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«Le Grand-Duc Jean doit être salué comme un héros»

Alors que l'ancien chef de l'État (1964-2000) est décédé ce mardi à l'âge de 98 ans, les hommages se multiplient. Parmi eux, celui de Stéphane Bern, auteur d'un livre dédié au père du Grand-Duc Henri. Interview.

© PHOTO: Cour grand-ducale

Quel(s) souvenirs garderez-vous du Grand-Duc Jean, vous qui l'avez longtemps côtoyé ?

Stéphane Bern - «Ce qui est intéressant, c'est que le Grand-Duc Jean est un personnage qui est entré dans l'histoire. D'abord au niveau du caractère, c'était un homme d'une courtoisie incroyable, d'une simplicité, d'une gentillesse, d'une humilité et d'une chaleur humaine tout à fait étonnante. C'était un grand monsieur qui faisait partie de ces souverains très chaleureux pour qui la courtoisie voulait dire quelque chose. C'était quelqu'un de très accessible.

Stéphane Bern rencontre le Grand-Duc Jean et la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte en 1989.

Stéphane Bern rencontre le Grand-Duc Jean et la Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte en 1989. © PHOTO: Cour grand-ducale

Des particularités que vous attribueriez plutôt à son caractère ou à son éducation ?

«Les deux, selon moi. Il a reçu une éducation très stricte, car être le fils d'un monument comme la Grande-Duchesse Charlotte, ce n'est pas toujours simple. Mais il a aussi été forgé par des événements terribles. Né en 1921, il a connu non seulement le centenaire du Luxembourg en 1939, puis le danger nazi et l'exil le 10 mai 1940. La Grande-Duchesse Charlotte a choisi d'emmener avec elle sa famille qui part d'abord aux États-Unis, puis le prince Jean va choisir d'entrer dans les Irish Guards, car c'était le corps catholique de l'armée britannique.

Il m'a raconté à ce sujet une anecdote bouleversante: il était persuadé que s'il disparaissait sur le champ de bataille, il serait reconnu grâce au bracelet offert par la Grande-Duchesse Charlotte qu'il portait sur lui. En tant que prince héritier, il n'a pas été épargné car il a été envoyé sur le front. Ce qui fait qu'il a été longtemps le seul chef d'État ayant participé directement à la libération de son pays et de l'Europe.

À quelle catégorie d'homme d'État appartenait-il, selon vous ?

«Quand il régnait, il a été l'un des grands artisans de l'Europe. C'est la raison pour laquelle il a reçu le prix Charlemagne, car en tant que chef d'État, il a vraiment joué un rôle moteur dans l'Europe essayant toujours de recevoir à Luxembourg et de défendre la position de Luxembourg comme capitale européenne. Il faut aussi rappeler qu'il était appuyé par des Premiers ministres tels que Pierre Werner, Gaston Thorn, Jacques Santer ou Jean-Claude Juncker qui avaient tous de fortes personnalités.

Son caractère plus effacé a-t-il joué un rôle dans cet équilibre des forces ?

«Oui ça a joué. C'est d'ailleurs une constante, car les Grands-Ducs sont des personnalités plutôt effacées. Ou qui restent dans une sorte de réserve constitutionnelle en n'outrepassant pas leurs droits ni leurs devoirs. Mais pour autant, le Grand-Duc Jean avait ce tempérament de toujours mettre l'huile dans les rouages. Il était un facilitateur avec cette capacité à toujours créer le dialogue. Un ambassadeur absolument crédible et légitime de l'Europe.

Depuis son abdication, le Grand-Duc Jean s'était retiré dans le château de Fischbach. Cela signifiait-il qu'il s'était mis totalement à l'écart de la vie publique ?

«Absolument pas, car c'est quelqu'un qui a toujours pensé faire plaisir aux autres. Et d'un enthousiasme. Vous vous rendez compte, il est allé à l'ouverture du Forum de la Grande-Duchesse sur les violences faites aux femmes en temps de guerre. Dans ce sens, il est un support important pour la Grande-Duchesse et la famille grand-ducale en général.

Quelle trace laissera, selon vous, le Grand-Duc Jean pour la postérité ?

«Objectivement, il sera celui dont la légitimité tient à la fois de la dynastie mais aussi à celle du service rendu au Luxembourg. Car il a libéré son pays en septembre 1944, aux côtés de son père. Et cela a joué un rôle considérable que les jeunes générations ne perçoivent peut-être pas. Plus tard, ce n'est pas lui qui a construit l'Europe mais il en a été l'un des ambassadeurs absolument crédible et légitime. C'est un héros de l'histoire et il doit être salué comme tel.

Donc, selon vous, il aura réussi à ne pas être seulement le fils de la Grande-Duchesse Charlotte...

«Oui, parce qu'on ne peut pas nier l'histoire. C'est sans aucun doute, de tous les souverains, l'un des plus populaires aussi. Dans ce sens, il tient aussi de sa mère.»

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