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Violences faites aux femmes

Le féminicide, une réalité qui reste encore trop tue

Au Luxembourg, s'il existe bien quelques chiffres sur les homicides conjugaux, aucune statistique plus affinée ne permet de quantifier le phénomène de manière plus précise. Ce qui constituerait, pour certains, une véritable entrave à son éradication.

S'il existe quelques chiffres, aucune statistique plus affinée ne permet de quantifier le nombre de féminicides.

S'il existe quelques chiffres, aucune statistique plus affinée ne permet de quantifier le nombre de féminicides. © PHOTO: Guy Wolff

Anne-Sophie de Nanteuil

Compter les victimes de féminicides. Tel est l'objectif du projet de loi voté vendredi dernier en Belgique. Si ce recensement peut paraître banal, l'initiative constitue en réalité une première en Europe. Pour l'heure, aucun chiffre officiel n'est en effet disponible sur le Vieux Continent, bien qu'il existe quelques estimations. Au plat pays, une femme mourrait ainsi tous les sept à dix jours sous les coups de son conjoint ou ex-compagnon. En France, un décès tous les deux jours serait répertorié. Quant à l'Allemagne, elle disposerait de l'un des taux d'homicides conjugaux les plus élevés d'Europe. Au Luxembourg, ce type de crime reste en revanche bien plus difficile à quantifier.

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Le Grand-Duché n'est pourtant pas épargné par le phénomène, à l'image des nombreux faits divers survenus au début de l'automne. Une absence de statistiques que le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes (MEGA) préfère toutefois nuancer, évoquant «l'état des lieux détaillé et indispensable» des instances étatiques en matière de violence domestique.

Et il est vrai, des chiffres, il en existe bien quelques-uns. A titre d'exemple, six tentatives d'homicides ont été répertoriées en 2021. Selon le dernier rapport de la police grand-ducale, 917 appels pour des cas de violence domestique ont également été enregistrés l'an dernier. Parmi les victimes, une majorité de femmes (60,69%). Pour autant, nulle mention de féminicide.

Mettre des mots sur les maux

Un terme aux abonnés absents que regrette le monde associatif. «Un affinage des données par rapport à la relation entre les victimes et les auteurs serait nécessaire», plaide ainsi Anik Raskin, présidente du Conseil National des Femmes du Luxembourg (CNFL).

Car le phénomène ne se résume pas à une question de chiffres, c'est aussi une histoire de mots. En 2014, un rapport de la commission des droits des femmes au Parlement européen appelait ainsi les États membres à «qualifier juridiquement de féminicide, tout meurtre de femme fondé sur le genre». Avec un objectif : «élaborer un cadre juridique visant à éradiquer ce phénomène». Un appel qui, huit ans plus tard, n’a visiblement toujours pas été entendu par le Luxembourg.

La raison ? Son inutilité, affirme le gouvernement qui balaie l'idée d'un revers de la main. «L'introduction d'une infraction de féminicide n'aurait pas de portée juridique, en particulier sur la peine», plaident conjointement le MEGA et le ministère de la Justice. A l'heure actuelle, «les infractions de meurtre et d'assassinat, avec préméditation, sont punies de la peine maximale de réclusion à vie, sans égard au genre de la victime», justifient-ils encore.

Un projet de loi prévoit néanmoins bien une «circonstance aggravante», précise le porte-parole du MEGA. Celui-ci permettra alors de punir plus sévèrement «les crimes et délits commis en raison d'un mobile fondé sur un motif de discrimination». Comprenez, «en raison de son sexe». Mais là encore, la notion de féminicide est tue.

Lire aussi :«Inscrire le féminicide dans le code pénal»

Alors, combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que le féminicide ne soit inscrit dans le code pénal luxembourgeois ? Au Grand-Duché, les voix s'élèvent pourtant en ce sens. Après le meurtre d'une femme à coups de marteau et la découverte du corps décapité et démembré d'une résidente de Diekirch, déi Lénk réclamait, en octobre dernier, la création de ce cadre légal.

Pour le parti d'opposition, ne pas nommer ces violences a pour conséquence «une immense difficulté dans la compréhension, la prévention et la punition de ces actes». La gauche appelle ainsi le gouvernement à réagir. «Sans des mesures concrètes et pénales, nous continuerons d'avoir recours à des solutions au cas par cas». En d'autres termes, ne pas prendre le problème dans sa globalité constituerait une entrave à l'éradication du phénomène.

Mais en attendant, pas question de rester les bras croisés. A défaut d'un cadre, l'heure est donc au bricolage. Armées de pinceaux et de colle, celles que l'on surnomme les «colleuses» tendent à sensibiliser la population à ces féminicides. Ces militantes, anonymes, affichent ainsi sur la place publique comme sur les réseaux sociaux - depuis quelques années déjà - les violences physiques et morales que subissent les femmes. Une manière de donner de la voix à celles qui n'en ont plus.

Fémini... quoi ?

L'Organisation mondial de la Santé (OMS) définit le féminicide comme un «homicide volontaire d'une femme, au simple motif qu'elles sont des femmes».

Si le terme figure dans le code pénal en Espagne, en Italie ainsi que dans une dizaine de pays latino-américains, il n'existe en revanche pas au Grand-Duché. Et ce, malgré les revendications des associations et collectifs féministes, ou encore du parti d'opposition déi Lénk.

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