Le Luxembourg est-il préparé au retour du loup?
Deux loups polaires se disputent une proie au parc à loups Werner Freund à Merzig. © PHOTO: Sibila Lind
Le loup pourrait bientôt s'installer au Luxembourg. L'administration a des plans en ce sens. Mais sont-ils suffisants ? Les personnes concernées en doutent.
De Michael Merten (texte), Sibila Lind (photos et vidéos) et Dominique Nauroy (cartes)
C'était une rencontre d'un genre particulier pour un automobiliste au nord de Wintger. Dans un champ enneigé en janvier, il a vu un animal ressemblant à un chien trotter dans le paysage hivernal, ce qui lui a paru suspect. S'agissait-il vraiment d'un chien ou de son fameux parent ? Il s'est arrêté et a pris une photo qu'il a envoyée à l'administration de la nature.
En janvier 2022, un automobiliste a pu prendre cette photo d'un loup au nord de Wintger. © PHOTO: privat
Là, des experts ont examiné la photo prise à 10 heures du matin avec une bonne lumière, ont observé des détails de la morphologie, comme les oreilles, et une série d'autres critères. Finalement, ils ont pu confirmer sans l'ombre d'un doute qu'il s'agissait bien d'un loup.
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Comme on pouvait s'y attendre, l'écho a été immense. Lorsque l'administration de la nature et des forêts a posté la photo sur Facebook, elle a été partagée 885 fois. Il y a eu de nombreux commentaires bienveillants comme «Magnifique. Juste magnifique», «Le loup était ici bien longtemps avant que les humains ne s'y installent» ou «le loup est essentiel pour assurer l'équilibre de la biodiversité dans les forêts». Il y a eu aussi des réactions humoristiques comme «Maintenant, mes filles vont devoir cacher leurs capes rouges.»
Mais il y a eu aussi des commentaires moins positifs tels que «j'espère que le loup ne sera pas traité comme une bête sauvage, mais comme un animal totalement stupide» ou «s'il y a peu de bêtes dans la nature, on peut les attraper rapidement». Et les commentaires témoignant d'un rejet clair du prédateur se sont enchaînés : «Les loups ne sont pas farouches. Ils tuent les animaux de pâturage à proximité immédiate des habitations».
Le loup pourrait bientôt s'installer
Des observations de loups en liberté comme celle de Wintger sont encore rares. Mais le fait est là : ces dernières années, il a été prouvé à plusieurs reprises que des loups ont parcouru le Grand-Duché lors de leurs migrations de plusieurs kilomètres.
Ils pourraient bientôt aussi s'installer durablement ici, comme dans les pays voisins. En Allemagne par exemple, le nombre de meutes augmente fortement. Ainsi, l'Allemagne comptait 128 meutes de loups en 2019/2020, mais déjà 157 en 2020/21.
La «Zoogdiervereniging» néerlandaise a établi une carte de répartition dynamique du Benelux et de l'Allemagne, qui s'étend jusqu'à la période de recensement 2020/21 :
Carte dynamique de répartition (depuis 2010/2011)
Une famille s'est également installée dans le voisinage direct du Luxembourg : un couple et au moins trois petits vivent depuis 2021 dans les Hautes Fagnes, en Belgique. C'est à seulement 50 ou 60 kilomètres de la frontière nord. Il existe également des meutes en Flandre ainsi que dans les Vosges. Il est bien possible que leurs descendants cherchent un nouveau territoire dans un avenir proche, par exemple dans la région boisée de l'Oesling.
Dédiaboliser le «grand méchant loup»
La perspective d'une présence permanente provoque un malaise chez de nombreuses personnes. Même chez ceux qui n'ont pas peur du légendaire «grand méchant loup» transmis par les vieux contes, mais qui sont conscients du fait qu'il s'agit d'un prédateur qui a été exterminé pendant plus d'un siècle.
Le monde politique a réagi depuis longtemps à ces inquiétudes. Il y a cinq ans déjà, au printemps 2017, le gouvernement a présenté ce qu'il appelle un plan de «gestion du loup». Mais ce plan détaillé est-il suffisant pour prévenir d'éventuels conflits entre le prédateur, l'homme et son élevage ?
Peu de gens ont la chance de rencontrer un loup dans la nature.
La gestion luxembourgeoise du loup est un plan de près de 50 pages que les experts de l'administration de l'environnement n'ont pas imposé unilatéralement, mais qu'ils ont élaboré en concertation avec de nombreux acteurs, dont des représentants de bergers, d'agriculteurs et de chasseurs.
Laurent Schley, biologiste et directeur adjoint de l'administration de la nature, est membre de la Large Carnivore Initiative for Europe (LCIE), un groupe d'experts de la commission de conservation des espèces de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). © PHOTO: Sibila Lind
Il y a également eu un important travail de communication. «Dès 2015, nous avons fait une grande campagne de sensibilisation sur le sujet, qui a reçu un très grand écho», se souvient Laurent Schley. Le biologiste et directeur adjoint de l'administration de la nature a également participé à l'analyse de la dernière photo prise en janvier à Wintger. Selon lui, l'automobiliste a eu de la chance, «car il n'y a pas beaucoup de gens qui ont la chance de rencontrer un loup dans la nature.» Il conseille : «Il faut profiter de ce moment privilégié».
