Le coût de la vie est-il plus cher pour les femmes ?
Une femme dépense plus dans un mois qu'un homme, selon le Statec. Si les causes sont multiples, la conséquence est la même. Certaines femmes, notamment les mères célibataires peuvent s'appauvrir.
© PHOTO: Illustration: virgule.lu / Source: Statec
«3.177 euros, c’est le montant dépensé en moyenne par les femmes vivant seules sans enfant en 2021 contre 2.766 euros pour les hommes dans la même situation», expliquait en mars le service central des statistiques (Statec) dans un communiqué. Soit 411 euros de plus par mois.
Dans cette enquête sur le budget des ménages, le Statec a également estimé les dépenses des femmes et des hommes sur une année entière, pour différents postes de dépenses. Cela permet de comprendre ce qui pèse le plus dans le budget des femmes, par rapport à celui des hommes.
Ainsi, l’écart est particulièrement visible sur l’achat d’équipements ménagers et de produits d’entretien, ainsi que les dépenses dans les loisirs et la culture, avec plus de 2.000 euros de différence. Pour rappel, six femmes sur dix au Luxembourg disaient s’occuper seules (complètement ou en partie) des tâches ménagères, en 2021, contre 24% des hommes, selon l’étude «Gender Equality Index». Mais, ce sont surtout la catégorie «biens et services» et le logement qui pèse le plus pour une femme seule. Leur budget dans ces postes de dépenses est de plus de 4.000 euros supérieur à celui d’un homme seul.
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Selon le Statec, ces différences seraient en partie liées au fait que « les hommes vivant seuls sont relativement plus jeunes et plus souvent locataires que les femmes vivant seules. Par voie de conséquence, le niveau de vie des femmes seules est plus élevé en moyenne que celui des hommes seuls ». Mais, si cette précision peut partiellement expliquer les dépenses plus élevées dans le logement et les loisirs, est-ce la seule raison ? Ces écarts peuvent-ils avoir un impact sur le coût de la vie des femmes en général ?
Acheter plus et plus cher
Une autre piste pour comprendre pourquoi les femmes dépenseraient davantage que les hommes est un argument, régulièrement mis en avant par les associations féministes. Pour des raisons purement marketing, les prix seraient ainsi délibérément fixés à un niveau plus élevé sur les produits vendus aux femmes que ceux destinés aux hommes. Un phénomène connu sous le nom de «taxe rose».
«Les femmes sont encouragées à se rendre belles pour les hommes, [...] mais pas pour elles-mêmes», explique Christel Baltes-Loehr, spécialiste des questions de genre. Elle souligne que ces idéaux de beauté ont été promus par l'industrie capitaliste et le commerce. Les femmes sont ciblées comme étant celles qui doivent investir du temps et de l'argent pour répondre à ces normes. Elles sont donc vues comme les principales consommatrices et, par conséquent, les produits qui leur sont destinés sont rendus plus chers pour générer des profits, précise Christel Baltes-Loehr dans une interview.
Pour vérifier cette théorie en magasin, nous avons comparé des produits de beauté pour hommes et leurs équivalents pour femmes dans différents supermarchés de la capitale, et sur différentes marques. Voici les résultats de cette expérience.
Globalement, cette expérience a rapidement montré qu'il est difficile de prouver l’existence d’un surplus de prix pour les femmes. Certains produits sont même plus chers pour les hommes. De plus, au Luxembourg, aucune étude n’a vraiment été menée sur le sujet.
Toutefois, il est possible de citer un des exemples emblématiques de cette « taxe rose », et pour lesquels la différence se vérifie aisément, les prix chez le coiffeur. Leurs services peuvent, en effet, varier d’une trentaine d’euros pour un homme à une cinquantaine d’euros pour les femmes. Nous avons demandé à plusieurs clientes si elles constatent cette différence. Et, à leurs coiffeurs, s'ils peuvent l'expliquer.
Dans les salons, les coiffeurs justifient les différences de prix par des prestations plus longues et complexes pour les femmes. Cependant, cette différenciation des prix entre hommes et femmes pourrait disparaître à l'avenir. Une nouvelle façon de valoriser le travail d'un coiffeur serait de passer d'un prix fondé sur le sexe à un prix fondé sur le temps, explique Jeremy, propriétaire d'un salon de coiffure près du pont Adolphe.
Pourquoi les femmes sont donc prêtes à payer plus cher que les hommes pour ces prestations de beauté ? Christel Baltes-Loehr est professeure à la retraite en études de genres à l’université du Luxembourg. Elle nous explique comment les standards de beauté peuvent affecter les dépenses des femmes.
Cette nécessité de dépenser plus, notamment dans les biens et services liés à la beauté, qu’elle soit voulue ou incitée par les normes sociétales, a donc un impact sur le budget des femmes. Or, en moyenne, au Luxembourg, une femme gagne un salaire toujours inférieur à un homme, comme nous l’expliquions dans un précédent article de ce dossier consacré aux femmes du Luxembourg. À cela s’ajoute actuellement l’inflation, pesant sur le budget des ménages. Une étude est d’ailleurs en cours au centre de recherche en sciences sociales (Liser), pour évaluer la vulnérabilité des femmes face à l’inflation. Mais, elle ne devrait livrer ses conclusions qu’en septembre.
