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«La France doit un immense merci au Luxembourg»

L'épisode covid-19 aura marqué une nouvelle étape dans les relations entre l'Hexagone et le Grand-Duché. A l'occasion du 14 Juillet, l'ambassadeur de France revient sur cette nécessité de poursuivre une collaboration fructueuse pour les deux pays.

Bruno Perdu achève sa troisième année au Grand-Duché, comme ambassadeur de France.

Bruno Perdu achève sa troisième année au Grand-Duché, comme ambassadeur de France. © PHOTO: Lux Deflorenne

Patrick Jacquemot

Une lettre de reconnaissance de la France adressée au Grand-Duc, une autre pour le Premier ministre. Une invitation du président Macron à Paulette Lenert, ministre de la Santé pour qu'elle assiste aux cérémonies du 14 Juillet à Paris. Un courrier pour que les militaires luxembourgeois figurent en bonne place parmi les troupes défilant pour cette Fête nationale 2020. Voilà des actes symboliques forts. «La moindre des choses au vu des gestes de fraternité qu'a multipliés le Luxembourg à l'égard de la France», applaudit l'ambassadeur de France.

Vous reprenez volontiers la devise de la république française pour évoquer la relation qui s'est nouée entre les deux pays ces derniers mois.

Bruno Perdu, ambassadeur de France: «Liberté, comme cette liberté d'aller et venir qui a été constamment maintenue entre nos deux Etats. Nous avons respecté cette libre circulation décrétée par les accords de Schengen, ici même au cœur de l'Europe. Quand il y a eu des contrôles aux frontières à une période virale délicate, ce n'était qu'en week-end, les après-midis et pour éviter des voyages d'agrément qui n'avaient rien d'indispensable. La liberté de passage des biens et des personnes a donc été préservée pour assurer la continuité de l'activité autant que possible alors que le confinement était décrété dans nos deux pays.

Egalité avec cette distribution de masques et cette opération de dépistage du coronavirus que le Luxembourg n'a pas seulement organisées pour ses seuls habitants mais bien pour toute la population active, et donc les plus de 107.000 frontaliers français.

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Fraternité enfin pour ce geste d'accueil extraordinaire de 11 malades français atteints du covid. Alors que nos urgences étaient au bord de l'étouffement dans le Grand Est, cette main tendue des hôpitaux luxembourgeois a permis de sauver des vies. La France doit un immense merci au Luxembourg, point.

D'où ces témoignages d'amitié?

«Le président Emmanuel Macron a fait de même avec ses partenaires allemands, suisses ou autrichiens qui ont eux aussi aidé la France quand elle a pu être en situation délicate face à l'épidémie. Ce 14 Juillet est dédié à celles et ceux qui étaient en première ligne durant la crise, qui ont assuré que nos vies ne s'effondrent pas (par la santé, les services, le commerce, le transport). Le Grand-Duché en tant qu'Etat a participé à cet effort, et d'une manière totalement désintéressée.

J'entends certains dire que nos deux Etats auraient passé des deals (genre "Je ne bloque pas les frontières et je t'envoie mes malades pour que tu puisses disposer des personnels soignants français ou de personnels essentiels à l'activité du pays"). C'est faux car l'état d'esprit qui a régné durant toute cette crise, et aujourd'hui encore, allait dans le sens d'une coopération à double sens. C'est ainsi que la France a apporté son soutien quand il a fallu rapatrier certains Luxembourgeois coincés au bout du monde, ou mis à disposition le service de ses ambassades ou consulats à l'étranger pour d'autres voyageurs.

Cette crise a révélé l'importance que pouvait prendre le télétravail. Et sur ce point, les avis entre France et Luxembourg semblent diverger.