Laurent Schley souligne que lorsqu'on rencontre un loup dans la nature, il essaie la plupart du temps d'éviter l'homme. En près de 30 ans, il n'y a eu aucun incident en Europe centrale au cours duquel un homme a été blessé.
«C'est un animal très social»
Tatjana Schneider balaie aussi d'un revers de la main le mythe du «méchant loup». La directrice du «Wolfspark Werner Freund» à Merzig, dans la Sarre, côtoie depuis des décennies le prédateur, qui y est élevé de manière naturelle sur un grand terrain clôturé au milieu de la forêt. Elle et son collègue Michael Schönberger sont acceptés par les animaux comme des membres de la famille; lorsqu'ils se couchent dans l'enclos, les quadrupèdes se blottissent contre eux.
«Ce qui caractérise un loup, c'est qu'il est un animal hautement social», explique Tatjana Schneider. «Il est très attaché à sa famille et il essaie simplement d'être là pour sa famille afin d'assurer sa survie. Cela signifie que, dans la mesure du possible, il évite toute dispute». Selon elle, le Luxembourg doit s'attendre à ce qu'un mouton ou un veau soient tués de temps en temps. Mais pour les randonneurs, les joggeurs ou les promeneurs en forêt, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.
Une vision naïve des choses
Mais Florian Weber fait partie de cette minorité de Luxembourgeois qui doivent s'inquiéter. Le berger de Lieler (canton de Clervaux) n'est pas opposé au loup; en tant qu'ami de la nature, il apprécie ce noble animal. Mais en tant que berger itinérant, qui parcourt presque toute l'année les pâturages de tout le Grand-Duché avec son troupeau de près de 600 moutons, il a un autre regard sur le sujet.
Certes, Florian Weber et d'autres éleveurs d'animaux d'élevage sont indemnisés pour les dommages directs causés par les attaques de loups. C'est ce qui s'est passé pour un collègue de Florian en juillet 2017, lors de la première détection officielle d'un loup au Luxembourg depuis 124 ans.
A l'époque, huit moutons tués avaient été retrouvés dans un pâturage entre Holzem et Garnich. Lorsque les morsures et les échantillons de salive prélevés sur les carcasses ont permis de déterminer qu'il s'agissait d'un loup, une disposition de la gestion du loup est entrée en vigueur : le détenteur a été indemnisé à 100 % pour sa perte. Pour les dommages où il n'est pas clair si le loup en est la cause, il a été dédommagé à hauteur de 75%.
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Mais le problème est bien plus important : «C'est une dépense bien plus importante que le mouton perdu». Le troupeau peut s'échapper, courir sur la route ou à travers champs. «Et si un demi-hectare de céréales est piétiné, c'est évidemment un dommage considérable que l'agriculteur devra se faire rembourser».
C'est une dépense bien plus importante que le mouton perdu.
Le président de la centrale des agriculteurs, Christian Wester, fait également référence à ces dommages indirects. Certes, la gestion du loup prévoit qu'ils peuvent également être indemnisés, mais la charge de la preuve incombe alors à l'agriculteur. Cela n'est souvent pas clairement définissable, dit-il : «Nous n'avons pas non plus de solution pour le recenser».
Florian Weber souligne que le troupeau devient beaucoup plus craintif : «Il suffit qu'un chien non tenu en laisse entre dans le troupeau pour que l'on s'en rende compte». Idem avec un chien qui aboie derrière une porte et qui fait se disperser le troupeau. «Et là, on a un gros problème».
Florian Weber ne peut pas prendre trop de précautions pour le moment. Il pourrait acheter des chiens de protection, mais ils sont chers. Il faut compter environ 5.000 euros pour l'achat d'un animal. Il pourrait acheter des clôtures mobiles plus hautes, mais l'administration lui a répondu que les filets de 90 centimètres de haut qu'il utilise déjà sont suffisants.
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Pourtant, il ne faut pas dix secondes pour prouver le contraire. Dans un pâturage derrière sa ferme, Weber installe une telle clôture. Il crie ensuite «Flora, viens« et aussitôt son chien saute sans difficulté par-dessus le filet. Un loup est bien plus fort, dit Florian.
Le berger ne cache pas sa frustration : «En l'état actuel du plan de gestion du loup, nous nous sentons quand même assez isolés», dit-il. Si le loup s'installe au Luxembourg, la transhumance sera menacée dans sa forme actuelle.
«C'est un sujet très sensible», abonde Christian Wester. Il sait, pour en avoir discuté, que ce n'est pas facile pour les agriculteurs de trouver un veau éventré, par exemple. «Cela nous affecte aussi en tant qu'agriculteur».
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Mais il se félicite de l'existence d'un tel plan; à l'étranger, ils n'ont parfois été établis qu'après coup. Aucun agriculteur n'est heureux du retour du loup, mais il faut l'accepter. Christian Wester dit qu'il ne veut pas non plus dramatiser le sujet.
C'est un sujet très sensible
Si un veau est tué par un loup une fois par an, c'est supportable pour l'agriculture. Mais il faut aussi être clair : «S'il y a un loup qui pose problème, il faut l'abattre».