Les toxicos en manque... de lieux
Des sites de consommation encadrée de stupéfiants en trop petit nombre, un manque criant de logements pour des consommateurs souhaitant sortir de la marginalité : le Plan d'action drogues 2020-24 tarde à trouver des sites.
Aux abords de l'Abrigado, le campement sauvage témoigne de la précarité de nombreux usagers. © PHOTO: Anouk Antony
Les tentes plantées sur les quartiers Gare ou Bonnevoie sont devenues familières au regard. Trop, aux yeux du député François Benoy. Car derrière ces installations de fortune se cache une population en détresse, toxicomanes à la rue, en galère. Aussi, le parlementaire Déi Gréng s'est emporté dernièrement à la Chambre : «Si c'est de cette façon que notre pays traite les plus faibles, alors c'est une honte!». Et de demander des comptes à la ministre de la Santé, Paulette Lenert.
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«Car derrière cette situation de misère sociale, il y a deux problèmes que le Plan national drogues 2020-24 devait régler, a donc interpellé l'élu. Primo, la régionalisation de l'offre. Secundo, l'extension de l'offres en logements supervisés ou adaptés pour ces publics de consommateurs de stupéfiants. Les voir regroupés sur un seul site, et sans abri n'arrangera certainement pas les choses pour eux».
Pour le député écologiste, il est donc temps de «déconcentrer, délocaliser les toxicomanes. Pas les chasser, mais leur offrir d'autres lieux de consommation encadrée et de nouveaux endroits où loger. La petite trentaine d'appartements proposés dans la capitale affichant complet depuis longtemps, comme dans le reste du pays».
En fait, la question qui reste en suspens pour le Dr Alain Origer tient en un seul mot ''où''? «Car, comme le rappelle le coordinateur national Drogues, ces mesures et d'autres sont prévues au récent Plan d'action national 2020-24». Mais si le pays veut que ces solutions fonctionnent, il faut proposer des sites qui soient «en adéquation d'abord avec les habitudes des consommateurs, ensuite s'assurer de la meilleure intégration face aux populations résidentes.»
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Et le coordinateur national drogues de rappeler qu'au moins, en ce qui concerne le ministère de la Santé, l'offre a été développée de façon continue, y compris à l'échelle régionale. Car si le Centre de jour avec sa salle de consommation, Abrigado, date de 2005, depuis il y a eu d'autres ouvertures. A l'exemple de la ''salle de shoot'' (terme réducteur) d'Esch-sur-Alzette, en 2019. Ou encore une seconde offre à bas seuil à Luxembourg (Kontakt 28) et une autre à Ettelbrück (Contact Nord).
Ces centres connaissent des fréquentations bien différentes. «Cela revient à cette question de lieu pertinent et adapté. On s'aperçoit que les usagers ont plutôt tendance à se déplacer vers là où existe la meilleure offre de stupéfiants. Et de consommer là où la drogue s'achète, notamment à cause de l'impératif lié à la dépendance. Et Luxembourg reste donc un pôle d'attraction de fait.» Aux yeux du coordinateur, l'offre d'encadrement proposée en ces lieux reste indispensable, mais une décentralisation locale, au niveau même de la Ville, «est une nécessité». «A Luxembourg, 2.150 contrats d'utilisateurs des salles de consommation sont gérés et 72 à Esch. C'est un point de prise de contact majeur pour une politique sanitaire misant sur des offres complémentaires».
Héroïnomanes ou cocaïnomanes sont ainsi invités à préférer l'inhalation à l'injection (à moindre risque), participent au programme d'échange de seringues stériles (plus de 3,5 millions échangées en six ans), sont mieux pris en charge en cas de surdoses.
«Sur Luxembourg, nous avons aussi récemment mis en place une permanence médicale couplée à une offre de traitement de substitution bas seuil utile pour cette population hautement précarisée et exposée». Sachant que le ministère étudie l'opportunité de proposer ce même service à la ''Fixerstuff'' d'Esch.
Certes, mais les lieux pour de nouvelles salles décentralisées? Le Dr Origer reconnait la difficulté. Un courrier, incluant des pistes à suivre, a déjà été adressé à la Ville de Luxembourg. Il est resté sans réponse. «Il faudra du changement car, avec près de 175 usagers de la salle de consommation par jour, Abrigado est saturé et le travail de prise en charge des usagers par les professionnels devient de plus en plus difficile à mener..»
Qui sait alors si la récente polémique autour des brigades privées aux abords de la gare et du quartier Bonnevoie ou les conclusions de l'enquête menée auprès des riverains sur leur sentiment d'insécurité feront-elles accélérer le mouvement pour que des solutions soient trouvées pour décentraliser l'offre dans la capitale prioritairement.
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Depuis des années, ministère de la Santé et de la Famille travaillent aussi sur le programme housing-first à destination du public sans-abri (toxicomanes compris). Des villes comme Zurich ou Glasgow ont ainsi été pionnières sur cette question de loger les drogués jusqu'alors à la rue. «C'est un facteur indispensable de réintégration», plaide François Benoy.
Et le député de bouillir en voyant que le nombre d'appartements proposés dans ce cadre reste «ridiculement faible». On parle d'une trentaine de logements au Foyer Félix Chomé (pour une liste d'attente de plus de 50 noms) et une centaine de logements encadrés pour tout le Luxembourg... Pour le Dr Origer, cela reste effectivement un axe à développer fortement.
Une porte de sortie
«Sans domiciliation, impossible d'avoir un suivi administratif et social durable. Cela va au-delà d'offrir un toit au-dessus de la tête, c'est bien l'étape majeure vers une stabilisation, et sans doute une meilleure condition pour décrocher». Et là, la difficulté semble double. D'un côté, il faut persuader des propriétaires; certains étant bien moins à même de concéder leur bien quand le locataire attendu est un toxico non stabilisé. De l'autre, convaincre dans la durée des usagers qui, parfois, peinent à se sentir à l'aise entre quatre murs. Un univers auquel il faut se réhabituer après avoir connu la vie du dehors et la nécessité de se procurer, de nuit comme de jour, le produit objet de leur dépendance.
«Mais avec la difficulté de trouver des biens immobiliers libres et adéquats dans le pays et encore plus dans la capitale, cela n'a rien d'évident de faire grandir l'offre housing-first. Mais nous continuons dans ce but avec le recrutement en parallèle des professionnels qui peuvent accompagner celles et ceux qui tentent de sortir de leur dépendance et des problèmes sociaux liés», conclut le Dr Origer.