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Le Grand-Duc reste au-dessus des lois

La récente condamnation du président Sarkozy relance la question du sort que peut réserver la justice aux dirigeants d'un pays. Au Luxembourg, si Xavier Bettel et ses ministres sont des justiciables ordinaires, le chef de l'Etat, lui, reste à l'abri de toute poursuite.

Patrick Jacquemot

Selon que vous serez puissant ou misérable... La maxime est connue, mais la récente condamnation à l'encontre de Nicolas Sarkozy vient démontrer que la justice n'aurait que faire des (hautes) fonctions. Trois ans de prison, dont un an ferme, la sanction est inédite. Si en Russie, Vladimir Poutine bénéficie d'une immunité à vie sur ses actes, qu'en est-il au Grand-Duché? «La réponse est à rechercher dans un texte remontant à l'Ancien Régime : la Constitution», assure Luc Heuschling, docteur en droit public à l'Uni.

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Et à la lecture de l'article 4, une évidence saute aux yeux : le chef de l'Etat ne risque guère d'avoir un jour à répondre d'un potentiel délit. En cause, cette petite phrase qui affirme «La personne du Grand-Duc est inviolable». Autrement dit: inattaquable devant un tribunal. «La version révisée de 1998 a même retiré l'indication comme quoi le monarque était - je cite - ''sacré''.»

Ainsi que ce soit dans ses choix politiques pour le pays, mais aussi en matière de responsabilité pénale ou civile, le Grand-Duc est blanchi de toute accusation par avance. La Constitution l'exonère de toute accusation, «même s'il advenait qu'il commette un crime devant témoins». Une tolérance absolue qui ne vaut en revanche pas pour les membres du cercle royal, époux ou épouse inclus. Mais en fin connaisseur, Luc Heuschling ne manque pas de souligner qu'un doute peut être soulevé dans l'interprétation du texte au cas où le monarque venait à abdiquer. Qu'en serait-il alors d'une possible comparution devant des magistrats?

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Pour le professeur de l'Uni, la loi fondamentale n'a pas clairement évoqué ce cas de figure. «La vision qui remonte au XVIIIe siècle n'a pas prévu ce cas de figure. A l'époque, il n'était pas question que le souverain ne prenne sa retraite avant sa disparition. Mais aujourd'hui, cela ferait débat.» De récents exemples, dans des monarchies proches, viennent soutenir cette hypothèse.

Ainsi, en Belgique, Albert II a-t-il eu affaire à la justice pour une affaire de recherche en paternité après qu'il eut cédé son trône à son fils. «La justice se met sur sa route sitôt qu'il n'est plus officiellement roi en titre.» Idem en Espagne pour Juan Carlos qui, après avoir confié le pouvoir de souverain à son fils Felipe, a choisi l'exil pour ne pas avoir à se justifier dans diverses affaires financières et de corruption.

"Le monarque luxembourgeois bénéficie d'une règle dérogatoire au droit commun", analyse le juriste Luc Heuschling.

"Le monarque luxembourgeois bénéficie d'une règle dérogatoire au droit commun", analyse le juriste Luc Heuschling. © PHOTO: Guy Jallay

Ainsi, en Belgique, Albert II a-t-il eu affaire à la justice pour une affaire de recherche en paternité après qu'il eut cédé son trône à son fils. «La justice se met sur sa route sitôt qu'il n'est plus officiellement roi en titre.» Idem en Espagne pour Juan Carlos qui, après avoir confié le pouvoir de souverain à son fils Felipe, a choisi l'exil pour ne pas avoir à se justifier dans diverses affaires financières et de corruption.

administrEt si Xavier Bettel commet un crime, un délit ou une infraction pendant son mandat? Sa fonction de Premier ministre l'exempterait-elle de répondre d'un quelconque méfait? Les articles 82 et 116 répondent par la négative. Le chef du gouvernement n'est rien d'autre qu'un citoyen ordinaire au regard de la loi. Et, s'il le faut, la Chambre a même le pouvoir de dresser un acte d'accusation face au dirigeant du pays. De mémoire de constitutionnaliste, jamais pareille situation ne s'est présentée dans l'Histoire.

En 2020, pour mémoire, Jean-Claude Juncker avait dû se présenter devant les juges. Dans le cadre des écoutes du SREL, l'ancien Premier ministre luxembourgeois a comparu comme témoin. Certains avocats demandant à l'époque que l'ex-président de la Commission européenne s'avance à la barre comme coïnculpé.

A plusieurs reprises aussi dans le passé, des ministres ont dû se défendre devant des magistrats. Un des derniers cas en date, en 1999, impliquait Michel Wolter. Me Georges Pierret, qui assurait alors sa défense rappelle toutefois que dans cet exemple, le ministre en poste était le plaignant (et non le mis en cause). «Mais de mémoire, note l'avocat, je n'ai pas en tête d'exemple de ministres qui, durant leur mandat, ont été sous le coup d'une inculpation ou d'une accusation grave». Et de conclure : «Au pire, ils ont démissionné...»

On ne plaisante pas avec... l'argent

Ainsi, le Grand-Duc pourrait tout faire sans que la loi ne vienne le réprimander. Tout sauf ne pas payer ses dettes. Ainsi en a voulu une réforme de la Constitution au XIXe siècle, «un temps où la bourgeoisie marquait de son empreinte la vie politique». Une exception est donc faite pour que le monarque soit obligé, de par la loi, d'honorer ses factures. «Enfin, avec bienséance, le législateur a pris soin de ne pas s'attaquer à la personne même du Grand-Duc. C'est donc l'administrateur des biens de la Cour qui doit répondre des échéances à régler», précise Luc Heuschling. Autrement dit, l'administration des biens du Grand-Duc. A ne pas confondre avec la Maison du Grand-Duc, nouvel organe chargé d'apporter «le soutien administratif et logistique nécessaire à l’exercice de la fonction de chef de l’État».

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