Le commerce en overdose de télétravail
Le recours au télétravail a permis de contenir l'épidémie de covid au Luxembourg. Mais l'éloignement persistant de milliers de salariés pénalise durement des commerçants et restaurateurs pour qui l'absence physique de clients devient un virus fatal.
Les télétravailleurs n'ont pas seulement changé d'organisation professionnelle mais aussi adopté de nouvelles habitudes de consommation.
(Maurice FICK & Patrick JACQUEMOT) – Le ministre du Travail, Dan Kersch (LSAP), l'avait annoncé quelques jours plus tôt. Et de fait, les feux sont passés au vert la semaine écoulée pour le télétravail des frontaliers belges, juste avant leurs collègues français, sans oublier les «Pendler» allemands. Dans tous les cas, les accords bilatéraux signés entre le Luxembourg et les trois Etats pour la prolongation des jours télétravaillés sans changement fiscal courent ainsi jusqu'à la fin 2020.
Une bonne nouvelle pour de nombreux salariés, notamment du secteur financier, mais aussi employés de l'administration, qui peuvent travailler depuis leur domicile. Mais aussi pour la bonne santé du pays puisque le travail à distance continue de contribuer à endiguer la propagation du covid-19. Son taux de transmission a pu ainsi être divisé par 20. Enfin, le home-office a permis de maintenir l'activité économique du Luxembourg.
Si elle a effectivement sauvé des vies comme l'expliquait le Dr Aline Muller, directrice du LISER, cette façon de travailler pourrait contribuer aussi à... faire mourir des commerces. La vice-présidente de l'Union commerciale de la Ville de Luxembourg, Mireille Rahme-Bley, a ainsi expliqué lors de la présentation de la Grande braderie de ce lundi, que «le peu de tourisme et le télétravail pénalisent énormément» les boutiques et le secteur Horeca en ville.
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Pour les commerçants, cafetiers et restaurateurs implantés notamment dans le quartier des affaires de la capitale, la nouvelle prolongation des accords fiscaux pour le télétravail représente quatre mois de plus à tenir sans le «vivier» des salariés qui sont autant de consommateurs potentiels. «Les commerçants établis au Kirchberg souffrent le plus car les gens qui font leur pause entre midi et 14 heures ne sont pas là», glisse ainsi Mireille Rahme-Bley.
Les syndicats OGBL, LCGB et Aleba se félicitent du télétravail prolongé pour les frontaliers jusqu'au 31 décembre sans qu'il y ait de répercussion sur l'imposition. Et tous trois partagent grosso modo la même vision sur la place à accorder au travail à domicile dans un futur sans coronavirus. Soit de l'ordre d'une journée par semaine privée de présentiel au bureau.
20% du temps pour travailler à domicile demain ?
Dans la foulée de l'OGBL qui réclame 55 jours de travail hors du Luxembourg, le LCGB, par la voix de son secrétaire général-adjoint Christophe Knebeler, rappelle les deux revendications affichées dès janvier: «harmoniser les seuils entre Etats voisins» et «atteindre le seuil de 25% du temps de travail, comme autorisé par nos textes de Sécurité sociale, soit 55-56 jours».
L'Association luxembourgeoise des employés de banque et assurance (Aleba) défend, «depuis plusieurs années, l'idée d'un jour de télétravail par semaine, pour différentes raisons dont le bien-être au travail et les impacts écologiques et mobilitaires», souligne son secrétaire général, Laurent Mertz.
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Si les syndicats estiment que les accords trouvés donnent plus de prévisibilité aux employeurs et leurs salariés, ils savent bien que le télétravail qui perdure n'a pas que du bon. «C'est une réponse à une situation de crise», résume Jean-Paul Olinger, directeur de l'Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). Avant de relever qu'«avec le télétravail généralisé, les centres-villes, et pas seulement à Luxembourg, sont moins peuplés. Du coup les conséquences s'en font ressentir pour les marchands, cafetiers et restaurateurs».
Le recours au télétravail massif n'est pas une situation durable pour autant de monde et pour autant de temps à l'avenir
Cette prise de conscience du patronat, est aussi partagée par les syndicats. Se disant solidaire des travailleurs de l'Horesca et du commerce de détail, Roberto Mendolia, président de l'Aleba, voit bien que «ce télétravail actuel ''à forte dose'' a des conséquences négatives sur ces secteurs, et il faut trouver des solutions pour éviter des drames sociaux et des pertes d'emplois massives, liés à une nette diminution de la consommation en lien avec le télétravail».
La version post-covid déjà dans les tuyaux
«L'épidémie est venue imposer le télétravail à toute la société. Pas seulement à ceux qui le pratiquent, mais à tous les éléments de la chaîne économique», résume bien Christophe Knebeler. Le secrétaire général-adjoint du LCGB «comprend la situation difficile des commerçants et «le vide artificiellement créé par l'épidémie en cours». Sa solution ? Que «le gouvernement avec les partenaires sociaux révisent d'abord les aides apportées à ces boutiques, à ces restaurants qui indirectement souffrent du fait que des milliers de salariés ne se rendent pas et n'achètent pas sur leur lieu de travail».
Si pour l'instant le recours au télétravail massif est «une question sanitaire, éthique presque (puisque cela revient à prendre soin de la santé de soi et des autres), ce n'est pas une situation durable pour autant de monde et pour autant de temps à l'avenir», défend Christophe Knebeler. Pensée que partage pleinement le patronat. Son représentant, Jean-Paul Olinger, est d'avis que «le télétravail doit se réinventer et certainement pas de façon aussi généralisée». Il voit la solution dans un «juste milieu» entre les besoins des salariés, l'organisation des équipes mais aussi la vie sociale.
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Déjà la problématique est en cours de réflexion par le Comité économique et social. Le CES planche d'ailleurs activement sur la rédaction d'un prochain avis sur la question du télétravail de demain, celui pour «les temps normaux». Mi-septembre, le document tant attendu (compris par le gouvernement) devrait sortir.
Mais le LCGB est formel : «Le monde d'après se fera avec le télétravail. Les commerces doivent donc d'ores et déjà penser à modifier leur offre, leur localisation. Si les clients ne sont plus là où ils les attendaient, plus avec les mêmes attentes, alors il faut suivre le mouvement et surtout pas rester immobiles en attendant que cette source de revenus ne revienne.»