«Le télétravail doit se faire sur une base volontaire»
Le Conseil économique et social planche actuellement sur la thématique du travail à distance. Pour son président, Jean-Jacques Rommes, «la réglementation rigide doit être simplifiée» mais la question reste «extrêmement complexe», en particulier concernant les frontaliers.
Jean-Jacques Rommes pense que «le nombre de personnes qui pratiquent le télétravail va continuer d'augmenter de manière significative» © PHOTO: Lex Kleren
(JFC, avec Annette Welsch) - Avec la crise du covid-19, le télétravail a explosé, ramenant sur le tapis l'épineuse question d'une législation y afférente. Un thème sur lequel planchent déjà d'arrache-pied la Chambre du travail et les syndicats OGBL et LCGB, ainsi que l'UEL et les autres organisations patronales dans le cadre d'un avis du Conseil économique et social (CES). Élu en 2019, Jean-Jacques Rommes en occupe la présidence pour deux ans. Avant cela, le sexagénaire a dirigé les associations bancaire (ABBL) et patronale (UEL).
Comment se fait-il que le CES s'occupe du télétravail?
Jean-Jacques Rommes : «Avant même la crise du covid, nous avions entrepris d'établir un rapport complet sur le travail transfrontalier. Je souhaitais aborder les différentes problématiques une par une pendant ma présidence. Cette étude incluait la question du télétravail. Lorsque la crise sanitaire a éclaté, nous avons décidé de l'aborder plus en détails, y compris pour les travailleurs résidents au pays, car il était évident que ce thème allait rapidement devenir une priorité.
A partir de là, les partenaires sociaux ont proposé, en avril, au ministre du Travail de rédiger un rapport sous l'égide du CES. Dan Kersch (LSAP), qui voit aussi la nécessité d'agir vite, nous a alors donné jusqu'à l'automne, dans l'espoir que cela lui faciliterait un peu les choses. Depuis, nous y travaillons intensivement et avons déjà noirci beaucoup de papier.
Quels sont les chantiers prioritaires?
«Actuellement, nous sommes occupés à mettre à jour la convention existante sur le télétravail. Elle est trop chargée de lourdeurs administratives et de procédures difficiles. La discussion porte également sur les différentes formes de télétravail - régulier ou extraordinaire. Car ce n'est pas la même chose si un salarié travaille systématiquement à domicile deux fois par semaine, ou s'il appelle deux fois par semaine et dit qu'il travaille à domicile ce jour-là. Ou bien s'il s'assoit à l'aéroport en attendant d'embarquer et utilise ce temps pour travailler, cela aussi c'est du télétravail. La conciliation ne constitue pas un point de friction mais nous avons besoin d'une couverture d'assurance différente, comme pour l'assurance accident.
Pour Jean-Jacques Rommes, «tous ceux qui se sont maintenant lancés dans le télétravail ne voudront pas nécessairement le perpétuer à long terme.» © PHOTO: Lex Kleren
«Actuellement, nous sommes occupés à mettre à jour la convention existante sur le télétravail. Elle est trop chargée de lourdeurs administratives et de procédures difficiles. La discussion porte également sur les différentes formes de télétravail - régulier ou extraordinaire. Car ce n'est pas la même chose si un salarié travaille systématiquement à domicile deux fois par semaine, ou s'il appelle deux fois par semaine et dit qu'il travaille à domicile ce jour-là. Ou bien s'il s'assoit à l'aéroport en attendant d'embarquer et utilise ce temps pour travailler, cela aussi c'est du télétravail. La conciliation ne constitue pas un point de friction mais nous avons besoin d'une couverture d'assurance différente, comme pour l'assurance accident.
Quelle fréquence de télétravail préconiseriez-vous?
«90% des salariés interrogés sur le sujet pensent à un jour et demi, voire deux jours de télétravail par semaine. C'est ce qui ressort d'un rapport publié par le Statec, mais qui remonte à 2019.
Certes, mais la crise du covid n'a-t-elle pas changé la donne?
«Sur la base de l'expérience actuelle, nous sommes d'avis que le nombre de personnes en télétravail va continuer d'augmenter significativement. Mais cela ne signifie pas non plus que tous ceux qui se sont maintenant lancés dans le télétravail voudront le perpétuer à long terme.
