La ministre Tanson répond aux vives critiques de la justice
Dans une interview, la ministre de la Justice Sam Tanson défend le projet de réforme de la protection des mineurs. Des améliorations sont toutefois prévues sur certains points.
Les autorités judiciaires ont récemment présenté leur avis sur le projet de réforme de la protection des mineurs. © PHOTO: Serge Waldbillig/Archives LW
Dans un rapport d'expertise détaillé, les autorités judiciaires ont récemment tiré à boulets rouges sur le projet de réforme de la protection des mineurs. Selon les conclusions des autorités, la réforme est inapplicable dans la pratique. Au final, ce sont les enfants et les jeunes qui en pâtissent. Dans une interview accordée au Luxemburger Wort, la ministre de la Justice Sam Tanson (Déi Gréng) réagit aux critiques. Elle défend la stricte séparation entre la protection des mineurs et le droit pénal des mineurs. Des améliorations doivent toutefois être apportées sur certains points.
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Sam Tanson, les autorités judiciaires critiquent sévèrement la réforme prévue de la protection des mineurs dans un avis. Vous attendiez-vous à une telle réaction au projet ?
Je trouve que l'expertise est très bonne et profonde. Nous allons certainement tenir compte de nombreux points procéduraux. Je m'étais préparée à la critique, car j'étais consciente que nous n'étions pas d'accord sur les principes fondamentaux de la réforme. J'ai opté à l'époque pour la séparation de la protection des mineurs et du droit pénal des mineurs, avec toutes les conséquences que cela implique. Je comprends aussi que tout le monde ne soit pas d'accord avec cela. Mais il me semble important de replacer le contexte historique.
La loi actuelle date de 1992, un an plus tard, le Luxembourg ratifiait déjà la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Et en fait, nous menons depuis lors des discussions sur la nécessité d'améliorer le texte de loi. Une première tentative de réforme au début des années 2000 a échoué, tout comme la deuxième tentative en 2018. A l'époque, un travail préparatoire considérable avait déjà été réalisé. Il y avait eu un groupe de réflexion et de nombreuses discussions. Mais la deuxième tentative de réforme a été fortement critiquée de plusieurs côtés. Lorsque j'ai repris le ministère en 2019, j'étais consciente que je devrais prendre des décisions sur des points cruciaux. J'ai alors recueilli une nouvelle fois les points de vue de tous les acteurs et j'en suis arrivée à la conclusion qu'il serait important de faire appel à un expert externe.
Sam Tanson a pris en charge le ministère de la Justice en 2019. © PHOTO: Guy Jallay
En fin de compte, les autorités judiciaires concluent que la réforme est inapplicable dans la pratique. N'auriez-vous pas dû impliquer davantage les autorités judiciaires dans l'élaboration des textes ?
Les autorités judiciaires ont été impliquées. Elles ont pu s'impliquer autant qu'elles le souhaitaient. Sur le texte relatif à la justice des mineurs, nous avons beaucoup échangé avec elles. Nous avons également tenu compte des critiques, et pas seulement de celles des autorités judiciaires. Il est, en fait, normal que des améliorations soient apportées. Nous sommes dans un processus législatif. J'ai déjà assuré il y a quelques semaines à un représentant du ministère public que nous ferions tout pour que le texte fonctionne dans la pratique. D'autres rencontres avec des représentants de la justice auront également lieu prochainement. Nous devons surmonter les divergences de principe afin d'obtenir un texte qui fonctionne pour tout le monde.
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La juge autrichienne et ancienne présidente du Conseil des droits de l'enfant de l'ONU Renate Winter a suivi de près l'élaboration de la réforme. N'a-t-on pas envisagé de faire également appel à un expert luxembourgeois ?
Au Luxembourg, il y avait tout simplement deux fronts. Il aurait été difficile de choisir un camp. La réforme précédente avait été élaborée par un grand groupe de travail. Cela a également été un échec. Avec le ministre de l'Éducation, j'ai donc estimé que Renate Winter, qui avait déjà accompagné un tel processus dans de nombreux pays, était le bon choix. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas eu d'échanges avec les acteurs luxembourgeois.
Il n'est pas acceptable qu'un enfant ne soit pas aidé.
La réforme rompt avec la législation actuelle et sépare strictement la protection des mineurs et le droit pénal des mineurs. Pourquoi cette voie a-t-elle été choisie ?
