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«Le Grand-Duc ne peut être contraint de démissionner»

Alors que Jeannot Waringo observe le fonctionnement de la Cour jusqu'à la fin janvier, la question d'une éventuelle abdication du chef de l'État a été récemment évoquée. Une option qui, selon le constitutionnaliste Luc Heuschling, «ne permettrait pas de répondre à la vraie question» sur le fonctionnement de la monarchie.

Selon Luc Heuschling, constitutionnaliste à l'Uni, le débat autour de la publication du rapport Waringo pourrait être «violent».

Selon Luc Heuschling, constitutionnaliste à l'Uni, le débat autour de la publication du rapport Waringo pourrait être «violent». © PHOTO: Pierre Matgé

La publication, par le Land la semaine dernière, d'indiscrétions quant aux conclusions potentielles du rapport Waringo a fait couler beaucoup d'encre. Et pour cause, l'hebdomadaire assure non seulement que «personne n'a d'emprise sur la grande-duchesse Maria Teresa, ni le maréchal de la Cour, ni le Grand-Duc, ni le personnel de la Cour», mais que la remise du rapport pourrait aboutir à une crise au sein de la monarchie. L'hypothèse d'une potentielle abdication du grand-duc Henri étant clairement évoquée. Eclairage autour de cette question avec Luc Heuschling, constitutionnaliste à l'Uni.

Monsieur Heuschling, les conditions politiques sont-elles actuellement réunies pour que le grand-duc Henri puisse décider de quitter ses fonctions de chef de l'État?

Luc Heuschling - «Le rapport, dont le contenu exact n'est actuellement pas connu, pourrait déclencher un débat. En supposant que ce rapport soit rendu public. Si ce dernier est un tant soit peu critique - ce à quoi tout le monde semble s'attendre -, le débat pourrait porter sur le régime juridique de la Cour et son mode de fonctionnement. Dans cette hypothèse, les choses s'annoncent très compliquées car modifier ces questions nécessite d'agir en partie au niveau de la Constitution, du droit princier lié à la famille grand-ducale mais aussi le remplacement de certaines personnes qui agissent pour le Grand-Duc.

Nommé en août 2019 au poste de représentant chargé d’examiner la politique de la Cour en matière de gestion de personnel, Jeannot Waringo doit achever sa mission fin janvier.

Nommé en août 2019 au poste de représentant chargé d’examiner la politique de la Cour en matière de gestion de personnel, Jeannot Waringo doit achever sa mission fin janvier. © PHOTO: Gerry Huberty

Luc Heuschling - «Le rapport, dont le contenu exact n'est actuellement pas connu, pourrait déclencher un débat. En supposant que ce rapport soit rendu public. Si ce dernier est un tant soit peu critique - ce à quoi tout le monde semble s'attendre -, le débat pourrait porter sur le régime juridique de la Cour et son mode de fonctionnement. Dans cette hypothèse, les choses s'annoncent très compliquées car modifier ces questions nécessite d'agir en partie au niveau de la Constitution, du droit princier lié à la famille grand-ducale mais aussi le remplacement de certaines personnes qui agissent pour le Grand-Duc.

C'est-à-dire, concrètement?

«Tout dépend des personnes qui seraient pointées du doigt. Il faudra voir la nature des problèmes qui pourraient être dévoilés dans ce rapport. De manière générale, ces discussions sont rendues d'autant plus difficiles qu'elles se déroulent dans un domaine pour le moins obscur puisque rares sont les personnes qui possèdent une compréhension globale du fonctionnement précis de la Cour. Personnellement, j'avoue ne pas avoir cette vision générale. Et peu de personnes à la Chambre comprennent ce système juridique qui date du XIXe siècle. Ce serait donc un débat à venir compliqué car très technique et très politisé. Et donc potentiellement très violent.

Ce qui signifie qu'un tel débat ne pourrait pas être résolu avec des réponses rapides...

«Effectivement. Je peux donc m'imaginer que certains - dont le Grand-Duc lui-même - imaginent se sortir de cette situation en créant un nouveau débat. Que ce soit en communiquant autour du sexe du futur enfant du Grand-Duc héritier ou autour d'une autre nouvelle, positive si possible. Car juridiquement, le Grand-Duc ne peut être contraint de démissionner, cela relève strictement d'une décision personnelle.

© PHOTO: Chris Karaba

Les interrogations actuelles portent non pas sur le chef de l'État mais sur l'influence supposée de son épouse au sein de la Cour. Qu'est-ce que cela dit de la société luxembourgeoise actuelle?

«En droit, les choses sont très claires. Les épouses des détenteurs du pouvoir n'ont aucune compétence. Les épouses de député n'ont aucune compétence quant au vote de leur époux à la Chambre. Maintenant, il ne leur est pas interdit de parler de politique matin et soir ou d'échanger des conseils. C'est la même chose pour le chef de l'État. Cela signifie donc que nous sommes dans une société très patriarcale où le conjoint du titulaire d'une fonction politique ne peut avoir d'avis personnel. Si je peux concevoir qu'il puisse y avoir des problèmes au regard du respect de certaines règles juridiques comme le droit du travail, certaines critiques se concentrent sur la personne de la Grande-Duchesse. Mais ces éléments ne sont pas de nature à créer une vraie crise politique.

Qu'est-ce qui serait alors capable de mettre en place un tel scénario?

«Si des problèmes de non-respect du droit comme des problèmes de comptabilité ou de droit du travail étaient révélés, cela devra être confirmé par une juridiction car ce n'est pas à Monsieur Waringo, comme haut fonctionnaire, de dire que tel ou tel est coupable. Bien évidemment, tout cela ne serait pas très reluisant pour la Cour et cela rejaillirait sur la famille grand-ducale. Une possibilité serait alors de décider de transmettre le pouvoir au Grand-Duc héritier, mais ce ne serait pas une entrée en fonction très facile pour Guillaume. Ce serait même un déshonneur pour le grand-duc Henri et pour son fils. Il est aussi possible que le scandale ne soit pas très fort.

Pour Luc Heuschling, rien n'empêche la grande-duchesse Maria Teresa d'influencer son époux, tout chef d'État qu'il soit.

Pour Luc Heuschling, rien n'empêche la grande-duchesse Maria Teresa d'influencer son époux, tout chef d'État qu'il soit. © PHOTO: Chris Karaba

Au fond, la question des interrogations actuelles ne porte-t-elle pas tant sur les rôles supposés au sein de la Cour que sur d'éventuels dysfonctionnements structurels?

«Je crains effectivement que la vraie discussion sur ces questions de fond ne soit repoussée. Car, encore une fois, revoir le fonctionnement de la monarchie est non seulement compliqué mais également ingrat car cela ne permet pas d'obtenir une victoire électorale. La réflexion sur ce point est pourtant en cours depuis quelque temps. Depuis que le grand-duc Henri se trouve sur le trône et les premières insatisfactions avec Maria Teresa, mais encore une fois, le groupe restreint de personnes comprenant la totalité du fonctionnement de la Cour est limité et ne constitue pas un groupe solidaire dans le sens où tous n'ont pas la même vision des changements à apporter. Sans compter le temps nécessaire à ces modifications. Ce qui me pousse à penser que la Cour va faire profil bas et jouer le temps pour que tout cela se tasse.»

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