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Les erreurs et absurdités du Fonds du logement

C'est une histoire à rebondissements assombrie de scandales et alourdie par un fonctionnement complexe. Retour sur des années troubles chez le bâtisseur de logements sociaux.

Le siège du Fonds du Logement situé boulevard Marcel Cahen, à Merl.

Le siège du Fonds du Logement situé boulevard Marcel Cahen, à Merl. © PHOTO: Lex Kleren

La mission du Fonds du logement est noble: elle consiste à proposer des logements à des prix abordables. C'est sa fonction depuis 1979. Cependant il n'a jamais été à la hauteur des attentes. Démêlons le fil de l'histoire…

Maggy Nagel, alors ministre du Logement (DP) de 2013 à 2015, fut seule aux commandes. Elle voulait mettre un terme à l'ère Miltgen, moderniser le Fonds et accroître son efficacité.

Son successeur, Marc Hansen, a pris des décisions qui n'ont pas fait de bien au Fonds. Il avait la réputation de toujours s'immiscer dans les affaires du Fonds du logement, alors qu'il s'agit d'un «établissement public autonome». Sa première erreur a été de nommer Mario Schweitzer comme coordinateur. Une décision qui s'est avérée mauvaise, car elle a provoqué des conflits en interne et a suscité des propos polémiques à son sujet.

Malgré cela, Marc Hansen n'est pas revenu sur son choix. Mario Schweitzer, qui est resté en fonction de 2015 à 2018, a commencé par augmenter les salaires. Sans que cela ne change pour autant le niveau de vie des 63 employés, les frais de personnel du Fonds sont passés, selon le rapport annuel, de 3,992 millions d'euros en 2015 à 4,754 millions d'euros en 2016. Soit une augmentation de 762.000 euros.

Seulement 19 logements construits en 2016

Parallèlement à cela, la productivité du Fonds a décliné. Seuls 19 logements ont été construits en 2016, ce qui avait fait grand scandale dans le pays. Un résultat inacceptable. Pourtant, l'ère Schweitzer durera encore jusqu'en janvier 2018. Il fut remplacé par Eric Rosin. Mario Schweitzer est retourné à l'administration des bâtiments publics.

Pendant le ministère de Marc Hansen, un accord a été conclu entre la Ville de Luxembourg et le Fonds du logement. Ce qui n'a pas été à l'avantage de ce dernier. Mais pour cela, il faut remonter encore le fil de l'histoire.

En 2001, le promoteur de la Ville de Luxembourg a réservé deux parcelles dans la rue de Mühlenbach et la Millegässel, d'une surface totale d'environ 57 ares, afin d'y ériger une école primaire. En contrepartie, le Fonds du logement a reçu un terrain de 8 ares à l'intersection des rues Bender et du Fort Neipperg.

Le terrain situé au croisement des rues Bender et Fort Neipperg est revenu parmi les biens de la Ville de Luxembourg en octobre 2017.

Le terrain situé au croisement des rues Bender et Fort Neipperg est revenu parmi les biens de la Ville de Luxembourg en octobre 2017. © PHOTO: Gerry Huberty

Un bâtiment de plusieurs étages devait y être construit pour abriter le siège du Fonds du logement et des bureaux pour la Ville de Luxembourg. Des pourparlers auraient eu lieu avec la Ville et des plans auraient été tracés pour mener à bien ce projet immobilier. Mais rien de cela n'avait abouti au printemps 2015, lorsque le président du Fonds, Daniel Miltgen, a été écarté. Pendant ce temps, le Fonds a loué cette surface comme places de parking à des employés de la Ville de Luxembourg qui travaillaient dans le bâtiment voisin, entré en service en janvier 2007.

Finalement, le terrain revient à la Ville

Le 17 octobre 2017, ce terrain non bâti est retourné à la Ville de Luxembourg, apparemment sous l'impulsion de Marc Hansen, selon nos sources. A ce jour, il sert toujours de parking. Finalement, la Ville prévoit d'y construire une extension du bâtiment administratif adjacent. Le Fonds a reçu en retour un autre terrain d'une surface de 18,47 ares et situé dans la rue de Merl. Là, un mélange de surfaces commerciales (jusqu'à 1.200 mètres carrés) et de logements (20 à 30 unités) sont prévus, mais pas de bâtiment pour le Fonds lui-même; «car 1.200 mètres carrés pour le Fonds, c'est insuffisant», a répondu la présidente du conseil d'administration, Diane Dupont, au Luxemburger Wort.

