Le conseil communal de la capitale affiche ses désaccords sur la mendicité
Toute forme de "mendicité" doit être interdite, à des heures spécifiques et dans des lieux désignés. Mais les désaccords entre élus sont nombreux.
Un mendiant qui fait la manche dans les rues de la capitale. © PHOTO: Gerry Huberty
Sur le chemin de l’hôtel de ville de la capitale, les personnes dont il sera question durant le conseil communal sont visibles à de nombreux endroits.
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Lors de la séance, il a été question de la mendicité et d'une interdiction générale dans ce contexte. Et rarement les désaccords entre la majorité et l'opposition ont été plus audibles que sur ce sujet. Après trois heures de discussion, la délibération a été adoptée par les voix de la majorité, l'opposition a voté contre en bloc.
Quelles sont les modifications à apporter ?
L'article 51 du règlement actuel interdit déjà la mendicité organisée. Dans le nouveau règlement, celui-ci portera le numéro 41. S'y ajoute un nouvel article, le numéro 42.
Celui-ci stipule : «Dans l'intérêt de la sécurité et de l'hygiène publiques, toute autre forme de mendicité est interdite du lundi au dimanche et entre 7 et 22 heures». Des indications de lieu précises sont également une nouveauté. Dans la ville haute, il s'agit par exemple d'un périmètre à l'intérieur des rues suivantes : boulevard Royal, côte d'Eich, rue du Palais de Justice, rue Wiltheim, rue Large, rue du Saint-Esprit, plateau du Saint-Esprit et boulevard F.D. Roosevelt.
A cela s'ajoutent des rues du quartier de la gare, des places publiques comme le champ du Glacis ou la place Léon-XIII et des parcs comme celui de Merl le skatepark de la Pétrusse.
Que dit le collège échevinal ?
La bourgmestre Lydie Polfer (DP) a livré un message avant les interventions des conseillers : «Tous ceux qui veulent voir, remarquent que le problème s'étend de plus en plus. Et depuis des années, nous demandons que des mesures soient prises.» Par cette déclaration, ce sont surtout la justice et la police qui sont visées. Avec la modification du règlement, voici ce qui doit se passer : «Nous voulons faire de la mendicité organisée un sujet de préoccupation. Nous voulons créer une nouvelle prise de conscience.»
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Dans ses remarques, l'échevin des affaires sociales, Maurice Bauer (CSV), a abordé un autre point : «Il s'agit d'aider les personnes dans le besoin. C'est une responsabilité que la Ville de Luxembourg a toujours assumée. J'entends dire que nous ne faisons rien contre la pauvreté. C'est globalisant. Les personnes que nous visons refusent catégoriquement notre aide. Nous pouvons et voulons aider tout le monde.»
Que dit l'opposition ?
Eduarda de Macedo (Déi Gréng) : «L'espace public est pour tout le monde, même si les mendiants peuvent être dérangeants. Mais la répression n'est pas une solution. Cette mesure relève de la polémique électorale et n'est que symbolique. Il ne faut pas tout mélanger. La bourgmestre n'a pas réussi, au cours de ses années de mandat, à garantir la sécurité dans la capitale.»
Tom Krieps (LSAP) : «Il y a aussi un problème juridique avec cette modification. Lorsque la nouvelle Constitution entrera en vigueur le 1er juillet, les restrictions à la liberté individuelle devront être régies par des lois. Et dans ce cas, notre règlement de police n'est plus conforme à la Constitution. On pourrait même dire qu'il s'agit d'un ''détournement de loi''. Nous prenons un risque avec cette modification. L'Etat de droit n'est pas toujours aussi simple. Mais comme toujours avant les élections, on dit à la population qu'il y a du danger dans la ville de Luxembourg.»
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Elisabeth Margue (CSV) : «Nous devons protéger les personnes qui deviennent des victimes de la mendicité organisée. En tant que politiciens, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. C'est pourtant ce que veulent faire plusieurs personnes. Nous devons trouver d'autres moyens de lutte contre ce modèle économique.»
Guy Foetz (Déi Lénk) : «C'est une mesure disproportionnée. La Ville de Luxembourg ne peut pas faire ses propres lois, comme elle le fait pour l'utilisation d'agents de sociétés de sécurité privées. Madame la bourgmestre, vous avez vous-même reconnu que la mise en œuvre de cette mesure est difficile. L'écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. Cette mesure relève du populisme électoraliste destiné à rapporter des voix.»