« Diverger, c'est un peu fort. Mais il faudra certainement s'entendre sur cette nouvelle pratique. Notez que nous avons su le faire, pendant la crise, en accordant une tolérance jusqu'à fin août sur le décompte des jours travaillés à distance pour les frontaliers. Ensuite, je dois souligner que la France n'a pas à rougir dans la tolérance qu'elle a adoptée à l'égard des télétravailleurs. Des voisins du Luxembourg, c'est nous qui sommes le plus généreux avec 29 jours acceptés sans changement de statut fiscal. L'Allemagne reste à 19 et la Belgique à 24...

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Je rappelle au passage que ce chiffre n'est pas une barrière infranchissable, mais un seuil au-delà duquel l'impôt doit être payé dans le pays d'exercice de la fonction professionnelle.

Une présence tricolore

Si les Français représentent à eux seuls un peu plus de la moitié des travailleurs frontaliers du Luxembourg (de l'ordre de 107.500 salariés), la France a aussi une présence économique au Grand-Duché. Ainsi quelque 800 filiales de sociétés françaises sont représentées, et pesant près 2.000 emplois.

Et puis, pour rafraîchir les mémoires, la France a déjà fait un cadeau fiscal avec l'accord signé entre nos deux pays fin 2019. Le différentiel d'imposition n'a pas à être payé dans leur pays de résidence par les 107.000 concitoyens travaillant au Luxembourg. Cela représente quelques millions de perte pour les finances publiques, croyez-moi.

En tout cas, la question de l'extension du télétravail devra être au centre des discussions de la prochaine rencontre intergouvernementale. Pour le moment, elle est prévue en octobre.

Cette même réunion permettra aussi de faire le point sur les coopérations envisageables entre le Luxembourg et les territoires voisins.

«Nous sommes interdépendants. Il ne faut pas croire que seulement l'un de nous a plus besoin de l'autre. Dans la décennie qui vient, l'activité du Luxembourg pourrait avoir besoin de 60.000 nouveaux frontaliers, et la France sera le réservoir principal de cette main-d'oeuvre. Mais si les deux Etats ne réfléchissent pas ensemble et ne financent pas ensemble les infrastructures de déplacements, d'habitat, de formation: je crains que le développement ne puisse se faire.

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Alors oui, l'aide du Grand-Duché est attendue pour des projets gagnant-gagnant. On peut évoquer l'élargissement de l'A31 (en liaison avec ce qui se fera sur l'A3), le développement de la mobilité (rail, bus), la création d'une école d'infirmières commune, l'apprentissage transfrontalier. Nous pourrions aussi voir comment l'aide à la dépendance que les frontaliers financent au Grand-Duché avec leurs impôts pourrait revenir à l'Etat qui prend en charge les seniors après leur carrière active.

La frontière lorraine dispose aussi de réserves foncières intéressantes pour un Luxembourg sous pression en termes d'immobilier.

«Il y a des terrains, d'accord. Mais la vocation de cette partie du Nord de la Moselle ou de la Meurthe-et-Moselle n'est pas de devenir une zone dortoir. De l'habitat peut se faire, à des coûts différents (comme le démontre ce qui va se faire à Micheville) mais les communes frontalières ne pourront pas supporter seules la charge des services publics (écoles, salles de sport, transports en commun, etc) qu'un tel afflux de population impose sans qu'il y ait aussi le développement d'activités économiques côté lorrain. Les nouveaux maires, côté français, ne semblent plus parler de rétrocession fiscale, mais il faudra tout de même trouver des partenariats.

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Les investisseurs luxembourgeois, et pas que les promoteurs, doivent donc s'intéresser à ces bassins de résidence et de personnels. Pas question toutefois de créer, sur le sol français, des zones franches où l'impôt luxembourgeois serait de mise pour les sociétés venant s'implanter. Il faut donc réfléchir à un codéveloppement cohérent.

Mais notre territoire doit être considéré comme une "zone expérimentale de l'Europe". Je crois en cette fonction de laboratoire. Et déjà, ailleurs, 16 régions européennes ont signé des accords bilatéraux pour des rétrocessions fiscales, des financements partagés dans l'intérêt de chaque partie, etc.»

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