«Le virus trouve son chemin vers les non-vaccinés»
Il y a les chiffres nationaux et la réalité sanitaire perceptible à l'échelle d'un cabinet de généraliste. Ainsi, si la vaccination a calmé la situation covid, le Dr Jean-Paul Schwartz craint une remontée des infections. Et dit pourquoi.
Pour le Dr Schwartz, la reprise des infections pourrait intervenir à l'issue des congés de Toussaint. © PHOTO: Gerry Huberty
(pj avec Jean-Philippe SCHMIT) - Pas encore cette fois que le covid rebroussera chemin. Mais pour les médecins généralistes, autorisés à vacciner depuis fin juillet, le front épidémique s'est nettement amélioré. Et les 802.000 doses de vaccins anti-covid injectées en dix mois n'y sont pas pour rien. Au contraire. Reste que le virus n'est pas terrassé et que d’autres infections respiratoires vont croître avec l'hiver et la fin de certains gestes barrières.
Il y a un an pile, le nombre d'infections covid avait explosé. Octobre 2021 semble moins stressant. A quoi attribuer ce changement de tendance?
Dr Jean-Paul Schwartz : «L'an passé à cette même date, une personne sur 100 testée covid+ décédait. Ce n'est plus le cas. La mortalité a clairement diminué depuis début 2021. Le taux de décès pour les personnes infectées a chuté à 1/1.000. Ce qui est presque équivalent à la mortalité de la grippe saisonnière. Cette évolution peut être attribuée à la vaccination, il n'y a pas d'autre explication.
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Sans la campagne (lancée fin décembre), j'estime que le Grand-Duché déplorerait 8.000 décès aujourd'hui en lien avec l'épidémie. Soit dix fois plus que ce que l'on connait à ce stade [ndlr : 842 victimes recensées au dernier bulletin du ministère de la Santé].
Quelle a été l'influence des masques et des règles de distanciation?
«Ils ont certainement aidé à ralentir la circulation du virus, surtout quand il n'était pas encore question de vaccination. Mais, à elles seules, ces mesures ne suffisent pas à expliquer la chute de la mortalité. En octobre 2020, les masques étaient obligatoires et les gestes barrières fortement recommandés. Malgré cela, il y a eu une augmentation massive des cas covid et donc des décès. Le coronavirus s'avère très agressif et frappe une population non immunisée. Aujourd'hui, masques et autres mesures de protection sont appliqués de manière moins stricte et cela n'implique pas un rebond de la mortalité.
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Le changement vient bien de la vaccination, ou disons de la progression de l'immunité accumulée par les vaccins. Résultat: on arrive à plus de 80.000 cas de guérison post-infection.
Que se passerait-il si on allégeait les consignes sur le port des masques?
«D'autres maladies infectieuses transmissibles sont aujourd'hui clairement en recrudescence. Le virus RSV qui cause les bronchiolites chez les enfants a été particulièrement actif cette année. Les maladies diarrhéiques (comme la gastro-entérite) reprennent de l'ampleur. Les rhinovirus et autres virus du rhume sont à nouveau fréquents. Port du masque et désinfection des mains de façon fréquente avaient permis d'éradiquer ces infections virales. On ne peut donc que souhaiter que les réflexes pris ces mois derniers ne se perdent pas trop vite.
Mais, clairement, depuis que le vaccin est disponible, nous avons retrouvé de nombreuses libertés. Chacun peut se rendre au théâtre, à des concerts ou au restaurant et c'est relativement sûr. D'ailleurs, depuis la réouverture des salles de spectacle, aucun cluster significatif n'a été signalé. Que les spectateurs soient contrôlés selon le régime «Testé, guéri ou vacciné» a porté ses fruits.
Actuellement, quelle est la proportion de patients covid+ à vos consultations?
«Cela varie d'une semaine à l'autre. Mais je constate que la situation épidémique reste calme en ce moment dans les résidences pour personnes âgées dont je m'occupe. Il y a beaucoup de seniors parmi mes patients et presque tous sont vaccinés. En fait, actuellement, le coronavirus circule davantage chez les jeunes.
Hélas, je m'attends à ce que les chiffres augmentent à nouveau après les vacances de Toussaint. Lorsque les gens se rassemblent davantage et restent à l'intérieur, le virus a plus de facilité à trouver de nouvelles cibles.
En clair, vous craignez une autre vague covid cet hiver...
«Clairement oui. Pour le moment, les chiffres sont encore stables mais à un niveau relativement élevé, surtout chez les sujets non vaccinés. Avec le froid, et alors que nous passons plus de temps à l'intérieur, la situation risque de s'aggraver. Il existe encore des personnes qui n'ont pas été vaccinées ou qui, en raison de leur maladie sous-jacente, n'ont malheureusement pas acquis d'immunité malgré la vaccination.