Héloïse Bock (DP) : «Le problème existe, même si vous (en direction des représentants de Déi Gréng, ndlr) voulez le balayer sous le tapis. Le problème est présent. Il faut arrêter de penser que le problème n'existe pas.»
Y a-t-il des chiffres ?
Oui, mais seulement dans les cas où la police a établi un rapport. Selon le code pénal, la "mendicité simple" n'est plus punissable, mais la "mendicité en réunion" l'est.
Le nombre de procès-verbaux rédigés par la police au cours des dernières années est le suivant : 12 en 2019, 42 en 2020, 35 en 2021 et sept l'année dernière (statistiques non encore complètes). Comme il ressort de la réponse à une question parlementaire posée par le député ADR Fernand Kartheiser aux ministres Sam Tanson (Justice) et Henri Kox (Police/tous deux Déi Gréng) début février de cette année, il s'agit des chiffres à l'échelle nationale. Les statistiques ne permettraient pas de tirer des conclusions sur les localités où ces cas se sont produits.
De telles dispositions existent-elles déjà dans d'autres communes ?
Oui, Diekirch et Ettelbruck ont modifié leur règlement de police respectivement en 2020 et 2021. D'une interdiction stricte de la mendicité, on est passé à une interdiction avec des restrictions temporelles et géographiques. Dans les deux communes, l'interdiction s'applique du 1er mai au 31 octobre, entre 9 et 20 heures, et dans des lieux définis.
A Dudelange, un article du règlement de police stipule depuis 2010 que le bourgmestre peut limiter la mendicité dans la commune à des endroits et des moments spécifiques. Interrogé par le Luxemburger Wort, le bourgmestre Dan Biancalana (LSAP) révèle que cet article n'a jamais été appliqué jusqu'à présent.
La mendicité n'est pas punissable. Un mendiant ne représente pas un danger.
«L'année dernière, nous avons constaté une augmentation de l'activité», explique Biancalana. «Nous nous sommes réunis avec les services communaux et la police. Suite à cela, un dépliant contenant des informations et des conseils a été distribué», poursuit le bourgmestre. «Nous voulions agir de manière proactive. La mendicité n'est pas punissable. Un mendiant ne représente pas un danger.» Dan Biancalana révèle encore que le règlement de police est en cours de révision et que ce passage fait également l'objet de discussions.
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Il reste à mentionner que jusqu'au début de cette année, les modifications des règlements de police ne devaient pas être approuvées par le ministère de l'Intérieur. Ce n'est plus le cas. Mais depuis le début de l'année, aucune modification n'est encore parvenue au ministère de l'Intérieur pour approbation.
Que dit la jurisprudence ?
Début 2021, la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg a examiné le cas d'une femme qui s'était retrouvée en prison à Genève pour mendicité après avoir été incapable de payer son amende.
Dans l'affaire Lacatus, la Cour s'est prononcée en faveur de la mendiante. Elle avait "le droit d'exprimer sa détresse et de tenter de remédier à cette détresse par les moyens de la mendicité".
Dans les textes, on distingue la "mendicité simple" et la "mendicité organisée". © PHOTO: Gerry Huberty
Le Luxembourgeois Georges Ravarani, qui était l'un des juges de l'affaire Lacatus, parle d'une «mesure disproportionnée» à propos de l'incarcération. Il mentionne également que la mendiante en question «n'a pas eu un comportement agressif simplement parce qu'elle tenait un gobelet à la main. Ce comportement passif ne mérite pas une peine de prison. Même s'il dérange certains, il ne suffit pas à en faire une activité illicite. C'est le prix de la vie en société. Il y a des gens qui sont gênés par des manifestations ou par la présence d'animaux domestiques dans l'espace public. Mais interdire cela purement et simplement est inimaginable. Pourtant, réglementer ces activités est possible, voire nécessaire.»
Même si ces comportements dérangent certains, cela ne suffit pas à en faire une activité illicite.
Au Luxembourg, une affaire de mendicité a été jugée par le tribunal d'arrondissement de Diekirch en octobre 2017. Le prévenu a été condamné à une amende pour deux des trois chefs d'accusation.
Dans le prononcé du jugement, les juges soulèvent un point important. «La question se pose de savoir si la mendicité, qui n'est pas organisée et n'entraîne pas de troubles pour les passants, est une affaire d'ordre public et si elle peut être réglée par une loi communale. Ne s'agit-il pas plutôt de la liberté de ces personnes de mendier auprès des habitants plus aisés de la commune et de les inciter à un acte de solidarité ?»
Cet article a été publié initialement sur le site du Luxemburger Wort. Traduction: Pascal Mittelberger