Le phénomène des travailleurs pauvres ausculté au Luxembourg
Souvent invisibles, ils sont pourtant déjà plus de 20 millions en Europe à travailler sans pouvoir s'en sortir à la fin du mois. Le Luxembourg n'échappe pas au phénomène «working poor» que son université est chargée d'étudier de très près pour trouver des solutions.
Les très récents chiffres publiés par le Statec dans son rapport «travail et cohésion sociale» indiquent que 13,4% des salariés étaient exposés au risque de pauvreté au Luxembourg en 2018. © PHOTO: Shutterstock
(MF avec Thomas Klein) – «La situation n'est pas encore comparable à celle des Etats-Unis, où il faut avoir deux ou trois emplois en même temps pour joindre les deux bouts», pose Luca Ratti, professeur de droit européen et de droit comparé du travail à l'Université du Luxembourg. «Mais dans toute l'Europe, la proportion de personnes qui, bien qu'elles aient un emploi, n'ont pas les moyens de se payer certaines choses comme leur propre voiture ou un appartement est en augmentation».
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Une équipe de recherches de l'Université du Luxembourg formée avec sept autres universités et trois organisations sociales se verra verser 3,2 millions d'euros sur trois ans par l'Union européenne pour mener un vaste projet de recherches approfondies sur le phénomène «working yet poor» (traduisez: «travailleurs mais pauvres»). Un problème qui devient une urgence en Europe mais aussi au Luxembourg. Selon les nouveaux chiffres publiés mi-octobre par le Statec, 13,4% des salariés étaient exposés au risque de pauvreté en 2018 parce que le revenu du ménage ne suffit pas pour couvrir toutes les dépenses mensuelles.
Selon Luca Ratti, «l'inégalité conduit généralement à l'instabilité économique, politique et sociale. Plus nous réduirons l'écart entre les revenus, plus notre société sera cohérente». © PHOTO: Matic Zorman
Reste à comprendre pourquoi le Luxembourg est si mal loti malgré un salaire social minimum élevé. Il est fixé à 2.098 euros brut par mois depuis le 1er janvier 2019. «Il n'y a aucune garantie que les chiffres reflètent ce qui se passe réellement dans un pays. C'est l'un des défis du projet», explique Luca Ratti. Il se peut fort bien que la petite taille du pays et le nombre élevé de travailleurs au revenu élevé faussent les statistiques. «Nous devons d'abord étudier le Luxembourg en détail afin de mieux comprendre ce qui se passe réellement», déclare le chercheur.
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Selon un récent rapport du Réseau européen de politique sociale, 9,4% de tous les travailleurs de l'UE -soit plus de 20 millions de personnes- étaient exposés à un risque aigu de pauvreté en 2017. En dix ans, la proportion de personnes en situation précaire a augmenté de 1,4%. La situation varie considérablement d'un État membre à l'autre. Avec son taux de 13,4% de travailleurs exposés à la pauvreté, le Grand-Duché occupe la deuxième place en Europe. La Roumanie et son taux de 15% est tout en haut du tableau. La Finlande s'en sort le mieux avec un taux de seulement 2,1%.
Sept pays scrutés à la loupe
Comme des pays voisins présentent parfois de grandes différences dans le niveau de pauvreté des travailleurs, les chercheurs ont choisi une approche comparative de la situation en cours dans sept pays (Belgique, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Italie, Suède et Pologne).
Ils espèrent acquérir de nouvelles connaissances sur les causes du phénomène, les facteurs moteurs dans les différents pays et proposer les bonnes mesures pour s'attaquer au problème. Les raisons de l'augmentation de la pauvreté des travailleurs sont multiples et doivent être examinées de plus près, selon Luca Ratti qui cite les effets de la crise financière en particulier dans les pays du sud de l'Europe mais aussi les effets de la digitalisation.