Le budget 2022 entre attaques et défenses
A la Chambre, mercredi, les partis majoritaires parlaient d'un budget de l'État tourné vers l'avenir quand l'opposition criait au statu quo politique. Un exercice auquel se pliait le ministre des Finances Pierre Gramegna pour la dernière fois.
Gilles Roth, ici au centre, a été le premier à attaquer le budget 2022 au nom du CSV. © PHOTO: Anouk Antony
(pj avec Michèle GANTENBEIN) Ministre des Finances depuis 2003 (et maintenant sur le départ), Pierre Gramegna (DP) a défendu devant la Chambre, mercredi matin, son dernier budget. Son dixième, celui pour 2022. Et au lendemain de l'analyse des propositions comptables par le rapporteur Dan Biancalana (LSAP), deux sons de cloche se sont fait entendre. Majorité et opposition ne posant pas le même regard sur les perspectives avancées pour l'année à venir.
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Premier à ouvrir le feu : Gilles Roth. Et le spécialiste des questions financières du CSV a tout de suite taclé un budget de 23 milliards d'euros qui, selon le parti chrétien-social, «ne montre aucune voie pour plus de protection du climat ou de justice sociale». Pour le député, les chiffres avancés ressemblent bien plus à une opération marketing de l'actuelle coalition tricolore qu'à des engagements forts.
Pour Gilles Roth et le CSV, l'inquiétude vient de la stabilité des finances de l'Etat alors que, depuis une vingtaine d'années, l'excédent de la sécurité sociale ne cesse de se dégonfler. Le solde qui jusque-là servait notamment à combler en partie le déficit du trésor public pourrait juste devenir un lointain souvenir. «Cela ne peut pas bien se passer à long terme», prédit le député-bourgmestre de Mamer. Et d'accuser Pierre Gramegna d'avoir laissé doubler la dette nationale.
Un grand nombre de parents isolés n'arrivent même plus à joindre les deux bouts
La seconde salve vise le poids de la fiscalité sur les salariés. Donc de facto la baisse du pouvoir d'achat, «et pourtant ils ne couvrent pas le déficit des finances de l'Etat avec les revenus».
Citant une publication de la fondation Idea, le député CSV est aussi revenu sur la situation délicate de nombreuses familles monoparentales dans le pays. Un tiers de ces parents célibataires avec un enfant et même plus d'un parent isolé sur deux (58,7 %) avec plusieurs enfants connaîtraient des difficultés en fin de mois. Impossible dans ces conditions de donner quitus au budget 2022 et dire que la politique financière choisie est bonne «alors qu'un grand nombre de parents isolés n'arrivent même plus à joindre les deux bouts».
La troisième salve a visé la politique de construction de logements. Selon Gilles Roth, les promesses ne sont pas tenues dans le domaine. Certes, entre 2013 et 2020, la SNHBM et le Fonds du logement ont réalisé 1.781 logements, mais l'opposition s'interroge sur le fait que ces deux acteurs publics de l'habitat puissent faire beaucoup plus. «Comment sont-ils censés construire 2.000 appartements par an?», s'est ainsi interrogé Roth, faisant référence aux 8.200 nouveaux logements annoncés par le Premier ministre Xavier Bettel (DP) à l'horizon 2025.
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Si la gratuité de la garde des enfants, en période scolaire, a reçu l'aval du parti chrétien-social, ses députés suggèrent au gouvernement d'accorder alors une aide aux familles qui s'occuperaient elles-mêmes de leur progéniture. Autre suggestion, plus sur le ton de la critique cette fois, pourquoi l'Etat ne listerait pas clairement les fonds de sa politique climat ? Cela permettrait de savoir en toute transparence vers quels investissements ces sommes sont destinées, et donc analyser l'impact positif ou non. Sans cela, toutes les annonces et l'argent versé ne seraient que du greenwashing.
Ouf, Gilles Baum au nom du DP a apporté plus de complaisance dans sa lecture du budget proposé par son collègue de parti. Pour le chef du groupe libéral, voilà bien des pistes suivant deux lignes : la prudence et la responsabilité. Un budget qui «garde un œil sur les risques, reconnaît les opportunités et fixe le cap pour l'avenir du pays». Et même d'évoquer un «gudde cru»!
Pour le DP, les objectifs fixés à l'heure de la crise covid (protection de la santé, stabilisation de l'économie, sauvegarde des emplois) ont été atteints. «Et nous avons réussi parce que nous sommes entrés dans la crise avec des finances publiques saines.» Selon Gilles Baum, dans les années à venir, le fardeau de la dette diminuera régulièrement. Lui pronostique même «en 2024, un équilibre dans l'ensemble des comptes de l'État».
Et pas question pour cela, comme l'avait suggéré le vice-Premier ministre Dan Kersch (bientôt remplacé lui aussi) de recourir à quelque chose du genre «impôt covid». Xavier Bettel avait déjà signifié son refus à ses partenaires socialistes de gouvernement, Baum suit cette même opinion. A l'en croire, une telle taxe freinerait l'économie et sanctionnerait des entreprises «qui ont été particulièrement innovantes pendant la crise».
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Mais Gilles Baum a surtout réservé ses flèches à Gilles Roth et au CSV qui estiment que le gouvernement a trop mis de côté, ce qu'il nomme les «cinq poires pour la soif». Et l'élu libéral de rappeler combien l'actuelle coalition avait beaucoup investi dans le pays depuis 2013, à l'image du gouvernement CSV-LSAP en 2008/2009 lors de la crise financière. «A cette différence près que nous n'avons pas grevé la population d'un nouvel impôt.»
Cette ''générosité" s'est notamment traduite par un niveau de dépenses inédit en matière de chômage partiel, de congés pour raisons familiales et la hausse de l'indemnité d'inflation. De quoi coûter 1,5 milliard d'euros aux finances publiques. «Les voilà les 1,5 milliard d'euros qui manquent pour lancer une réforme fiscale», a déclaré Baum en réponse à l'allégation du CSV selon laquelle le gouvernement n'avait pas tenu sa promesse sur ce point.
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Quant aux attaques sur la baisse du niveau de vie des foyers luxembourgeois, le DP y répond en s'appuyant sur une publication du Statec d'octobre 2021. Celle-ci indique que la période de pandémie traversée n'avait jusque-là pas eu d'impact significatif sur les revenus des ménages. Pas de quoi empêcher le gouvernement de soutenir les plus faibles.
«Même avant la pandémie, la justice sociale a toujours été au centre des préoccupations», a conclu Gilles Baum en signalant, comme cela a été confirmé lors de la récente tripartite, que 2022 verrait de nouvelles mesures sociales être mises en oeuvre. Il est ici question, notamment, de la réindexation des allocations familiales, une nouvelle augmentation de l'allocation de vie chère ou de l'introduction (à la rentrée de septembre) de repas gratuits dans les cantines scolaires pour 44.000 élèves. Mais c'est Yuriko Backes, future ministre des Finances, qui gérera cela.