La religion catholique en question
Depuis l'avènement du pape François, la religion catholique se pose des questions de façon plus ouverte. La séparation de l'Église et de l’État au Luxembourg, qui constitue un événement historique, pousse elle aussi à la remise en question au Grand-Duché.
La célébration de l'Octave, à la cathédrale Notre-Dame- © PHOTO: Joaquim Valente
PAR ANNE FOURNEY
Depuis l'avènement du pape François, la religion catholique se pose des questions de façon plus ouverte. La séparation de l'Église et de l’État au Luxembourg, qui constitue un événement historique, pousse elle aussi à la remise en question au Grand-Duché. Les pratiquants se font plus rares dans les lieux de culte. Dans ce contexte, l'Église se veut plus accessible et ouverte en tant que communauté.
Première religion du pays, on estime la proportion de catholiques à 39% de la population de 550.000 personnes résidant au Luxembourg. Ces chiffres proviennent d'un sondage effectué en 2013 par TNS Ilres ayant pour thème « Le fait religieux au Luxembourg ».
Les chiffres relatifs aux sacrements célébrés au Luxembourg permettent d'avoir une vue d'ensemble sur la situation de la religion catholique dans le pays. La législation sur la protection de la vie privée ne permettant pas de connaître la confession de chacun, il est impossible d'avoir des statistiques précises sur le nombre de croyants rattachés à un culte.
Ces données sont donc les plus parlantes mais aussi les seules dont on dispose pour observer l'évolution de la pratique religieuse catholique. Ce n'est pas une surprise, la religion catholique connaît une perte de popularité dans la plupart des pays d'Europe. Le nombre d'enterrements religieux diminue, l'on constate une certaine stabilité pour les premières communions, alors même que le nombre de baptêmes est en baisse.
Leo Wagener, délégué épiscopal au moment de notre entretien et aujourd'hui vicaire général. © PHOTO: Gerry Huberty
En 1995, sur 5.421 naissances au Grand-Duché, 3.599 baptêmes ont eu lieu (soit 66,39% de baptêmes catholiques); en 2005 on dénombrait 2.731 baptêmes sur 5.371 naissances (soit 50,85%) et en 2013 – derniers chiffres connus – 2.572 baptêmes pour 6.115 naissances (soit 42,06%).
« Il est difficile d'évaluer avec exactitude le nombre de baptêmes », nuance Leo Wagener, délégué épiscopal au moment de notre entretien et aujourd'hui vicaire général. « De nombreux Portugais, par exemple, font baptiser leur enfant dans leur pays d'origine. » Cependant, « si le nombre de baptêmes et de premières communions diminue alors que la population augmente, ce déclin est d'autant plus marqué », ajoute-t-il.
Que vont devenir les églises ?
La religion catholique compte environ 500 lieux de culte, toutefois « il n'existe pas d'inventaire exhaustif ». En dehors des églises, il existe d'autres lieux de culte établis dans des enceintes privées comme des maisons de retraite. Au-delà du changement historique que constitue cette séparation de l'Église et de l'État, apparaît la question du patrimoine architectural que représentent la plupart des églises luxembourgeoises. Et il peut être difficilement concevable pour un Luxembourgeois attaché à son pays, ou croyant, de voir une église devenir une bibliothèque ou autre lieu public. Que vont devenir ces églises ?
Il est encore trop tôt pour le savoir. « On n'en est qu'au stade de l'information pour le moment », tempère Leo Wagener. « Des pourparlers sont nécessaires entre les fabriques d'église et les communes. » Douze réunions d'information ont d'ailleurs été organisées dans diverses communes à cet effet. Il est parfaitement envisageable que les communes elles-mêmes souhaitent les conserver comme lieux de culte.
