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Quartier de la gare

Les Bandidos reviennent au Luxembourg

Des ex-membres des Hells Angels ont lancé un nouveau groupe local dans la rue de Strasbourg et provoquent leurs anciens amis.

Le nouveau siège du Bandidos MC Luxembourg est situé dans une arrière-cour de la rue de Strasbourg.

Le nouveau siège du Bandidos MC Luxembourg est situé dans une arrière-cour de la rue de Strasbourg. © PHOTO: Guy Jallay

Ils n'étaient plus présents au Grand-Duché depuis 2006. Mais, récemment, les Bandidos ont fait leur retour dans la capitale, rue de Strasbourg. Il y a un peu plus de deux semaines, ils ont réalisé une première démonstration de force. Un regard plus approfondi montre toutefois qu'il ne s'agit en fait que de vieilles connaissances dans un nouvel habit avec de nouvelles ambitions.

Le panneau accrochée depuis novembre dernier dans une arrière-cour de la rue de Strasbourg, dans la capitale, n'a rien d'inquiétant en soi. De couleur jaune et rouge, ile ressemble à un drapeau espagnol. Le badge avec l'inscription ''The Fat Mexican'', comprendre ''le gros Mexicain'', fait penser à l'enseigne d'un restaurant espagnol ou mexicain. Mais, ce n'est pas si simple.

L'enseigne discrète est accrochée à la façade depuis novembre fait référence au logo du club. L'abréviation SYLB signifie «Soutenez vos Bandidos locaux».

L'enseigne discrète est accrochée à la façade depuis novembre fait référence au logo du club. L'abréviation SYLB signifie «Soutenez vos Bandidos locaux». © PHOTO: Guy Jallay

Les couleurs font partie des codes du club Bandidos MC, qui, du point de vue des autorités policières européennes, fait partie des ''Outlaw motorcycle crime gangs'', soit des gangs criminels de motards hors-la-loi. Celui-ci est, parmi d'autres, la cible de diverses interdictions d'associations depuis 2017, par exemple, en Allemagne, ou aux Pays-Bas, car les autorités partent du principe que ces clubs servent de couverture pour des activités criminelles.

Et, le retour de ce gang au Grand-Duché ne laisse rien présager de bon. Car le Luxembourg est, depuis plus de 15 ans, un territoire revendiqué par les Hells Angels, un autre grand gang de motards actif dans le monde entier.

Les Bandidos étaient en fait les premiers

Pourtant, ce sont les Bandidos qui sont arrivés les premiers. Comme le montre un rapport de la police allemande de 1997, ce sont d'abord les Hells Angels qui ont cherché à entrer en contact avec trois clubs de motards luxembourgeois existants. Mais, ce sont les Bandidos qui ont aussitôt concrétisé leurs ambitions. Ils reprennent cette année-là le fameux club de motards ''MC Les Copains" d'Esch-sur-Alzette.

Les Bandidos n'ont néanmoins pas eu trop de chance à l'époque au Luxembourg de l'époque. Dès 2006, le club se dissout faute de membres. En effet, à partir de 2004, de nombreux Bandidos luxembourgeois ont dû faire une pause de plusieurs années derrière les barreaux suédois.

Le 13 janvier de cette même année, le Bandidos MC fait l'objet d'une grande rafle dans neuf villes allemandes, surtout à Aix-la-Chapelle, dans la région frontalière néerlandaise proche ainsi que dans la paisible ville de Rumelange. Au total, 70 personnes sont arrêtées.

Lors de la rafle du club-house Bandidos à Rumelange en 2004, plusieurs centaines de grammes de cocaïne et des armes ont été saisis.

Lors de la rafle du club-house Bandidos à Rumelange en 2004, plusieurs centaines de grammes de cocaïne et des armes ont été saisis. © PHOTO: Guy Wolff

Au sud du Luxembourg, elles sont sept, dont deux femmes. Huit hommes sont finalement jugés pour trafic de cocaïne à grande échelle, possession d'armes et constitution d'une organisation criminelle. L'enquête sur les Bandidos luxembourgeois a duré deux ans. Elle s'est soldée par des peines de prison de trois à quatre ans. Pour le club luxembourgeois, c'est la fin.

Pendant ce temps, les Hells Angels s'installent dans l'environnement du groupe de local Devils Advocates MC. A partir de 2007, une charte officielle sous le nom de Hells Angels Luxembourg MC fait parler d'elle - avec des membres allemands donnant le ton.

Un meurtre de biker

S'ensuit la création du Hells Angels LuxCity, qui existe encore aujourd'hui, et bien plus tard, dans le contexte de la guerre des bikers allemands, entre 2013 et 2016, huit clubs Hells Angels. Ceux-ci qui portent certes Luxembourg dans leur nom, mais qui n'ont qu'un rapport superficiel avec le Grand-Duché.

