Le réseau européen d'hydrogène intéresse le Luxembourg
Un consortium prévoit de mettre en place un réseau européen de pipelines pour l'hydrogène. Mais on ne sait pas encore si le Luxembourg y sera raccordé.
Pour l'industrie européenne, une question cruciale pour l'avenir est de savoir s'il sera possible de rapprocher la demande et l'offre d'hydrogène vert. © PHOTO: Getty Images
«L'hydrogène ne pousse pas sur les arbres et quelle que soit la profondeur à laquelle on creuse, on ne trouve pas de sources d'hydrogène», plaisante le ministre de l'Énergie Claude Turmes dans un entretien avec le Luxemburger Wort. L'hydrogène doit pourtant devenir l'épine dorsale de l'industrie du futur. Mais produire de l'hydrogène vert sur place, au Luxembourg, n'a pas beaucoup de sens, du moins pour les grandes quantités nécessaires à l'échelle européenne.
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Le processus, appelé électrolyse, consiste à séparer l'eau en oxygène et en molécules d'hydrogène à l'aide d'un courant électrique. S'il a fait ses preuves, il n'est toujours pas très efficace; seuls 60 à 65% de l'énergie électrique utilisée sont effectivement stockés dans l'hydrogène. Il faut donc une quantité «incroyable» d'électricité, idéalement de l'électricité verte, selon le ministre de l'Énergie.
C'est pourquoi le coût de l'électricité est l'un des facteurs décisifs dans la production d'hydrogène. Même avec de grandes installations solaires récentes, il faut compter au moins 80 euros pour produire un mégawattheure d'électricité au Luxembourg. Trop cher pour produire de l'hydrogène de manière compétitive. La situation est bien différente en Espagne et au Portugal, où le mégawattheure d'énergie solaire coûte moins de 20 euros, ou dans le nord de la Finlande et de la Norvège, où les éoliennes terrestres produisent un mégawattheure pour environ le même montant.
Les installations éoliennes offshore en mer du Nord se situeraient pour leur part autour des 45 euros, selon le ministre de l'Energie. Dans des pays comme le Maroc ou l'Australie, ce prix ne serait même que de douze euros. «Cet hydrogène sera toujours moins cher que celui que nous pouvons produire au Luxembourg», a déclaré Claude Turmes.
Pour le ministre de l'Energie Claude Turmes, la coopération dans la Grande Région est cruciale. © PHOTO: Marc Wilwert
Coopération dans la Grande Région
Si l'hydrogène doit donc effectivement jouer un rôle central dans l'approvisionnement énergétique du Luxembourg dans un avenir proche, il serait judicieux de le produire dans les régions les moins chères et de l'acheminer ici par des sortes de pipelines. C'est précisément ce que prévoit l'initiative «European Hydrogen Backbone (EHB)», à laquelle participent 31 gestionnaires de réseau de transport européens, dont Creos Luxembourg. «Le problème, c'est que la demande n'est pas forcément là où il y a le plus grand potentiel de production», explique Louis Philippe, responsable de la stratégie de réseau chez Creos Luxembourg.
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C'est pourquoi les partenaires du projet EHB développent un concept de réseau de pipelines d'hydrogène à l'échelle européenne, reliant les producteurs et les consommateurs. En principe, il est nettement plus efficace sur le plan énergétique d'utiliser directement l'électricité verte produite que de la convertir en hydrogène pour ensuite la retransformer en électricité. «Cela n'a de sens que si les réseaux électriques ne pouvaient pas absorber l'électricité verte en raison de congestions et que les installations renouvelables devaient être bridées», explique Louis Philippe.
Une réserve d'énergie pour l'hiver
L'infrastructure de l'hydrogène pourrait un jour être utilisée comme réserve ou stockage à long terme lorsque les installations solaires et éoliennes ne fournissent pas suffisamment d'énergie en raison des conditions météorologiques et saisonnières. Mais les premières applications de l'hydrogène seront les processus industriels. Aujourd'hui déjà, une poignée d'entreprises luxembourgeoises comme Guardian ou Ceratizit utilisent de l'hydrogène dit gris, c'est-à-dire produit à l'aide de sources d'énergie fossiles. Elles le remplaceront peu à peu par de l'hydrogène vert.
Louis Philippe de Creos Luxembourg travaille sur un concept de réseau hydrogène. © PHOTO: Creos
«Nous sommes en contact étroit avec la Fedil et les grandes entreprises industrielles qui consomment beaucoup de gaz et qui sont principalement situées dans le sud du pays, afin d'avoir une idée des besoins futurs», explique Philippe. Mais le risque est que le Luxembourg ait, dans un premier temps, des besoins en hydrogène si faibles en comparaison internationale qu'il ne serait pas rentable de construire un gazoduc ici, et que le pays ne soit donc pas raccordé au réseau européen, craint Claude Turmes.