Des lieux de culte partagés
Plusieurs confessions chrétiennes se partagent déjà des lieux de cultes. Un système qui va peut-être se répandre à l'avenir, ce qui permettrait aussi de partager les frais d'entretien et de chauffage (ce dernier était souvent pris en charge par les communes). Un fonds sera créé par l'Église afin d'assumer ces frais car le texte de la convention est très clair sur ce point : « Le Fonds sera seul responsable de la gestion des édifices qui lui seront confiés ainsi que de l'administration de l'intégralité du patrimoine qui lui sera transmis pour assurer ses obligations. Un cofinancement de ses activités par le secteur communal sera exclu. »
« Le défi n'est pas si énorme »
« Notre mission est d'annoncer le Christ et de faire Église, nous en gardons les moyens, la possibilité. L'Église n'est pas seulement présente dans les lieux comme les églises ou les chapelles, mais aussi dans les hôpitaux, les maisons de retraite et autres endroits… », rappelle Leo Wagener. « Le changement de mentalité qui nous est demandé est énorme car dans le passé, l'Église n'a pas tellement eu à se soucier de l'aspect matériel au Grand-Duché. »
Pour l'abbé Maurice Péporté, curé de la communauté pastorale d'Ettelbruck, cette séparation entre l'Église et l'État tombe finalement sous le sens et va renforcer l'engagement des croyants dans la foi : « L'État n'a rien à faire avec la religion. La foi est un choix personnel, privé. » Il ne pense pas que cela bouleverse son quotidien de prêtre pour autant. « Il sera demandé aux gens plus d'engagement et pas seulement financier, c'est clair. Cela nous fait prendre davantage conscience de la responsabilité que nous portons en tant que membres de l'Église et nous incite à donner un message positif. Cette séparation Église et État n'est pas un bouleversement si énorme. C'est un défi pour nous et il faut le voir positivement. »
Quelles sont les perspectives d'évolution pour l'Église ?
Aujourd'hui la vie des gens n'est plus rythmée par le fait religieux, analyse Leo Wagener. «Jusque dans les années cinquante ou soixante, la vie était rythmée par les messes du dimanche. Aujourd'hui la vie est plus complexe et autonome par rapport à la religion. La vie de loisirs a pris une autre dimension. Il est devenu difficile de prendre du temps pour la dimension spirituelle, religieuse. Il faut déjà avoir une approche personnelle, une adhésion personnelle à la foi pour avoir la force de participer à la vie d'une communauté et pour vivre la foi au quotidien.»
«L'évêque insiste sur le langage que nous utilisons : parler une langue simple, donner plus de poids à la solidarité, vivre la charité. Il faudra aussi différencier la pastorale, adapter nos contenus à des enfants, des jeunes, même si cela est difficile car la foi, la pratique spirituelle, la prière nécessitent le silence. Or de nombreux paramètres sont aujourd'hui éloignés de la vie des jeunes qui, avec les réseaux sociaux et internet en général, sont habitués à la réponse immédiate. Être chrétien doit prendre une autre dimension au Grand-Duché : il doit y avoir plus de fraternité et de communication. Nos offices ne représentent pas d'intérêt pour les jeunes. Nous devons faire en sorte de leur permettre de faire un cheminement vers la foi.»
Témoignage: «Être pratiquant, c'est s'engager»
«Être pratiquant, c'est s'engager», insistent Chantal et Pierre Heuschling. «Pour beaucoup de gens être pratiquant c'est aller à la messe le dimanche, pour d'autres c'est participer à l'organisation de réunions, de manifestations, ou préparer les enfants à la communion ou à la confirmation.»
Ce couple consacre en moyenne une heure par jour à son engagement pour la paroisse de Bonnevoie. Tous deux sont membres du conseil paroissial. Depuis longtemps, même s'ils ont dû interrompre leur engagement quelques années pour élever leurs deux fils, aujourd'hui âgés de 18 et 20 ans. Pour eux, fini la pratique religieuse. «C'est trop dur pour eux de se lever le dimanche matin pour aller à la messe, surtout quand ils ont fait la fête la veille!», sourit leur maman, en précisant que ses fils ont été enfants de chœur, jusqu'à il y a deux ans. «Moi aussi j'avais laissé tomber pendant quelques années, à leur âge», ajoute Pierre Heuschling sans nostalgie.
Chantal et Pierre Heuschling © PHOTO: Chris Karaba
A la question «Comment vivez-vous votre foi au quotidien», Pierre Heuschling répond par une parabole: «Connaissez-vous la parabole des deux chariots embourbés? Deux hommes ont chacun un chariot embourbé. L'un d'eux prie et l'autre tire de toutes ses forces pour faire avancer son bœuf. Dieu arrive et aide celui qui essaie d'avancer. Voilà: pour nous, c'est pareil, on préfère avancer», résume-t-il de façon pragmatique. «On fait, on avance, on aide, on aime», ajoute simplement Chantal Heuschling.
Tous deux se disent favorables au «réformisme engagé par le pape François, pour ouvrir davantage l'église aux minorités, aux femmes, aux homosexuels. (…) On ne peut pas prêcher l'égalité si on ne l'applique pas au sein même de l'Église!» estime Pierre Heuschling. «Je crois que l'Église devrait s'ouvrir et se poser des questions.»