Le Luxembourg cède sur les règles fiscales de l'UE
La ministre des Finances Yuriko Backes renforce les règles fiscales pour les entreprises et évite ainsi probablement une plainte contre le Luxembourg devant la Cour de justice européenne.
La ministre des Finances estime que le renforcement de la mise en oeuvre de la directive européenne ne sera pas un énorme problème pour le pays. © PHOTO: Anouk Antony
(m. m. avec Diego VELAZQUEZ) - Une plainte auprès de la Cour de justice européenne était sur le point d'être déposée contre le gouvernement luxembourgeois. La raison : selon la Commission européenne, le Luxembourg n'a que partiellement mis en œuvre une directive européenne négociée en 2016 contre le dumping fiscal.
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Bruxelles reproche depuis longtemps au gouvernement luxembourgeois d'interpréter de manière très généreuse les dérogations prévues par une récente loi européenne, afin de les étendre à des entreprises qui sont en fait couvertes par la directive «Anti-Tax Avoidance». En décembre, le Grand-Duché a reçu le tout dernier avertissement de Bruxelles. Sans volonté de changement, le litige se serait alors poursuivi devant les tribunaux.
Une proposition d'amendement
Cela aurait pu se produire sous l'ancien ministre des Finances Pierre Gramegna (DP), qui a insisté sur le fait que les tensions entre Bruxelles et le Luxembourg étaient dues à des «interprétations différentes concernant le champ d'application de la directive». Il n'avait donc pas l'intention de modifier la mise en œuvre de la directive.
Son successeur, Yuriko Backes (également DP), voit visiblement les choses différemment : le 9 mars, elle a présenté une proposition d'amendement visant à renforcer la mise en œuvre de la directive au Luxembourg - et ce, dans le sens de la Commission européenne. Au cœur du litige se trouvent les exceptions pour certains «organismes de titrisation».
Ils offrent la possibilité de vendre des actifs liquides et illiquides sous forme de titres à des investisseurs potentiels. En principe, les sociétés de titrisation sont soumises aux mêmes règles fiscales que toutes les autres entreprises ; elles sont toutefois exonérées de la retenue à la source, de l'impôt sur la fortune et de la TVA. «Dans la pratique, la société de titrisation a une base d'imposition proche de zéro», note par exemple le cabinet de conseil fiscal Atoz.
En 2018, la panique régnait encore
Au Luxembourg, beaucoup, dont la Chambre de commerce (CCL), craignaient que l'interprétation maximaliste de la directive ne conduise à une taxation de certaines sociétés de titrisation, avec pour conséquence le départ d'un grand nombre d'acteurs du secteur.
La transposition accommodante de la directive résultait donc de cette volonté de trouver un juste équilibre entre «la préservation de l'attractivité du pays et le respect des règles européennes», selon les termes de Pierre Gramegna au moment des négociations du texte luxembourgeois sur la directive en 2018. «Nous avons réexaminé le tout en détail et avons maintenant fait comme la Commission européenne le souhaitait - ce ne sera pas non plus un énorme problème pour le pays», explique la ministre Backes dans un entretien avec le Luxemburger Wort.
Nous avons réexaminé le tout en détail et avons maintenant fait comme la Commission européenne le souhaitait
«Nous avons également eu des échanges avec le secteur», explique la ministre DP, qui estime que les conséquences économiques du changement seront limitées. Les justifications de Yuriko Backe suscitent à cet égard la compréhension - tant de l'opposition que des représentants de l'économie. «C'est une bonne chose que le gouvernement aille dans cette direction», déclare par exemple le politicien des finances CSV Laurent Mosar. «Nous n'avions d'ailleurs pas vraiment le choix».
Laurent Mosar, qui faisait partie en 2018 de ceux qui considéraient la directive comme problématique et qui avait en conséquence émis des sons alarmants, reconnaît désormais, «après échange avec le secteur et les fonctionnaires», que les conséquences seront «minimes» pour la Place financière. De manière générale, le politicien du CSV craint toutefois que la volonté de régulation de Bruxelles ne nuise à moyen terme au Luxembourg par rapport à d'autres centres financiers.
«La pression doit venir de l'extérieur»
Si la Chambre de commerce (CCL) veut encore attendre le feedback précis de ses membres, elle se montre aussi entre-temps moins inquiète qu'en 2018. «Les sociétés de titrisation concernées seront certes soumises à un autre régime fiscal après l'entrée en vigueur des modifications, mais elles pourront continuer à exister. Il ne s'agit donc pas de la fin de celles-ci», explique Marc-Antoine Casanova, expert juridique à la CCL. «De plus, ce régime fiscal s'applique également dans les autres pays de l'UE».
Nathalie Oberweis, députée de «Déi Lénk» prend toutefois acte du «pas positif mais tardif» du gouvernement, qui consiste à durcir la mise en œuvre de la directive. «Néanmoins, ce changement de cap confirme nos inquiétudes de 2018 : contrairement à ce qu'il prétend, le gouvernement n'applique que de manière lacunaire les règles internationales contre le dumping fiscal et n'agit généralement de manière cohérente que lorsque la pression extérieure n'est plus supportable».
Contrairement à ce qu'il prétend, le gouvernement n'applique que de manière lacunaire les règles internationales contre le dumping fiscal et n'agit généralement de manière cohérente que lorsque la pression extérieure n'est plus supportable
Bruxelles attend le Parlement luxembourgeois
Bruxelles ne peut toutefois pas encore dire formellement si la procédure contre le Luxembourg sera bientôt clôturée, car la Commission doit attendre que la loi modificative soit adoptée par le Parlement luxembourgeois : «La Commission examinera toutes les mesures prises par le Luxembourg dès qu'elles auront été officiellement adoptées et nous auront été communiquées, afin de déterminer si elles éliminent l'infraction mentionnée dans notre avis motivé», déclare un porte-parole de l'autorité.
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La volte-face du gouvernement est sans doute aussi liée au changement de membres au sein du gouvernement. Depuis son entrée en fonction, Yuriko Backes dit qu'elle représentera et défendra à Bruxelles «les intérêts du Luxembourg comme Pierre Gramegna», mais sa biographie - elle a été représentante de la Commission au Luxembourg et, avant cela, longtemps conseillère en chef pour la politique européenne au ministère d'État - indique une attitude plus nuancée vis-à-vis des questions relatives à l'UE, qui ont également un lien avec la Place financière luxembourgeoise. «Cela correspond à ma nature», dit-elle.
Yuriko Backes est également moins proche du lobby économique que Pierre Gramegna, qui a dirigé la Chambre de commerce pendant dix ans : «Là où c'est vraiment important, je m'engagerai bien sûr complètement. Mais il faut toujours voir sur quelles questions c'est vraiment essentiel et sur quels sujets on peut accepter des compromis».