Les bodycams protègent-elles uniquement les policiers?
Un projet de loi prévoit d'équiper les policiers de caméras. La commission des droits de l'homme prend position de manière critique sur ce projet.
Les bodycams existent déjà depuis longtemps à l'étranger. Il est désormais prévu qu'elles arrivent également au Luxembourg. © PHOTO: dpa
La police luxembourgeoise doit être équipée de bodycams. Dans un premier temps, 1.682 policiers seront équipés de ces caméras et six millions d'euros sont prévus à cet effet pour les cinq prochaines années. La commission des droits de l'homme a pris position sur le projet de loi portant le numéro 8065.
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«Je ne connais les bodycams que par les films américains», a déclaré Gilbert Pregno, le président de la commission consultative des droits de l'homme (CCDH), en ouverture de la conférence de presse de mercredi.
Contrairement aux caméras qui surveillent l'espace public, les caméras corporelles filmeraient également dans des espaces privés, par exemple lorsque la police est appelée pour une intervention dans un appartement. Selon lui, en termes de droits de l'homme et de protection des données, c'est très différent. «Nous ne voulons pas d'une situation à la chinoise», a déclaré Gilbert Pregno.
Prévention et préservation des preuves
Les caméras doivent avoir un effet préventif et préserver les preuves lorsque les policiers sont agressés. «L'une des raisons pour lesquelles les policiers sont équipés de bodycams est le fait qu'ils sont filmés dans l'exercice de leurs fonctions», explique Max Mousel, juriste à la commission des droits de l'homme.
Il ressort donc du texte de loi que «le gouvernement considère les bodycams comme un moyen de protéger les policiers contre les agressions verbales, physiques ou juridiques de la part de la population». En principe, la commission des droits de l'homme n'y trouve rien à redire. «Le travail de la police n'est pas devenu plus facile ces dernières années», souligne Gilbert Pregno. Il est important de pouvoir prouver, en cas de litige, que les agents ont respecté les règles. Les bodycams sont une «protection pour la police».
Protection pour la police ou protection contre la police ?
Les bodycams pourraient pourtant faire bien plus. «Le système de caméras doit aussi servir à protéger les citoyens contre un comportement fautif de la police.» C'est un objectif qui a été fixé dans le texte de loi, mais il est traité avec peu d'attention. «La protection du citoyen n'est qu'évoquée dans le texte de loi, je trouve cela étonnant», explique Gilbert Pregno.
Le projet de loi manque en outre de règles précises sur la manière de procéder lorsque les images de la bodycam montrent que d'autres personnes que les policiers ont subi des dommages. «Le meurtre de George Floyd n'a été rendu public que parce que des personnes extérieures avaient filmé la scène, les enregistrements des bodycams n'ont joué aucun rôle», exemplifie Gilbert Pregno.
La protection du citoyen n'est que suggérée dans le texte de loi, je trouve cela assez étonnant.
Au cours des dernières années, des vidéos ont été rendues publiques au Luxembourg, dans lesquelles on pouvait soi-disant voir comment les policiers se comportaient de manière incorrecte.
Là encore, la commission des droits de l'homme n'a rien à redire. «Si on a la possibilité de filmer le policier, la vidéo peut ensuite avoir la même force probante devant un tribunal que la vidéo de la bodycam du policier», estime Gilbert Pregno. Mais souvent, ces films ne montrent pas l'intégralité de l'événement, et les bodycams devraient changer la donne.
Les incidents doivent être filmés
Le projet de loi examiné ne réglemente toutefois que l'utilisation des caméras par la police. Il réglemente comment et quand les policiers peuvent enregistrer des images et des sons de leurs interventions. «Selon la loi, la caméra doit être activée dans les situations où un incident s'est produit ou risque de se produire», explique Max Mousel, juriste à la CCDH. Le projet de loi ne précise pas à quoi ressemble un tel incident. «Cela laisse une grande marge d'interprétation.»
Le gouvernement considère les bodycams comme un moyen de protéger les policiers contre les agressions verbales, physiques ou juridiques de la part de la population.
A l'avenir, les policiers pourront donc enregistrer leurs interventions en images et en sons : «Le policier appuie sur un bouton, puis il filme», explique Gilbert Pregno. «Il est de la responsabilité des policiers de décider s'il y a eu ou non un incident», souligne Max Mousel. Selon lui, cela conduit à une insécurité juridique pour la police et à un risque d'arbitraire pour les citoyens.
Insécurité juridique pour les policiers
La manière de procéder dans les cas où un policier n'a pas allumé la caméra alors qu'il aurait dû le faire n'est pas non plus très claire. «Il semble que l'utilisation des caméras ne soit pas une obligation», indique le juriste. En outre, il n'est pas tranché si le policier risque des conséquences dans ce cas. Selon lui, il y a de nombreuses questions auxquelles la loi ne répond pas.
Les citoyens n'ont pas la possibilité d'ordonner au policier d'éteindre la caméra ni même de l'allumer. Max Mousel explique qu'on pourrait imaginer que la bodycam s'allume automatiquement dans certaines situations, «par exemple lorsque le fonctionnaire sort son arme».
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En fait, les agents sont tenus d'informer les personnes filmées lorsque la caméra fonctionne. La commission des droits de l'homme s'en félicite. Mais il y a des exceptions : «On ne sait pas concrètement comment se présentent ces cas exceptionnels». Il peut donc arriver, dans certaines circonstances, que des citoyens soient filmés à leur insu. Dans un tel cas, l'objectif de prévention de la violence n'aurait aucun sens. «Si les bodycams doivent prévenir les agressions, l'agresseur doit être conscient qu'il est filmé», explique Mousel.
Équilibre entre la protection du citoyen et celle du policier
La commission des droits de l'homme exhorte les législateurs à trouver un équilibre entre la protection du policier et celle du citoyen. Ce n'est pas le cas dans le texte actuel, qui manque en outre de clarté sur un autre point : «Qui peut accéder aux données ?» Actuellement, il ne peut être exclu que les enregistrements soient manipulés après coup ou que certaines séquences soient effacées. «Sur ce point, la loi renvoie aux règles internes de la police», explique Gilbert Pregno. Il serait pourtant préférable que l'accès aux données soit réglé dans la loi.
Il y a un autre point sur lequel les défenseurs des droits de l'homme s'appuient pour dire que les bodycams visent en premier lieu à protéger les policiers : aucune procédure ne prévoit que les personnes filmées puissent avoir accès aux enregistrements. «Nous appelons le gouvernement et le Parlement à faire en sorte que les personnes concernées aient un accès explicite et effectif aux données», conclut Max Mousel.
Cet article est paru initialement sur le site du Luxemburger Wort.
Traduction: Mélodie Mouzon