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«Il est donc important de travailler avec les régions voisines de la Sarre, de la Rhénanie-Palatinat, du Grand Est et de la Wallonie et de mutualiser nos besoins pour montrer qu'il vaut la peine d'amener des pipelines d'hydrogène dans la Grande Région», poursuit-il. Ce sont surtout les deux hauts-fourneaux, qui continueront à fonctionner en Sarre, qui seront les premiers principaux consommateurs d'hydrogène, pense le ministre.
Il part du principe qu'Anvers et Rotterdam deviendront des points forts pour la production d'hydrogène vert. L'objectif doit ainsi être de raccorder le Luxembourg au pipeline qui achemine cet hydrogène vers le sud. Une autre conduite partira probablement de la péninsule ibérique vers l'ouest en passant par la vallée du Rhône. Celle-ci pourrait également alimenter la Grande Région.
Transformation du réseau de gazoducs
Des mesures d'infrastructure aussi gigantesques sont coûteuses et prennent du temps. C'est pourquoi les planificateurs de l'EHB espèrent pouvoir réutiliser au moins partiellement les gazoducs existants. «C'est cinq à huit fois moins cher et surtout beaucoup plus rapide», explique le ministre de l'Énergie. C'est en principe possible, affirme par ailleurs Louis Philippe de Creos.
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«Mais il faut d'abord vérifier pour chaque tronçon si les matériaux utilisés sont adaptés au transport de l'hydrogène. Par exemple, la qualité de l'acier est-elle correcte, les vannes sont-elles bien conçues?», poursuit Louis Philippe. En principe, les molécules d'hydrogène sont plus petites que les molécules de gaz naturel, elles peuvent donc s'échapper plus facilement et il faut donc des conduites avec une certaine qualité d'acier.
«Bien sûr, on ne pourra pas éviter d'exploiter au moins une partie des infrastructures en parallèle, car il faudra encore assurer le transport du gaz naturel normal jusqu'en 2030, voire 2040», ajoute Louis Philippe.
«Problème de l'œuf et de la poule»
Dans ce contexte, le ministre de l'Énergie suppose que la demande en gaz diminuera d'environ 30% en Europe au cours des prochaines années. Ainsi, à partir de 2023, le Grand-Duché sera le premier pays européen à interdire d'équiper les nouveaux bâtiments de systèmes de chauffage qui dépendent des énergies fossiles. «La consommation de gaz va également baisser rapidement dans les bâtiments existants», affirme Claude Turmes.
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Il estime alors qu'il est possible de réaliser entre deux tiers et quatre cinquièmes du réseau d'hydrogène par une simple conversion. Actuellement, Creos élabore une analyse des coûts et de la faisabilité d'un réseau d'hydrogène en collaboration avec des exploitants de réseaux dans les pays voisins. Cela devrait être terminé d'ici septembre, souligne Louis Philippe.
«En principe, il y a un problème de poule et d'œuf avec l'hydrogène», poursuit l'expert en réseaux. Les entreprises industrielles hésitent à convertir leurs processus à l'hydrogène tant qu'un approvisionnement suffisant en cette source d'énergie n'est pas assuré. Pour les exploitants de réseaux, les coûts d'investissement élevés représentent un risque tant que les besoins en hydrogène ne sont pas clairement définis.
C'est pourquoi il est difficile de prévoir à l'heure actuelle les capacités de transport pour lesquelles les lignes devront être conçues. L'UE tente présentement, par un mélange de carotte et de bâton, d'inciter les entreprises industrielles à passer à l'hydrogène vert. Outre l'obligation de remplacer partiellement l'hydrogène d'origine fossile, les entreprises reçoivent pour la première fois non seulement un soutien financier pour les coûts d'investissement, mais aussi une subvention pour les coûts d'exploitation plus élevés engendrés par la conversion.
«C'est une rupture de tabou dans la politique de concurrence en Europe», déclare Claude Turmes. Selon lui, ce sera l'instrument essentiel pour atteindre assez rapidement des volumes pertinents dans l'industrie.
Jean-François Schneiders travaille pour l'opérateur de réseau Creos au sein du département "Grid Strategy". © PHOTO: Creos
«L'état actuel de nos analyses a montré que c'est techniquement réalisable», déclare Jean-François Schneiders, également chez Creos dans le domaine «Grid Strategy». «Maintenant, nous devrions veiller à être impliqués dès le début dans le développement d'un réseau européen. Personne ne peut vouloir que les conduites d'hydrogène finissent par contourner le Luxembourg.»
Cet article a été publié pour la première fois sur wort.lu/de