L'ancien texte n'est pas complètement rejeté. Nous nous basons beaucoup sur ce qui existe déjà. Mais nous nous adaptons aux recommandations et au texte de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Et ceux-ci exigent qu'un enfant sache toujours dans quelle situation il se trouve. Il doit également disposer des mêmes droits et garanties qu'un adulte. Ce n'est pas le cas actuellement au Luxembourg. Par exemple, les mineurs peuvent être placés à l'Unisec (ndlr : l'unité fermée du centre socio-éducatif de l'Etat à Dreiborn) pour une durée de trois mois. Ce n'est pas le terme exact mais en des mots simples, il s'agit d'un CDD renouvelable. La peine peut être renouvelée à l'infini. Cela ne serait pas imaginable pour un adulte. Avec la réforme, nous créons un droit pénal complet pour les mineurs, qui règle clairement la peine pour les délits et aussi l'âge de la responsabilité pénale.
Le domaine de la protection des mineurs peut également jouer un rôle dans une procédure pénale.
Selon la justice, la réforme ne tient plus suffisamment compte du fait que les mineurs délinquants ont également besoin de protection. L'une des critiques porte sur le manque d'interfaces entre la protection des mineurs et le droit pénal des mineurs.
S'il manque des éléments, je n'ai aucun problème à créer des interfaces supplémentaires. Les textes en prévoient d'ailleurs déjà plusieurs. Il n'est toutefois pas exceptionnel qu'un pays dispose d'une législation de protection purement administrative. C'est également le cas dans des pays étrangers proches, comme l'Allemagne. Mais le domaine de la protection des mineurs peut aussi jouer un rôle dans une procédure pénale. L'un n'empêche pas l'autre. Cependant, différents acteurs sont impliqués. Un mineur doit savoir exactement s'il est actuellement puni ou protégé.
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Le ministère public perd ses compétences en matière de protection des mineurs. En lieu et place, l'Office national de l'enfance (ONE) sera renforcé. Une commission sera donc chargée de prendre les décisions. Mais elle ne se réunira qu'une fois par semaine, ce qui pose problème, notamment en cas d'urgence.
Le domaine de la protection de la jeunesse relève en fait de la compétence du ministère de l'Éducation nationale. Il semble toutefois qu'il s'agisse d'une difficulté de formulation dans le texte. Dès le départ, il était clair que des permanences devaient être assurées tant par la Commission que par les juges des enfants. Il doit toujours y avoir quelqu'un de disponible pour prendre des décisions en cas d'urgence. On a un peu l'impression que nous voulons élaborer un texte qui ne fonctionne pas. Mais c'est absurde. Il n'y a rien de plus dramatique pour un enfant que de devoir être retiré de sa famille. Ce sont des situations terribles. Et nous voulons que cela se passe le mieux possible. Il n'est pas acceptable qu'un enfant ne soit pas aidé.
A l'avenir, les jeunes ne pourront être poursuivis qu'à partir de l'âge de 14 ans. La justice fait toutefois remarquer qu'elle est déjà confrontée à des délinquants plus jeunes. L'âge minimum pourrait également être exploité.
Si nous voulons être conformes à la convention des Nations unies, nous devons fixer un âge. Il est évident que si l'on fixe un âge, il y a toujours un risque qu'il soit exploité d'une certaine manière. Lors de la fixation, nous avons suivi les recommandations de la commission des droits de l'enfant des Nations unies. Celles-ci se basent sur des connaissances scientifiques concernant le niveau de développement des jeunes.
Selon celles-ci, les mineurs peuvent mieux évaluer leurs actes à partir de l'âge de 14 ans. Leur impulsivité est certes encore plus marquée que celle d'un adulte, mais elle est déjà mieux maîtrisée. Et surtout, à cet âge, les mineurs sont conscients de leur culpabilité. D'autres pays comme l'Autriche ou l'Allemagne ont également instauré un tel âge minimum depuis longtemps. Ce n'est donc pas une idée complètement farfelue. Et de toute façon, si le droit pénal ne joue pas, c'est la protection des mineurs qui joue. Cela signifie qu'un enfant de moins de 14 ans qui a commis une faute tombe sous le coup de la protection.
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La réforme doit donc être adaptée ponctuellement - mais sans remettre en question des principes fondamentaux comme la séparation entre la protection des mineurs et le droit pénal des mineurs. Quand la version modifiée devrait-elle être disponible ?
Nous attendons encore les avis du Conseil d'État sur les trois textes de loi. Dans l'intervalle, nous traitons bien entendu déjà les critiques des autorités judiciaires. Nous continuerons également à échanger nos points de vue. Mais nous tiendrons également compte des préoccupations d'autres acteurs. En effet, lorsqu'il s'agit de mineurs, de nombreux acteurs jouent un rôle. Nous souhaitons toutefois faire voter les textes au Parlement avant la fin de la législature.
Cet article est paru une première fois sur wort.lu/de