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Problèmes de sécurité et de salubrité

La mendicité dans le viseur des autorités de la Ville de Luxembourg

Le Conseil communal se penche ce lundi sur un règlement visant à interdire la mendicité dans plusieurs secteurs de la capitale. Une mesure qui a déjà été adoptée par les communes de Diekirch et Ettelbruck ces dernières années.

Il ne sera plus autorisé de tendre son gobelet pour récolter une pièce dans plusieurs secteurs de la capitale.

Il ne sera plus autorisé de tendre son gobelet pour récolter une pièce dans plusieurs secteurs de la capitale. © PHOTO: Gerry Huberty

Journaliste

La Ville de Luxembourg entend lutter contre un «véritable business model» selon les termes de Serge Wilmes (CSV). Le premier échevin parle ici de la mendicité organisée. Ce lundi 27 mars, le Conseil communal doit adopter un règlement visant à interdire toute forme de mendicité dans la capitale.

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Il sera interdit de tendre son gobelet pour obtenir une pièce de 7 à 22 heures du lundi au dimanche inclus dans la Ville-Haute (un périmètre entre les boulevards Royal, Roosevelt, le plateau Saint-Esprit et la côte d'Eich) et dans le quartier de la gare (avenue de la Liberté et de la Gare, rue de Strasbourg, pont Adolphe). Les places Léon-XIII et du Parc à Bonnevoie, la place de l'Europe au Kirchberg ou encore la place du Glacis sont également concernées par cette mesure.

Remettre le débat sur la table

La coalition DP-CSV cible par cette mesure le phénomène de mendicité organisée. «Une situation qui n'est pas nouvelle, mais qui s'est étendue» selon la bourgmestre Lydie Polfer (DP). Elle pointe du doigt des problèmes de sécurité et de salubrité. En 2015, la Ville de Luxembourg avait déjà adopté un règlement interdisant «toute forme de mendicité organisée ou en bande».

La nouvelle mesure discutée ce lundi suscite les critiques de l'opposition. Face à cette levée de boucliers, l'élue libérale souligne qu'il ne s'agit «pas de lutter contre les pauvres, mais pour le respect des personnes qui se font exploiter». «Ce n'est pas le cas pour tout le monde, mais nous avons à faire à de la mendicité organisée que nous ne devons pas soutenir.»

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Déjà en 2019, quatre ans après l'introduction du règlement mendicité, la bourgmestre regrettait que «le contrôle ne soit pas vraiment assidu» (44 procès-verbaux dressés à l'encontre de mendiants entre 2016 et 2018). Mercredi dernier lors du Citybreakfast, point mensuel avec la presse, la bourgmestre a rappelé que c'est à la police et à la justice de dresser les procès-verbaux.

L'adoption du nouveau règlement permettra, selon Lydie Polfer, de faciliter les contrôles car les forces de l'ordre n'auront plus à se poser la question s'il s'agit bien d'une bande organisée ou non. L'élue souhaite également remettre le débat sur la table et éveiller les consciences: «Nous avons déjà eu un règlement, mais qui n'a pas été beaucoup suivi des faits. Avec cette nouvelle précision, nous espérons que ça changera!» Notons que ce débat au ton sécuritaire est d'ailleurs relancé à quelques mois des élections communales fixées au 11 juin prochain.

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Pour la bourgmestre, personne n'est contraint de dormir dans la rue: «Nous avons heureusement un système social et des services sociaux qui sont là pour les gens qui sont dans le besoin.» Un message qu'elle avait d'ailleurs déjà lancé en décembre.

«Quand on parle du symbole de saint Martin qui a partagé son manteau, la Ville de Luxembourg le fait tous les jours et on veut le faire dans le respect de la dignité humaine. L'alternative ne peut pas être que des gens dans la rue doivent faire la manche.»

L'Union Commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL) dit soutenir la proposition de la coalition DP-CSV. Dans un communiqué daté du 17 mars dernier, l'UCVL soulignait que la mendicité «a de lourdes conséquences au niveau de l’attractivité du centre-ville de la capitale (ville-haute, gare)». «En période d'afflux touristique, un tel arrêté permettra d’améliorer grandement l’expérience des visiteurs et l’image de marque de la capitale», estime la présidente de l'association, Mireille Rahmé-Bley.

Deux communes déjà opposées à la mendicité

Améliorer l'image du centre-ville dans «le souci de paraître plus accueillant pour les visiteurs». C'est une des raisons pour lesquelles la commune d'Ettelbruck a souhaité interdire la mendicité au cœur de son centre-ville selon son bourgmestre Jean-Paul Schaaf (CSV).

Depuis juin 2021, le règlement de police de sa commune interdit la mendicité «pour des raisons de sécurité et de salubrité» pendant la période estivale (1er mai au 31 octobre)» dans plusieurs rues, places et parkings de la commune du lundi au dimanche de 9 heures à 20 heures. Le phénomène de mendicité avait empiré avec la mise en place de la gratuité des transports, raconte le député-bourgmestre.

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«Des personnes venaient mendier ici parce qu'elles étaient chassées de la capitale. D'autres sont venus aussi en bus depuis Longwy. Les mendiants sont surtout des étrangers qui ne vivent pas au Luxembourg», constate Jean-Paul Schaaf. «Nous avions aussi plusieurs cas où des femmes se faisaient importuner alors qu'elles venaient de se garer.»