En fait, l'après-covid ne devrait pas engendrer de changements spectaculaires. Voilà pourquoi nous ne voulons pas réglementer en fonction d'une période exceptionnelle comme celle que nous vivons actuellement, où ni les travailleurs, ni les entreprises n'ont expressément choisi le télétravail. Seuls les travailleurs transfrontaliers tenteront de rester en dessous du seuil d'imposition.
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Un autre point est qu'une entreprise ne peut fonctionner en télétravail que si l'ensemble de ses employés se connaissent bien. L'isolement engendré par le télétravail ne peut en effet être comblé que si les équipes sont bien coordonnées. Mais si d'aventure une personne commence un nouvel emploi dans une entreprise et est directement mise en télétravail, elle ne pourra jamais évoluer dans cette entreprise. C'est un énorme problème.
De plus, l'isolement en soi ne doit pas être sous-estimé. Les personnes seules à la maison, privées d'échanges et de contacts privés avec leurs collègues peuvent difficilement surmonter des situations compliquées par le seul biais de la caméra sur le long terme.
Bref, réunies au sein du CES, les organisations patronales et syndicales considèrent qu'il est illusoire pour les entreprises d'opérer en permanence dans le domaine du télétravail. Nous ne voulons pas réinventer une sorte de nouveau monde du travail.
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Quels sont les autres grands principes que vous défendez?
«Nous souhaitons tous que le télétravail soit effectué sur une base volontaire. Sans quoi cela risquerait d'alourdir inutilement l'atmosphère au sein des entreprises. Il ne doit y avoir ni droit, ni obligation de télétravailler. Car s'il est facile de parler du droit au télétravail, cela implique aussi des débats très difficiles qui risquent de s'exporter devant les tribunaux.
Nous voulons qu'il soit possible pour chaque salarié d'appeler son employeur à tout moment et de lui signifier son souhait de travailler à la maison pendant une journée - si c'est possible, sans quoi, le système ne marchera pas. Nous discutons encore de la manière exacte dont ce dialogue interne pourrait s'organiser.
Actuellement en suspens, la question fiscale des travailleurs frontaliers doit encore être clarifiée. Comment comptez-vous la résoudre?
«Tout dépendra des négociations entre notre gouvernement et les pays voisins. Jusqu'à présent, l'imposition était déterminée par le fait que le travailleur transfrontalier est autorisé à travailler (sans changement fiscal) au Luxembourg pendant un maximum de 29, 24 ou 19 jours annuels, selon qu'il réside en France, en Belgique ou en Allemagne. Nous ignorons ce que la suite nous réservera.
A côté de cela, se pose la question de la Sécurité sociale. Selon la réglementation européenne, un frontalier qui travaille plus de 25% du temps dans un pays étranger est entièrement couvert par le système local de Sécurité sociale. Ce problème reste aussi en suspens actuellement.
Nous ne pouvons pas simplement stipuler que les résidents doivent télétravailler quatre jours par semaine et les frontaliers un seul jour
En matière fiscale, ce principe de basculement sur l'une ou l'autre législation nationale n'existe pas, puisque les impôts sont payés dans le pays d'origine au prorata du temps de travail à temps partiel. Cette question se révèle donc extrêmement complexe, car des inégalités peuvent apparaître entre les salariés d'une même entreprise selon leur Etat de résidence.
Alors que les résidents luxembourgeois peuvent aujourd'hui, en théorie, faire beaucoup de télétravail, les conséquences pour les frontaliers sont tout à fait différentes. Nous ne pouvons pas simplement stipuler que les résidents doivent télétravailler quatre jours par semaine et les travailleurs frontaliers un seul jour.
L'objectif consiste donc plutôt à mettre en place un cadre nouveau organisationnel...
«La réglementation rigide sera simplifiée, c'est incontournable. Reste à voir maintenant si la nouvelle mouture recevra un accord unanime de tous les partenaires sociaux. Si non, j'espère alors pouvoir fournir au ministre du Travail un document clair sur les points de consensus et de controverse. Mais ce qui est certain, c'est que le CES se doit d'apporter une valeur ajoutée, quelque chose sur lequel le ministre peut travailler.»