la tradition chrétienne orthodoxe est un précieux héritage qui enrichit la foi de chaque orthodoxe. Cette tradition ne peut subir aucune remise en question, contrairement à d’autres traditions chrétiennes", conclut Joseph.

Cultes conventionnés: les russophones viennent d'introduire une demande

Si les helléniques et les russophones pratiquent la même religion dans des langues différentes, ils ne parlent pas forcément d'une seule et même voix. Conventionnés par l'Etat luxembourgeois, les Grecs, les Serbes et les Roumains touchent une enveloppe de la part du Luxembourg mais jusqu'à très récemment les russophones ne faisaient pas partie des cultes conventionnés.

La dotation globale dédiée aux six cultes reconnus au Grand-Duché, de 24,66 millions d'euros aujourd'hui, passera à 8,375 millions. La communauté orthodoxe touchera 285.000 euros à se diviser en quatre communautés et non plus trois.

Cependant, avant que ces conventions entrent en vigueur, il faut que la réforme constitutionnelle soit votée. Ce qui n'est pas prévu avant 2016. La communauté orthodoxe russophone va donc devoir attendre avant de toucher un financement de la part de l'Etat luxembourgeois.

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