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A ce stade, environ 35% de la population luxembourgeoise n'est pas vaccinée [ndlr : contre 25% pour la partie pouvant accéder au vaccin]. Pour obtenir une immunité collective, il faudrait se rapprocher d'un taux de vaccination de 85%. Donc j'estime que le risque d'une nouvelle vague reste élevé. D'autant que le variant Delta, toujours dominant, est particulièrement contagieux.
L'an passé, la grippe a été quasi inexistante. Qu'en sera-t-il cet hiver?
«Depuis 2003, le réseau Sentinelles (une collaboration du Laboratoire national de santé avec douze généralistes et trois pédiatres) surveille de près le nombre de cas de grippe. Nous prescrivons systématiquement des frottis dans le but d'enregistrer le nombre d'infections. Depuis l'arrivée du covid, le système a été étendu et nous effectuons désormais des tests toute l'année.
Pour l'instant, il n'y a aucun cas de grippe. Et cela se vérifie à l'échelle mondiale. Grâce aux mesures sévères prises au début de la pandémie, il n'y a pratiquement plus de grippe depuis deux ans dans l'hémisphère sud et nord.
La vague de grippe 2019-2020 s'est d'ailleurs brusquement interrompue quand le lockdown a été décidé, en mars 2020. Le confinement strict s'est avéré un choix puissant pour contenir les maladies virales, même s'il n'est pas le plus convivial ou le plus populaire.
Du coup, y a-t-il encore une raison de se faire vacciner contre la grippe ?
«Oui, car la grippe ne disparaîtra jamais et va certainement réapparaître. L'homme n'est pas le seul hôte de ce virus ; il existe de nombreuses espèces animales qui servent de réservoirs. C'est surtout l'hiver, par temps froid et humide, que les virus respiratoires se sentent le plus à l'aise. Mais cela fait déjà quinze jours que l'on vaccine contre la grippe au Luxembourg. Toute personne âgée de plus de 65 ans ou présentant des pathologies préexistantes devrait se faire vacciner contre la grippe.
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On constate cette année que la ruée vers la vaccination contre la grippe est grande, comme l'an dernier où 90.000 doses ont été administrées au pays. Pour cette saison grippale, on devrait atteindre les mêmes chiffres. Et il y aura suffisamment de vaccins disponibles. Trois fabricants différents ont été retenus.
Et il n'y a pas d’incompatibilité entre vaccinations anti-grippe et anti-covid. Je peux même imaginer qu'à l'avenir les deux soient combinées en une même injection. Il existe déjà des recherches en ce sens.
Êtes-vous favorable à la vaccination obligatoire des professionnels de santé ?
«Le personnel infirmier devrait en principe être vacciné, également contre d'autres maladies contagieuses transmissibles. Après tout, ils travaillent en contact étroit avec des seniors ou des patients vulnérables. Tout le monde ne développe pas une immunité après une, deux ou trois piqûres. Pour les patients au système immunitaire affaibli, la vaccination fonctionne malheureusement moins bien. Et, collectivement, chaque individu devrait prêter attention et faire preuve de solidarité envers ces personnes que le covid peut tuer.
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Nous avions vu, dans un récent cluster en maison de retraite, à quel point le virus peut vite passer d'un résident à un soignant ou inversement. Une aide-soignante qui fait sa tournée de distribution de repas ou médicaments, passant de chambre en chambre, peut très facilement propager le virus malgré elle. La vaccination de tous les professionnels de la santé ainsi que des autres contacts réduirait certainement l'infection et les conséquences allant jusqu'au décès dans les résidences pour personnes âgées.
A mes yeux, cela fait partie de l'éthique des soignants de ne pas causer de dommages évitables.
Quand le Luxembourg atteindra-t-il le seuil d'immunité collective ?
«Ce fameux ''Jour de la Libération'' arrivera lorsqu'un maximum de monde sera vacciné. Mais le virus trouve son chemin vers les personnes non vaccinées et protégées. Quand celles-ci se retrouvent ensemble et sans masque, elles rendent la tâche tellement plus facile au virus... Mais disons que pour le printemps 2022, nous aurons atteint un stade de protection intéressant. La plupart des gens seront vaccinés ou auront développé les anticorps nécessaires pour contrer les effets du virus.
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Pour les semaines à venir, par les bienfaits de la campagne vaccinale, le système de santé aura plus de facilité cet hiver pour faire face. Et les cas graves dans les hôpitaux ne devraient pas exploser comme cela a pu être le cas en fin d'année dernière.
À l'avenir, cependant, nous devrions apprendre que toute personne souffrant d'une maladie respiratoire aiguë doit porter un masque et garder ses distances. Par respect pour ses semblables.»