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Les femmes, premières victimes sociales de la pandémie

Surreprésentées dans les professions de première ligne, sursollicitées à la maison pour les tâches ménagères ou la garde des enfants, les femmes ont été davantage impactées socialement que les hommes par la pandémie.

Taina Bofferding a participé à la présentation de l'étude du LISER sur l’impact de la pandémie sur l’égalité entre les genres, ce lundi 7 mars.

Taina Bofferding a participé à la présentation de l'étude du LISER sur l’impact de la pandémie sur l’égalité entre les genres, ce lundi 7 mars. © PHOTO: Anouk Antony

Journaliste

«N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant», écrivait Simone de Beauvoir. En feuilletant les 87 pages que comporte l'étude du Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) sur l'impact de la crise du covid-19 sur l'égalité femmes-hommes, on ne peut s'empêcher de penser que la philosophe et romancière française aurait probablement dû rajouter «sanitaire» à son énumération.

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Si la pandémie de covid-19 que nous vivons depuis mars 2020 n'a pas à proprement parler amené à une remise en question des droits des femmes au Luxembourg, elle a inexorablement engendré des conséquences qui ont plus largement pesé sur les épaules des femmes. A l'exception cependant des problèmes de santé directement liés à la maladie. Présentée ce lundi 7 mars au Luxembourg Learning Center d'Esch-sur-Alzette en présence de la ministre de l'Egalité entre les femmes et les hommes Taina Bofferding (LSAP), l'étude «Covid-19 et égalité des genres au Luxembourg» du LISER se concentre dans sa première partie sur les données concernant les contaminations, les hospitalisations et les décès liés au coronavirus.

Dans leur ensemble, les contaminations sont similaires entre les femmes et les hommes. Le covid-19 touche autant les deux groupes étudiés, sauf dans les structures monoparentales, où les femmes sont surreprésentées, et dans les familles nombreuses. «Les hommes, en particulier les catégories plus âgées, ont été bien plus nombreux à développer des formes graves de la maladie nécessitant une hospitalisation, une admission en soins intensifs, voire à un décès», détaille cependant le professeur Philippe Van Kerm, coauteur de l'étude. Par rapport aux autres pays, cet écart a été très marqué au Grand-Duché, bien qu'observé ailleurs dans le monde. Des pistes comme les facteurs biologiques, de risque ou de comportement peuvent engendrer cet écart, bien qu'aucune raison ne permette formellement de l'expliquer.

Un respect inégal des mesures

Si elles ont contracté des formes moins graves de la maladie, les femmes ont cependant été surexposées au virus. En effet, les professions de la santé, du service à la personne ou encore du commerce sont largement féminisées. «Il s'agit de secteurs qui ne sont pas économiquement importants au Luxembourg, mais ils sont pourtant essentiels à la société», note Aline Muller, directrice générale du LISER. «Les femmes ne doivent cependant pas seulement être perçues comme des victimes. On le voit dans la crise, elles jouent un rôle important dans la famille, tout en n'étant pas assez partie prenante dans les organes décisionnels», regrette Aline Muller.

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Dans leur deuxième chapitre, les chercheurs du LISER se sont intéressés aux comportements des femmes et des hommes face à la crise, et notamment au respect des mesures sanitaires. En se basant sur une enquête menée par l'Université de Luxembourg sur 700 répondants en mars 2021, les auteurs de l'étude ont distingué, là aussi, un écart entre les femmes et les hommes. Du port du masque au testing en passant par la persistance du respect des mesures, les femmes respectent davantage les restrictions que les hommes.

Non seulement les femmes sont plus respectueuses des mesures, mais elles les appliquent plus durablement. Elles sont également plus enclines à soutenir les actions du gouvernement. «Pour contrebalancer cet effet, nous pourrions imaginer un ciblage par genre pour certaines communications en soutien de ces politiques», avance le chercheur. «Pour toutes les mesures, les femmes se situent entre 5 à 10% au-dessus des hommes, ce qui peut s'expliquer par l'aversion du risque et la perception du danger lié au covid qui sont plus marquées chez les femmes», explique le Dr Bernard Verheyden. Non seulement les femmes sont plus respectueuses des mesures, mais elles les appliquent plus durablement. Elles sont également plus enclines à soutenir les actions du gouvernement. «Pour contrebalancer cet effet, nous pourrions imaginer un ciblage par genre pour certaines communications en soutien de ces politiques», avance le chercheur.

La pandémie a également eu un impact sur le marché du travail. Ainsi, les femmes ont été plus nombreuses que les hommes à perdre leur emploi dans les premiers mois de la crise sanitaire, même si cette différence reste modérée. Une réalité qui est cependant à nuancer avec les mesures de sauvegarde de l'emploi telles que le chômage partiel et le congé familial visant à contrebalancer les effets économiques négatifs de la crise. Ces mesures permettant notamment à des personnes de conserver leur emploi qu'elles auraient autrement pu quitter.

Plus impliquées à la maison

A la maison, les écarts se sont creusés, en particulier dans le domaine de la garde des enfants. Dans leur emploi du temps, les femmes et les hommes ont augmenté du même volume leur participation aux tâches ménagères (+30 minutes). Mais le temps consacré à la garde des enfants n'a augmenté que de 25 minutes pour les hommes, là où les femmes consacraient 55 minutes supplémentaires par jour à s'occuper des tout-petits.

Une charge mentale qui s'illustre dans la prise de congés exceptionnels pour raisons familiales. Si la mesure était proposée à l'ensemble des salariés, sans distinction de genre, ce sont majoritairement des femmes qui en ont profité. «Les hommes ont raté leur chance d'accroître leur contribution au travail non rémunéré d'une manière qui aurait pu réduire l'écart entre les genres en ce qui concerne les tâches ménagères et la garde d'enfant», souligne le docteur Giorgia Menta.

Une souffrance mentale

Si les différences entre les genres sont loin d'être significatives dans tous les domaines de cette étude, qui constitue un premier état des lieux, ces écarts s'additionnent. «Cela pourrait impacter les femmes qui, en raison d'une charge mentale plus forte, pourraient avoir des problèmes de santé mentale», avertit Giorgia Menta.

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Un constat confirmé par Claus Vögele, lors de la table ronde qui a suivi la présentation des chercheurs du LISER. Le professeur en psychologie a évoqué une étude qui tend à montrer que les femmes se sentent moins bien avec la pandémie. «20 à 30% des femmes interrogées font part de sentiments dépressifs, anxieux, stressés, ce qui est une part significative par rapport à une population normale», indique le professeur.

Bien qu'inquiétants au regard de l'égalité, ces résultats n'ont pas étonné la ministre Taina Bofferding. «En temps de crise, l'égalité des sexes est un objectif qui est souvent suspendu et a tendance à être considéré comme secondaire», fait remarquer la ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Ce premier état des lieux devrait donc permettre «de responsabiliser les différents ministères pour qu'ils mettent en œuvre des politiques plus ciblées sur les sexes» avec un objectif affiché: «construire une société plus juste et résiliente».

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