Le retour du loup passionne les Luxembourgeois
Les preuves sont là. Le loup vient de passer deux fois au Luxembourg en sept mois. Au vu de son expansion géographique en Europe, qu'il suit de près, Laurent Schley, spécialiste des grands carnivores à l'Administration de la nature et des forêts, estime que le loup peut «à tout moment faire son retour au Luxembourg», les «deux tiers du pays» s'y prêtent. Ce retour potentiel du prédateur mal connu, suscite «un intérêt jamais vu au Luxembourg sur un sujet concernant la nature».
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Il est impossible de savoir avec certitude si un loup rode actuellement au Grand-Duché ou pas. «Ce sont des animaux très difficile à voir et à détecter», sait trop bien Laurent Schley, directeur-adjoint de l'Administration de la nature et des forêts, qui suit depuis plus d'une vingtaine d'années l'expansion géographique du grand prédateur à travers toute l'Europe.
Pour l'heure, trois preuves attestent le retour furtif du loup sur le sol luxembourgeois. Fin février, c'est bien un loup qui a dévoré un mouton dans le secteur de Fouhren, au Nord-Est du pays. A la mi-juillet 2017, comme l'ont attesté les analyses scientifiques, le loup a signé son passage près de Holzem et Garnich, en croquant huit moutons. Quelques jours auparavant un agriculteur, assis dans son tracteur, a photographié de nuit un loup avec son téléphone portable, tout près de là, à Leudelange. C'est jusqu'ici, toujours la seule preuve en image de son passage.
Jusqu'ici c'est la seule photo d'un loup au Luxembourg. Elle a été prise de nuit par un agriculteur qui travaillait dans son champ près de Leudelange. © PHOTO: Gaston Origer / SIP
Ces spécimens «étaient nécessairement des individus solitaires de passage» mais depuis «on n'a pas eu d'indices concrets», reconnaît le spécialiste. Il explique: «Les jeunes loups qui doivent quitter les meutes parcourent jusqu'à 1.000, voire 1200 km. Ils doivent d'abord trouver une partenaire pour s'installer sur un territoire qui peut couvrir 200 à 300 km2. A partir du moment où un couple se crée, il y a davantage d'individus». Donc davantage de traces et d'indices qui permettront peut-être d'avoir la certitude de sa présence.
Jusqu'à ce début de printemps 2018, les loups n'étaient que de passage mais «l'expansion géographique du loup en Europe fait qu'on peut avoir à tout moment la présence du loup au Luxembourg», explique Laurent Schley au micro de wort.lu:
De la place au Luxembourg pour le loup?
Contrairement aux idées reçues, le loup «n'a pas besoin de grandes surfaces de forêt. Il peut vivre partout», pose le spécialiste des grands carnivores. Alors le Luxembourg peut-il convenir au retour naturel du loup? La réponse est «oui».
Primo, il y a de l'espace. Une modélisation réalisée par l'Administration de la nature et des forêts sur base de plusieurs paramètres «nous indique que deux tiers du pays sont propices au loup au niveau habitat». C'est évidemment les deux tiers les plus au Nord du pays. Avec un petit bémol toutefois qui ne facilitera pas la survie du loup: «c'est la densité du réseau routier et ferroviaire: le Luxembourg est le pays d'Europe le plus fragmenté», rappelle Laurent Schley. Ce qui n'empêche pas le loup de s'installer mais le risque d'être happé par un véhicule est plus grand.
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Secundo, il y a de la nourriture. Et en quantité abondante assure notre spécialiste. Contrairement aux apparences - liées à une médiatisation des attaques de moutons - le loup se nourrit pour l'essentiel d'animaux sauvages tels que le chevreuil, le sanglier, le cerf, etc. mais il peut très bien manger des fruits l'automne venu.
L'engouement palpable du grand public
Quelques semaines après le passage du loup à Fouhren, Laurent Schley reprend son bâton d'infatigable pédagogue passionné de faune et flore pour animer ce jeudi 19 avril à 19h30 à la salle des fêtes de Brandenbourg (1, rue Principale, L-9360 Brandebourg) une soirée d'information sur le loup, son écologie et ses comportements (en luxembourgeois). Histoire d'informer de la façon la plus neutre, les habitants du coin. La soirée est organisée par l'Administration de la nature et des forêts et les communes de Bettendorf, Putscheid, Reisdorf, Tandel et Vianden.
A chaque «passage», le retour du loup, sujet tantôt glorifié, tantôt diabolisé, soulève une flopée de questions et de craintes aussi. Fait est que l'intérêt suscité est «énorme», c'est un sujet «qui passionne tellement les gens», que lui-même n'en revient pas vraiment. Il s'attend d'ailleurs à un vrai rush, jeudi soir à Brandenbourg.
A l'automne 2015, Laurent Schley a très vite compris que le sujet passionne les Luxembourgeois. Il anime 7 soirées informatives et... «c'était du jamais-vu! En moyenne, plus de 220 personnes sont venues écouter. Et parfois poser des questions, plus d'une heure après l'exposé!» Il y lit «un intérêt jamais vu au Luxembourg sur un sujet concernant la nature». Le grand public est au rendez-vous.
Depuis, il a réitéré l'expérience près d'une quinzaine de fois, avec toujours le même succès. Moyenne de participation par soirée: 170 personnes.
En 2017, Laurent Schley a été invité à rejoindre l'«Initiative pour les grands carnivores en Europe» (Large Carnivore Initiative for Europe) regroupant une quarantaine d'experts qui compilent les données sur de longues périodes et conseillent notamment la Commission européenne. © PHOTO: Maurice Fick
Conséquence de cette vaste campagne de sensibilisation pour préparer le retour du loup en vue d'une cohabitation sereine le moment venu: les réactions ne se font pas attendre, on voit le loup un peu partout. A l'Administration de la nature et des forêts, «nous recevons régulièrement des photos et parfois des vidéos de gens qui ont photographié des loups. En général, ce sont effectivement des chiens», explique le directeur-adjoint qui préfère miser sur la patience et encourager l'implication de la population. «C'est important pour nous, d'avoir ce retour des gens. Car ça nous aidera à détecter le loup à l'avenir», sait-il. Toutes les photos reçues, y compris de moutons déchiquetés, montraient en réalité des silhouettes de chien. Sauf une. Celle de l'agriculteur de Leudelange.
Pourquoi cet engouement pour le retour du loup? «C'est peut-être la seule espèce indigène disparue depuis plus de 120 ans au Luxembourg, que tout le monde connaît et sur laquelle tout le monde à une opinion... sans vraiment la connaître», glisse Laurent Schley. Depuis 2017, le Luxembourgeois a rejoint la Large Carnivore Initiative for Europe («Initiative pour les grands carnivores en Europe») regroupant une quarantaine d'experts qui compilent les données sur de longues périodes au sujet du loup, de l'ours et du lynx, et conseillent notamment la Commission européenne.