Avant la commune d'Ettelbruck, celle de Diekirch avait déjà opté pour l'interdiction temporaire de faire la manche. La mendicité y est interdite, également pendant la période estivale (1er mai au 31 octobre ) à plusieurs endroits dans les quartiers «vieille ville», «église décennale» et «gare» depuis le 28 août 2020.

Quel bilan pour ces communes?

«Moins de personnes sont assises là où la mendicité est interdite. C'était le cas l'été dernier», observe le bourgmestre Claude Thill (LSAP). Y a-t-il assez de contrôles selon lui? «La police fait son travail, mais elle ne peut pas être partout en même temps.» Les agents municipaux de la commune de Diekirch suivent en ce moment des formations pour pouvoir effecteur eux-mêmes des contrôles.

Sanctionner les contrevenants est difficilement applicable, car les personnes concernées n'ont pas d'adresse ou peuvent en donner une fausse, reconnaît Jean-Paul Schaaf. «C'est d'autant plus compliqué de leur transmettre une convocation, car la plupart du temps, elles résident à l'étranger.»

Et pourtant ce règlement semble porter ses fruits, d'après l'homme politique. S'il ne dispose pas de chiffres concernant le nombre de sanctions prises dans sa commune, il fait part d'un «bilan positif au niveau du ressenti». «La situation s'est vraiment améliorée, même s'il peut y avoir encore quelques soucis. Quand nos agents attirent l'attention qu'il est interdit de mendier, dans neuf cas sur dix, les mendiants partent.»

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Le bourgmestre d'Ettelbruck depuis 2003, candidat à sa propre succession, estime que «faire la manche ne peut pas être la réponse du XXIe siècle à la pauvreté, interdire la mendicité n'est pas une mesure asociale». Il rappelle que plusieurs aides sont mises en place pour aider les plus démunis, comme la récente ouverture d'un restaurant social de l'association Stëmm vun der Stroos à Ettelbruck.

Une erreur du législateur qui change la donne

Diekirch et Ettelbruck avaient chacune dû modifier leur règlement, car ces communes prévoyaient auparavant une interdiction «absolue». Des restrictions ont dû ainsi être mises en place avec «une limitation dans le temps et sur certaines places» pour être conformes juridiquement, car la mendicité n'est pas interdite au niveau national.

Cette interdiction à l'échelle nationale existait pourtant par le passé dans le Code pénal, fait remarquer Jean-Paul Schaaf. En effet, il prévoyait à l’article 563, point 6:«les vagabonds et ceux qui auront été trouvés mendiant sont punis d’une amende 25 à 250 euros». Or, ce point à été supprimé par le législateur en 2008.

La mendicité appartient au Moyen Âge. Nous devons discuter sérieusement de ce problème.
Jean-Paul Schaaf, bourgmestre d'Ettelbruck

«C'était une erreur de la part du législateur, ce n'était pas son intention et on s'est rendu compte après que le texte ne prévoit plus d'interdire la mendicité organisée», explique Jean-Paul Schaaf. Ce dernier plaide pour que la mendicité soit de nouveau introduite dans le code pénal. Mais cette interdiction doit être accompagnée d'une aide sociale au niveau national: «Nous devons assurer les besoins des plus démunis et cela peut se faire en leur donnant un minimum d'argent de poche, selon moi. Je ne pense pas que le budget de l'État explosera si on met en place un tel dispositif»

«La Ville de Luxembourg lance un débat que je tiens à saluer. Nous devons voir comment nous occuper de ce problème, car la mendicité appartient au Moyen Âge. Nous devons discuter sérieusement de ce problème et trouver des solutions», souligne Jean-Paul Schaaf. Une super année électorale avec les communales et les législatives cette année, n'est-ce pas le bon moment de prendre à bras-le-corps ce sujet?

Sanctions et décisions de justice

• En février dernier, les ministres écologistes Sam Tanson (Justice) et Henri Kox (Sécurité intérieure) avaient fait le point sur le nombre de procès-verbaux dressés contre des mendiants dans une réponse parlementaire adressée à l'ADR. 89 ont été dressés depuis 2019, dont 35 en 2021. Selon les chiffres que Virgule a obtenus du Parquet, sept affaires de mendicité ont été jugées depuis 2018. Une seule a abouti à une condamnation par le Tribunal correctionnel de Luxembourg.

• La Cour de justice européenne a signifié dans un arrêt du 19 janvier 2021 (Lacatus c. Suisse) que des mesures d'interdiction totale de la mendicité étaient disproportionnées par rapport au but poursuivi et s'opposent à la dignité humaine et au droit de respect à la vie privée. • Notons l'article 342 du Code pénal luxembourgeois: «Seront punis d'un emprisonnement de huit jours à un mois: Tout vagabond et tout individu qui, pour mendier, seront entrés, sans la permission du propriétaire ou des personnes de sa maison, soit dans une habitation, soit dans ses dépendances; Tous ceux qui, en mendiant feindront des plaies ou des infirmités; Tous ceux qui mendieront en réunion, à moins que ce ne soit les conjoints, l’un des parents et leurs jeunes enfants, l'aveugle ou l'invalide et leur conducteur.»

Art. 345 du Code pénal: «Tout individu qui, en mendiant, aura menacé d'un attentat contre les personnes ou les propriétés, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an. Il sera condamné à un emprisonnement de six mois à trois ans, s'il a exercé des violences contre les personnes.»

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