Double peine pour les mères célibataires
En outre, le plus grand défi pour le coût de la vie de ces mères célibataires, est le logement. «Lorsque je regarde mon salaire, le logement en absorbe un peu plus de la moitié», déclare une mère divorcée de deux adolescentes qui vit dans la banlieue de Luxembourg-Ville. «Je n'ai même pas de chambre pour moi», ajoute-t-elle. Malgré un salaire dédié principalement à avoir un toit au-dessus de la tête, elle n'a toujours pas de chambre pour elle. Elle doit dormir dans son salon. Et, il en va de même chez le père de ses enfants, qui dort lui aussi dans son salon afin que ses deux filles bénéficient chacune d'une chambre.
«Je travaille tout le temps. Je n'ai jamais de pause, même quand je suis de retour à la maison, je travaille [à m'occuper de mes enfants]. Et en tant que parent célibataire, on est tout seul. [...] Mes amies qui [sont des mères célibataires et qui] n'ont pas fait les mêmes études et n'ont pas eu la même expérience professionnelle que moi ont encore plus de mal. [...] Certaines sont même au bord du suicide», déclare-t-elle. Ainsi, les obstacles constants auxquels sont confrontés les parents célibataires finissent par avoir un impact sur leur santé mentale. Une autre mère célibataire ayant un fils confirme la difficulté de s’offrir un logement dans le pays. «C'est vraiment une honte et c'est épouvantable de voir combien il faut payer pour se loger ici. [...] J'ai réussi à soutenir financièrement mon fils [...], à couvrir tous les frais et à survivre. C'est le bon mot, survivre», souligne-t-elle.
Pour ces femmes, les difficultés commencent dès la recherche d'un appartement, précise une troisième mère. «Aujourd'hui, si nous cherchons un appartement de deux chambres à coucher, il coûte 2.000 euros par mois sans les charges.» Elle rappelle ainsi que dans l'immobilier luxembourgeois, les propriétaires exigent des locataires un salaire de trois fois le montant du loyer. «Dans ce système, il faudrait gagner 6.000 euros. Je ne connais aucune personne célibataire qui gagne autant.» Pour être acceptée dans un appartement, cette mère a dû demander à l'homme dont elle se séparait de signer le contrat de location avec elle. «On m'a rendue dépendante d'un homme dont j'essayais de m'éloigner et de séparer nos vies [...]. Il m'a fallu trois ans pour trouver un appartement.»
Le fait que les familles monoparentales soient plus taxées que les couples sans enfants, c'est vraiment épouvantable
Un autre facteur évoqué par cette mère est la question de l'imposition des parents célibataires et non célibataires. Par exemple, si un parent célibataire gagne 5.000 euros avant impôts, il gagnera après impôts environ 3.626 euros. Tandis que s'il est pacsé, il lui restera environ 4.132 euros. Cette mère de deux filles affirme ainsi perdre entre 500 et 600 euros par mois à cause de ce système. Un phénomène qu'elle qualifie d'«injustice sociale et juridique». Elle souligne que ces conditions difficiles pèsent surtout sur les enfants et qu'ils devraient être au centre des réflexions sur le sujet. «Le fait que les familles monoparentales soient plus taxées que les couples avec enfants, c'est vraiment épouvantable. [...] Et les politiques menées jusqu'à présent [...] n'ont pas tenu compte de cette situation.»
La ministre des finances, Yuriko Backes, se dit «consciente du problème», selon Cordelia Chaton, porte-parole du ministère. Cette dernière fait ici référence à une interview dans laquelle la ministre a déclaré à ce sujet qu'«il s'agit d'une question de justice sociale, en particulier en temps de crise. La situation particulière des parents isolés doit également être prise en compte et je pense qu'il existe un consensus entre les différents partis sur la nécessité d'une aide».
Mais, dans cette même interview, elle explique aussi «qu'avec la pandémie et maintenant la crise énergétique, les paramètres financiers ont radicalement changé. J'aurais aimé présenter une réforme fiscale majeure, mais la marge de manœuvre financière pour une telle entreprise n'est tout simplement pas disponible à ce stade».
Notre série «Femmes au Luxembourg»
Cet article fait partie de notre dossier «Femmes au Luxembourg». Toutes les mercredis, pendant six semaines, Virgule vous propose de vous interroger sur la place des femmes dans notre pays. À travers leurs témoignages, des chiffres et des éclairages d’experts, nous essayerons de répondre aux questions suivantes :
• Pourquoi les femmes sont moins payées que les hommes?
• Pourquoi le sport féminin semble moins intéresser le grand public? (à lire le 24 mai)
• Pourquoi la douleur des femmes est parfois moins prise en compte? (à lire le 31 mai)
• Pourquoi les femmes sont moins présentes dans les lieux de pouvoir? (à lire le 7 juin)
• Pourquoi les femmes sont plus soumises à la violence? (à lire le 14 juin)