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Le masque peut «perturber les repères» des tout-petits

Utilisée pour lutter contre la propagation du covid-19, la protection buccale dispose aussi de son revers de la médaille, tel que l'impossibilité de voir les expressions faciales des interlocuteurs. Une communication non verbale pourtant indispensable au développement de l'enfant, estiment des spécialistes du CHL.

Pour la psychomotricienne Delphine Plumier et le pédopsychiatre Jean-François Vervier, le covid-19 préoccupe les enfants dans leur quotidien. Le virus et des personnages masqués apparaissent ainsi dans leurs dessins et leurs jeux symboliques.

Pour la psychomotricienne Delphine Plumier et le pédopsychiatre Jean-François Vervier, le covid-19 préoccupe les enfants dans leur quotidien. Le virus et des personnages masqués apparaissent ainsi dans leurs dessins et leurs jeux symboliques. © PHOTO: CHL

Anne-Sophie de Nanteuil

Si les masques de super-héros, d'animaux ou de sorcières sont particulièrement appréciés des enfants, les protections buccales anti-covid-19 ne soulèvent pas le même engouement. Imposées dans l'espace public depuis le 20 avril dernier, elles peuvent en effet être source d'inquiétude pour les plus jeunes. Explications avec la psychomotricienne Delphine Plumier et le pédopsychiatre Jean-François Vervier au sein de l'unité petite enfance du Centre hospitalier de Luxembourg (CHL).

S'il vise à protéger du virus, le masque cache aussi les émotions faciales. La disparition de ces informations non verbales peut-elle s'avérer problématique pour les tout-petits ?

Jean-François Vervier (JFV) : «Dès les premières semaines, le nourrisson cherche à lire les émotions dans les yeux et sur la bouche. Quand les parents portent un masque, leur visage est plus immobile, leur voix assourdie, mais rapidement compensés par la chaleur de leurs bras, leurs caresses, leurs paroles qui rassurent l’enfant. Dès six semaines, le nourrisson va sourire pour communiquer son bien-être. A l'inverse, il va rapidement manifester sa peur face à l’inconnu, d’autant plus si celui-ci est très différent de ce qu’il a l’habitude de voir. Si les personnes de son entourage portent un masque, cela peut donc perturber ses repères de compréhension des autres.

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Les expressions jouent donc un rôle important dans le développement des enfants...

Delphine Plumier (DP) : «Le visage de l’adulte reste un outil important dans l’apprentissage de la communication et du décodage des émotions de l’autre. Les jeunes enfants recherchent ainsi l’approbation de l’adulte en se référant à leur expression faciale. A titre d’exemple, un petit dans une plaine de jeux, avant de s'aventurer dans un toboggan, va vérifier le regard de son parent ou éducateur. S'il a l’air détendu, donc confiant, c'est qu'il peut y aller.

Comment alors remédier à ce problème ?

DP : «En portant un masque, l’adulte doit pouvoir s’adapter afin de rester “lisible” et cohérent pour les plus jeunes. Il doit donc ajuster son langage verbal et non verbal pour que l’enfant arrive à traduire son état émotionnel et ce qui est attendu de lui.

Les enfants souffrent surtout du climat de peur et d'incertitude.

Finalement, le port du masque peut-il se présenter comme un frein au développement des enfants ?

JFV : «L’impact sur le langage, sur la communication et les relations sociales est encore difficile à évaluer pour le moment. Mais au-delà du masque, nous pouvons remarquer que si l'enfant évolue dans un environnement marqué par la “peur de contamination”, cela peut perturber la façon dont il rencontre l’autre et donc son développement relationnel et social.

Selon vous, la protection buccale pourrait donc être anxiogène...

JFV : «Les visages masqués peuvent en effet entraîner une peur panique de certains enfants qui rencontrent dans leur milieu familier un personnage non prévu et étranger, déguisé, même en clown ! Rapidement, le masque peut donc entraîner la méfiance. D'autant plus que certains d'entre eux l'associent à l'hôpital et parfois aux expériences qu'ils y ont vécues.

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Ceci étant, les enfants souffrent surtout du climat de peur et d'incertitude, davantage que du port du masque.

En tant que professionnels de santé, observez-vous des changements de comportements chez vos plus jeunes patients depuis le début de la crise sanitaire ?

JFV et DP : «Bien sûr. La thématique du covid-19 préoccupe les enfants dans leur quotidien. Nous retrouvons le virus et des personnages masqués dans leurs dessins et leurs jeux symboliques. Les enfants inventent des jeux de combat dans lesquels ils doivent anéantir le coronavirus. Il est important de leur donner la possibilité de déposer leurs inquiétudes sans pour autant leur transmettre nos propres peurs face à la contamination.

Ne pas négliger les conséquences de la pandémie (..) sur la santé mentale des enfants.

Le moral des adultes a été fortement impacté par la pandémie. Elle n'aurait donc pas non plus été sans conséquences sur la santé des enfants ?

JFV et DP : «En effet, surtout s’ils sont fragiles et leurs familles vulnérables. Si le virus semble les épargner en termes de symptômes graves, ils sont tout particulièrement concernés par le décès d’un membre plus âgé ou fragile de leur famille ou de leur entourage. Ces pertes peuvent être traumatiques pour le développement affectif de l’enfant.

Et vous, comment gérez-vous cette nouvelle situation au sein de votre service ?

JFV et DP : «Lors du confinement, nous avons notamment mis en place un système de téléconsultation qui va d'ailleurs rester un bon outil de travail pour les enfants et les familles que nous connaissions avant la pandémie.

Dès le début, nous avons également préparé les enfants au port du masque par les personnes impliquées en anticipant avec eux cette nouveauté qui va probablement durer et qu’ils doivent intégrer dans leur quotidien. Pour cela, nous avons ainsi utilisé des photos des membres de l’équipe avec et sans masque. Cela a facilité leur compréhension.»

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