Plusieurs membres du gang luxembourgeois se sont ensuite rendus à l'étranger. C'est le cas de Danny A. qui, en 2009, tue en Allemagne le chef d'un groupe local de l'Outlaws MC. Très peu de temps après ce meurtre, tous les membres des Hells Angels luxembourgeois reçoivent un patch avec les lettres BMF, dont la signification n'est pas claire. En 2019, Danny A. a d'ailleurs de nouveau été jugé à Trèves pour avoir menacé de mort un surveillant de prison.

Les Hells Angels luxembourgeois disposent aujourd'hui d'un vaste groupe de supporters, d'amis et de soutiens. Et, ils font pompeusement tourner leurs fêtes dans un club situé aux Rives de Clausen, dans la capitale.

En toute discrétion

Le retour des Bandidos au Grand-Duché s'est d'abord déroulé en toute discrétion. Car la panneau ''Fat Mexican'' est déjà accrochée depuis novembre 2021, à peine percevable, sur l'ancien bâtiment de l'association d'une société folklorique d'origine portugaise, rue de Strasbourg. Ce n'est que six mois plus tard, il y a deux semaines, que le Bandidos MC a fait son entrée en bonne et due forme, avec une démonstration de force dans le quartier de la gare de Luxembourg-Ville.

Je préfère de loin les dealers de drogue nigérians et les prostituées roumaines à ces types-là.
Habitants du quartier des Bandidos

Des dizaines de motos lourdes défilent dans les rues, la rue de Strasbourg est bloquée, les carrefours environnants sont volontairement encombrés. On fait souvent le tour du pâté de maisons. Les Bandidos s'efforcent d'affirmer bruyamment leur présence.

«Jusqu'à présent, nous ne les avons vus que lors de leurs réunions hebdomadaires», raconte un riverain. «Il s'agit alors d'une petite dizaine de personnes, les jeudis et samedis. Trois ou quatre d'entre eux viennent à moto, les autres en voiture, parfois avec des plaques d'immatriculation belges.»

Mais, le 23 avril, tout est différent. Dès l'après-midi, une quarantaine de motos sont présentes dans la rue de Strasbourg et de nouvelles arrivent d'heure en heure. Finalement, ce sont bien plus d'une centaine d'hommes qui portent des gilets en cuir Bandidos, dont les écussons donnent une indication sur les clubs auxquels ils appartiennent, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Irlande ou même en Ukraine.

Le Bandidos MC de Nivelles, en Belgique, est particulièrement bien représenté, un chapitre, c'est-à-dire un groupe local, qui n'a pourtant été ouvert qu'en septembre dernier. Et, sa présence n'est pas due au hasard. Mais nous y reviendrons plus tard.

Une présence importante

Presque toute la nuit, une cinquantaine d'hommes se tiennent dans la rue, d'autres dans l'arrière-cour et dans le local du club. Une sorte de service de sécurité des membres montre une présence visible à proximité immédiate du rassemblement de bikers, équipé de lampes de poche et de walkietalkies.

Ces hommes prennent également position aux carrefours environnants. Ils sont très attentifs et visiblement nerveux. Une circonstance qui indique la présence de membres haut placés des Bandidos. Selon les informations du Luxemburger Wort, des dirigeants européens de Bandidos MC sont effectivement venus ce jour-là au Luxembourg et ont passé la nuit dans un grand hôtel de Dommeldange, après la fête dans la rue de Strasbourg.

Le logo luxembourgeois circule sur les réseaux sociaux depuis le 23 avril.

Le logo luxembourgeois circule sur les réseaux sociaux depuis le 23 avril. © PHOTO: Facebook

Une simple recherche sur Internet révèle l'événement: ''Welcome to the Red & Gold Family Chapter Luxembourg'' est affiché depuis le 23 avril sur les pages Bandidos des médias sociaux, accompagné d'un logo assorti avec l'inscription Luxembourg. La visite de personnalités et le défilé dans la rue de Strasbourg célèbrent la création d'une nouvelle branche luxembourgeoise de Bandidos.

Ces nouveaux voisins ne sont pas les bienvenus

Bien qu'il soit évident que la grande majorité des personnes présentes viennent de l'étranger, des hommes parlant luxembourgeois sont également présents ce soir-là, lorsque des riverains peu craintifs cherchent à engager la conversation. Ceux-ci expliquent alors aux voisins que la fête est un événement unique et leur demandent, plus ou moins gentiment, de patienter.

Leur argumentation peut surprendre : tout va mieux se passer maintenant dans quartier de la gare. Maintenant que la «Red and Gold Nation» est présente, les habitants du quartier de la gare n'auraient plus à craindre pour leur sécurité.

Maintenant que la "Red and Gold Nation" est présente dans le quartier de la gare, vous n'avez plus à vous soucier de votre sécurité.
Les Bandidos aux riverains

«Je préfère toutefois de loin les dealers de drogue nigérians et les prostituées roumaines à ces types-là», déclare un jeune père de famille du quartier au Luxemburger Wort. «Nous n'avons pas besoin de racailles pour nous protéger d'autres racailles», estime une autre habitante du quartier. Cependant, la police serait désormais présente dans le quartier bien plus souvent que d'habitude le jeudi soir, lors des réunions hebdomadaires des Bandidos. Cela aurait aussi des avantages.

