«La question n’est pas quand ça va s’arrêter, mais où, à quelles frontières?»
A leur arrivée au Luxembourg, les réfugiés ukrainiens ont pu compter sur un soutien précieux, celui de compatriotes déjà établis et dont le métier consiste à faire le relai. Rencontre avec une de ces interprètes.
«A la base, il s’agissait essentiellement de traduction de documents, à 80%, puis d’interprétariat à 20%, mais la demande n’était pas comparable à ce qui se passe actuellement!» © PHOTO: Shutterstock
On pourrait penser qu’il y a d’un côté ceux qui font l’histoire avec un grand H, et d’un autre, ceux qui la racontent. Mais il y a un entre-deux, il y a ces personnes de l’invisible, notamment pour les réfugiés fuyant les combats et la misère: les interprètes.
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C’est le cas d'Olga*, dont les sollicitations pour ses services ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022. Ukrainienne vivant au Grand-Duché depuis plus de quinze ans, elle confie sans détour «que les demandes tournaient au ralenti depuis le covid et les confinements. Et même avant cela, mes activités étaient surtout en lien avec des entreprises, rarement des civils».
«Etre utile et aider les autres»
Discrète, presque dans l’effacement, elle est pourtant venue à notre rencontre pour témoigner de la réalité et de la complexité de son métier, auquel elle n’était pas destinée au départ. Pourtant, de son parcours émaillé de l’Ukraine à Luxembourg, un fil rouge, celui «d’être utile et d’aider les autres».
«J’ai d’abord été enseignante en Ukraine, mais je faisais déjà de la traduction également, de l’ukrainien vers l’anglais. Quand je suis arrivée, je ne pouvais pas enseigner au Grand-Duché, mais on m’a proposé de faire de la traduction, ce que j’ai fait, mais pas à temps plein au départ.»
Je suis toujours très attachée à mon pays. Son histoire, c’est aussi mon histoire.
Ce seront finalement deux licenciements économiques dans le domaine de la finance qui lui feront considérer la question du temps plein. «A la base, je dirais qu’il s’agissait essentiellement de traduction de documents, à 80%, puis d’interprétariat à 20%, mais la demande n’était pas comparable à ce qui se passe actuellement!»
Le fait est que depuis l’arrivée des réfugiés ukrainiens, la dimension de son métier a énormément évolué, et au-delà de ces changements, c’est une histoire à trois niveaux qui s’écrit et s’entremêle: l’évolution du conflit sur place, celle des réfugiés qui viennent au Luxembourg, et la sienne.
«Je suis toujours très attachée à mon pays, que j’ai quitté pour des raisons personnelles qui n’ont rien à voir avec la guerre. Son histoire, c’est aussi mon histoire. J’y ai encore beaucoup d’amis, de la famille, le lien n’a jamais été rompu avec ma terre natale. Le début de la guerre a été un choc et entendre des témoignages me renvoient à mes proches toujours là-bas, pour qui je m’inquiète.»
Il m’est arrivé plusieurs fois d’être en ligne avec mes parents et d’entendre des tirs en fond, c’était traumatisant.
Une angoisse qu’elle a ressentie pendant des mois en pensant à ses parents, vivant dans l’une des régions les plus touchées par les bombardements. «Il m’est arrivé plusieurs fois d’être en ligne avec eux et d’entendre des tirs en fond sonore, c’était traumatisant, pour eux, comme pour moi…»
Il lui faudra des mois pour les convaincre de quitter la seule vie qu’ils aient connue pour venir la rejoindre.
«Énormément de questions, auxquelles j’essaye de répondre»
«La situation devenait trop compliquée pour eux, il y a sans arrêt des coupures d’eau et de courant, et lorsque l’alerte antiaérienne est déclenchée, tout ferme. Maintenir un suivi médical propre aux personnes d’un certain âge relevait également de l’impossible, je suis soulagée qu’ils soient ici, bien qu’ils pensent déjà à repartir!»
Il y a des problèmes liés à la reconnaissance des diplômes qui créent des situations tendues si on ajoute la barrière de la langue pour se faire comprendre.
Un souhait «que beaucoup de réfugiés ont» d’après Olga. «Cela fait maintenant un an révolu que je suis au contact avec beaucoup de réfugiés et je peux vous assurer qu’aucun d’entre eux ne souhaite profiter du système. Ce qu’ils ont, ce sont des questions, énormément de questions, auxquelles j’essaye de répondre, car j’estime que mon travail ne s’arrête pas à traduire des diplômes et des documents officiels ou une conversation. J’essaye de leur donner le plus de clés possible pour qu’ils s’intègrent, trouvent un travail, un logement, pour garder leurs esprits occupés et détournés de toutes ces incertitudes de la guerre.»
Une dimension sociale qui ne lui fait donc pas peur. «Il y a des problèmes liés à la reconnaissance des diplômes qui créent des situations tendues, d'autant plus si on ajoute la barrière de la langue, qui entraîne des difficultés à se faire comprendre. Il y a aussi des problèmes avec les adolescents.»
Sa plus grande fierté? «Lorsque je sens que je parviens à faire la différence. Par exemple, j’ai accompagné un groupe d’Ukrainiens pour des entretiens d’embauche et ils ont obtenu des CDD. Ce sont des nouvelles positives pour eux quand cela arrive, une preuve que la vie continue. J’ai d’ailleurs rencontré des familles dont les bébés sont nés ici, la vie ne s’arrête pas, même si les souffrances sont intenables!»
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Des interrogations qui devraient être celles de tous, selon elle. «La question n’est pas seulement de savoir quand ça va s’arrêter, mais où, à quelles frontières? J’ai beaucoup repensé aux paroles de ma professeure d’histoire du collège: elle disait que cela faisait bien des décennies que nous étions en paix quand j’étais adolescente, et qu’il ne fallait pas oublier que la paix ne dure jamais éternellement. A l’époque, je la trouvais pessimiste, dans l’improbable. Mais elle avait tellement raison… Il ne faut jamais croire que la guerre ne se conjugue qu’au passé.»
*Le prénom a été changé dans un souci d’anonymat