La pauvreté au travail au Luxembourg s'intensifie, mais pourquoi?
Le Luxembourg est le pays où les personnes ayant un temps de travail élevé ont le plus de risques de tomber dans la pauvreté. Improof a cherché à comprendre les raisons et les facteurs derrière ce constat.
Selon l'étude, l'impact de la composition du ménage, et surtout de la présence d’enfants, sur le niveau de pauvreté au travail est considérablement plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays de l’UE. © PHOTO: Shutterstock
Début mars, nous vous expliquions que par rapport aux autres États membres de l'Union européenne, le Luxembourg est le pays où les personnes ayant un temps de travail élevé ont le plus de risques de tomber dans la pauvreté. En effet, malgré une part de leur temps plus ou moins importante consacrée à leur emploi chaque semaine, ces personnes n'arrivent pas à boucler correctement leur fin de mois.
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Si le risque de pauvreté diminue logiquement avec l'augmentation du temps de travail, les personnes présentant une intensité de travail élevée ne sont pas immunisées contre ce danger. À titre d'exemple, 13% des ménages ayant un emploi les occupant à plus de 85% de leur potentiel font face au danger de la pauvreté. Sur ce créneau, la Belgique (1,8%), la France (4,5%) et l'Allemagne (6%) font bien mieux.
Mais pourquoi un tel écart entre le Luxembourg, l'un des pires élèves en la matière en Europe, et les autres pays. Improof, nouvelle plateforme de réflexion autonome pour une économie juste et durable lancée par la Chambre des salariés, s'est penché sur la question afin de trouver les raisons derrière ces statistiques interpellantes.
Beaucoup plus de bénéficiaires du SSM
L'un des premiers facteurs pour l'expliquer pourrait être le nombre de travailleurs rémunérés au salaire minimum. «En 2012, on comptait environ 52.000 salariés percevant un salaire proche du SSM (15,7% de l’emploi total, hors fonctionnaires), et en 2021 ils étaient 63.950 (15,3% de l’emploi total, hors fonctionnaires)», précise l'étude. «Cependant, le niveau du salaire minimum n’est pas suffisamment élevé (malgré le REVIS) pour protéger les travailleurs qui le perçoivent contre le risque de pauvreté, en particulier dans le cas des travailleurs isolés avec enfants ou d’autres membres du ménage à charge».
De plus, l'étude pointe du doigt le fait que les bas salaires augmentent généralement beaucoup moins vite que les hauts salaires. Par ailleurs, le seuil de risque de pauvreté a augmenté entre 2012 et 2021 de près de 30% et le SSM de seulement 22%.
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Cela dit, dans tous les pays de l'UE, rappelons que le revenu minimum est inférieur au seuil de risque de pauvreté. Dès lors, selon l'étude, l'impact de la composition du ménage, et surtout de la présence d’enfants, sur le niveau de pauvreté au travail est considérablement plus élevé au Luxembourg que dans les autres pays de l’UE. L'augmentation du taux concernant des ménages avec enfants peut d'ailleurs être liée au fait qu'après 2006, toutes les prestations familiales ont été gelées.
Ensuite, au Luxembourg, environ 50% des salariés au SSM sont employés dans trois secteurs: le commerce de détail, les activités d’hébergement et de restauration et la construction. La plupart des travailleurs de ces secteurs sont de nationalité étrangère. «Avec la part extrêmement élevée d’étrangers dans la main-d’œuvre luxembourgeoise, cela pourrait être une explication possible du taux de pauvreté au travail élevé au Luxembourg», indique l'étude.
Un ménage monoparental sur quatre est pauvre en termes de revenus
Un groupe de travailleurs avec enfants est particulièrement exposé au risque de pauvreté au travail, et pour cause: 27% des monoparentaux au travail sont pauvres en revenus au Luxembourg, contre 19% au niveau de l’UE. «Cela ne s’explique pas par une occurrence significativement plus élevée de travail à temps partiel chez les parents isolés par rapport aux autres travailleurs avec enfants. Cela peut plutôt indiquer que le niveau des salaires n’est pas suffisant pour échapper à la pauvreté pour de nombreux salariés isolés avec enfants et/ou que l’imposition des revenus est trop élevée pour les parents isolés par rapport aux couples».
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Un autre groupe avec un taux significativement plus élevé est celui des jeunes travailleurs. «Leur taux est passé de 10,2% en 2012 à 20,8% en 2021, contre 11,7% pour la moyenne de l’UE en 2012 et 12,8% en 2021. En 2012, 12 pays avaient des taux de pauvreté au travail des jeunes plus élevés que le Luxembourg; en 2021, seule la Roumanie a un taux plus élevé que le Grand-Duché».
Enfin, une dernière explication possible de l'augmentation du taux entre 2012 et 2021 pourrait provenir de la non-indexation du barème d’impôts depuis 2009. «Comme les salaires et certains transferts sociaux augmentent avec l’inflation, en raison du mécanisme d’indexation, les seuils d’imposition inchangés associés à la progressivité du barème se traduisent en une augmentation des impôts. Cela conduit à une perte effective de revenu disponible».
Plusieurs mesures sur la table pour lutter contre ce phénomène
Tout ceci mène à un constat pour le moins interpellant: le risque que des travailleurs non pauvres deviennent pauvres est de loin le plus élevé au Luxembourg par rapport aux autres pays de l'UE.
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Dès lors, Improof suggère au gouvernement de prendre plusieurs mesures afin d'endiguer ce phénomène de plus en plus préoccupant. Parmi celles-ci: un rehaussement du salaire minimum et du complément du régime de revenu minimum, une analyse approfondie des obstacles au marché du travail pour les jeunes, une refonte du système fiscal (SSM non taxé, ajustement du barème d'impôts, etc.), une rehausse des niveaux de formation ou encore des efforts continus doivent être faits pour mieux réconcilier vie professionnelle et vie familiale. Enfin, Improof note que les mesures politiques qui contribuent à une distribution primaire plus uniforme des salaires devraient être explorées