Elle a confirmé qu'il avait été envisagé de construire un bâtiment rue Bender. Cependant, aucun projet n'avait encore été approuvé par le comité directeur de l'époque (avant que Daniel Miltgen ne soit écarté). En 2015, le nouveau comité directeur a décidé que le site n'était pas propice à la construction d'un immeuble et a accepté l'échange proposé par la Ville de Luxembourg afin de bâtir des appartements rue de Merl et que le Fonds remplisse ainsi sa mission.

Une démarche qui honore le Fonds… qui a emménagé finalement, non pas dans une maison mais dans de luxueux bureaux boulevard Marcel Cahen, en avril 2018.

120.000 euros de loyer

Le bâtiment du nom de White Pearl, d'une surface de 8.500 mètres carrés, est situé sur l'ancien site de Luxlait. Il a été vendu au prix de 55 millions d'euros, selon Paperjam, par une société d'investissements, Sogimme, à un investisseur privé français. Le Fonds loue à ce dernier une surface d'environ 3.600 mètres carrés pour une somme de 120.000 euros (HTVA). Soit un tarif de 33 euros le mètre carré et 1,44 million d'euros d'argent public qui disparaissent chaque année dans les poches d'un privé. Pour le bâtiment de Gasperich que le Fonds a dû quitter pour une question de place, le loyer représentait un tiers de cette somme.

Pourquoi le Fonds du logement occupe toujours des bureaux en location? Selon Diane Dupont, il n'est pas facile de trouver un terrain dans la capitale qui permette d'envisager de rassembler toutes les activités du Fonds. C'est possible. Mais le fait est que le Fonds du logement disposait d'un terrain et qu'il l'a laissé à la Ville, qui projette elle-même d'y construire des bureaux pour ses propres services administratifs. Le fait est encore, que le Fonds du logement, d'après un rapport spécial de la Cour des comptes sur la construction de logements sociaux entre 2009 et fin 2017, seules 20 (soit 16 Ha) des 732 parcelles envisageables ont été achetées grâce au droit de préemption. Le Fonds aurait donc renoncé à 147 hectares de terrain à bâtir.

Un fonctionnement lourd

La chance, mais aussi le problème du Fonds du logement, c'est qu'il est financé par une dotation de l'Etat, calculée de façon à ce que les comptes soient à l'équilibre. Le Fonds n'est pas sous pression financièrement, contrairement à la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM), par exemple. La société anonyme ne reçoit que des subventions de la part de l'Etat. Elles lui servent, selon la loi, à acheter des terrains et à construire des logements. Puisque la SNHBM doit s'autofinancer, elle construit davantage de logements destinés à la vente plutôt qu'à la location.

La SNHBM a aussi un modèle économique plus efficace que celui du Fonds du logement. Elle construit principalement des appartements ou maisons standardisés. Les détails comme les fenêtres, toits ou façades sont les mêmes pour tous les projets de construction. Ce qui permet de réduire les coûts. La société travaille la plupart du temps avec ses propres architectes et a construit son propre bâtiment pour 11 millions d'euros.

Davantage de logements destinés à la vente

Le Fonds du logement emploie aussi des architectes. Pour les projets, des cabinets d'architectes sont sollicités pour travailler en collaboration avec les architectes du Fonds. Ce qui augmente les coûts, d'autant plus que chaque projet est planifié individuellement. La SNHBM peut réduire les siens puisqu'elle construit 20 à 25 unités de logements identiques. Alors que le Fonds construit parfois des projets plus petits et principalement destinés à la location. Sauf que par le passé, le Fonds du logement a construit davantage de logements destinés à la vente qu'à la location. Selon les données du ministère du Logement, le Fonds a construit, entre 2010 et fin 2017, précisément 325 logements pour la vente, et seulement 229 logements destinés à la location. Pendant la même période, la SNHBM a construit 890 logements.

Selon Diane Dupont, l'une de ses premières pistes de réflexion en tant que présidente du conseil d'administration était de construire son propre siège. C'était en décembre 2017. Et à cette époque, la Ville avait déjà récupéré son terrain et la parcelle de la rue Bender n'était plus dans les dossiers.

Par Michèle Gantenbein - Traduction et adaptation: AF

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