«Je suis un peu impressionné par la discipline de ces hommes», souligne un autre voisin. «Les motos étaient très bruyantes, dès qu'une arrivait ou partait, les murs de mon appartement tremblaient. Cependant, il n'y a pas eu de musique trop forte pendant toute la soirée et il n'y avait pas non plus de personnes ivres qui hurlaient et titubaient dans le quartier, comme on pouvait le voir habituellement.» Le témoin oculaire poursuit en affirmant que les gardes avaient presque l'air de soldats.

Le comportement de ces nouveaux voisins suscite l'inquiétude des habitants. Nombreux sont ceux qui photographient ou filment les membres du gang, mais personne ne veut remettre les images à la presse. La peur de représailles de la part des bikers est trop grande.

Déjà vu: des bikers dans le quartier de la gare

Les Hells Angels avaient également déjà fait une apparition aussi martiale que celle des Bandidos il y a deux semaines, également dans la rue de Strasbourg, en 2011. A l'époque, ce groupe avait pareillement fait son entrée dans la rue de Strasbourg un samedi après-midi avec de multiples motos et de nombreux renforts venus de l'étranger, proche et lointain. Ils ont bloqué la chaussée dans la partie supérieure de la rue en garant leurs motos et leurs véhicules au milieu de la rue. Alors, ils se sont ensuite répartis dans les restaurants environnants, qu'ils ont assiégés jusqu'au soir, avant de repartir en faisant beaucoup de bruit.

Le contexte était toutefois très différent de celui des Bandidos aujourd'hui: comme on l'a appris plus tard de milieux bien informés, la démonstration des bikers était une tentative d'intimidation directe, même si elle s'est révélée infructueuse. Les Hells Angels s'efforçaient en effet à ce moment-là de prendre pied dans le milieu de la prostitution luxembourgeoise. Mais les gérants de boîtes de nuit locales les en ont empêchés, notamment en mettant toujours plus d'argent sur la table lors de l'achat de cabarets que leurs concurrents indésirables.

Visiblement, les mesures de sécurité des bikers existent également, bien que dans une moindre mesure, lors des réunions régulières du jeudi et du samedi — et, ce n'est pas sans raison: selon les informations du Luxemburger Wort, le fondateur de la nouvelle succursale des Bandidos au Luxembourg n'est autre que l'ancien président du Hells Angels Charter Lux City. Et, ses anciens amis des Angels ne sont apparemment plus en bons termes avec Jorge S., qui est décrit dans le milieu comme capricieux, imprévisible et pour cela dangereux.

Selon les informations disponibles, Jorge S. est considéré par les Hells Angels, pour des raisons inconnues, comme «out and in bad standing» - dans le monde des bikers, quelque part entre persona non grata et soumis à la vindicte. Comme le montrent des photos, il a été jusqu'à récemment prospect, c'est-à-dire candidat à une adhésion à part entière, dans le chapitre des Bandidos à Nivelles, fondé en septembre dernier. En 2018, il était encore chez les Hells Angels.

Provoquer à tout prix

Et Jorge S. ne manque visiblement pas une occasion de provoquer ses anciens collègues des Hells Angels. Une telle provocation, typique du milieu, serait également visible sur une photo que Jorge S. a publiée le jour de l'ouverture du club. On le voit en compagnie de Tony D., ex-membre des Red Devils, et d'Yves B., ex-membre des Hells Angels. Sur la photo, Jorge S. dispose sa main en forme de pistolet.

L'ex-Red Devil Tony D. (à gauche) et les ex-Hells Angels Yves B. (au milieu) et Jorge S. (à droite) en vêtements Bandidos sur Facebook. Le pistolet implicite est vu dans la scène comme une provocation claire envers les Hells Angels.

L'ex-Red Devil Tony D. (à gauche) et les ex-Hells Angels Yves B. (au milieu) et Jorge S. (à droite) en vêtements Bandidos sur Facebook. Le pistolet implicite est vu dans la scène comme une provocation claire envers les Hells Angels. © PHOTO: Facebook

Il y a donc du potentiel conflit dans l'air entre les anciens Hells Angels et les nouveaux Bandidos. Les rumeurs qui circulent dans le milieu, selon lesquelles d'autres membres et supporters de l'environnement des Hells Angels envisagent de rejoindre les Bandidos, ne devraient guère contribuer à l'apaisement.

Les provocations ne sont cependant pas unilatérales. C'est du moins ainsi que l'on peut interpréter l'invitation des Hells Angels pour jeudi dernier à la RockBox de Clausen. Ces derniers ont invité à une Mexican Party, moins de dix jours après l'inauguration officielle du ''Fat Mexican'' dans le quartier de la gare.

Cet article est paru pour la première fois sur wort.lu/de

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