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Marché du travail et intégration

Les Ukrainiens pourraient avoir du mal à trouver un emploi

Les réfugiés ukrainiens bénéficiant d'une protection temporaire pourraient avoir des difficultés à trouver un emploi en raison du manque de projets d'intégration.

Les personnes qui ont fui l'Ukraine et qui bénéficient d'une protection temporaire profiteront d'un libre accès au marché du travail national.

Les personnes qui ont fui l'Ukraine et qui bénéficient d'une protection temporaire profiteront d'un libre accès au marché du travail national. © PHOTO: Shutterstock

(MKa avec Florian JAVEL) - Suite à la décision des Etats membres de l'UE de permettre aux personnes ayant fui l'Ukraine de bénéficier d'un statut de protection temporaire et d'accéder librement au marché du travail, celles-ci peuvent s'inscrire comme demandeuses d'emploi auprès de l'ADEM (Agence pour le développement de l'emploi) sans permis de travail supplémentaire.

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Sérgio Ferreira, le porte-parole politique de l'ASTI (Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés), confirme que cette décision aurait dû être prise depuis longtemps pour les personnes ayant fui leur pays: «L'intégration et l'inclusion signifient que les personnes ayant fui leur pays participent à la vie économique, sociale et culturelle de la communauté. La vie professionnelle en fait partie. Une telle ouverture du marché du travail constitue donc une nécessité pour préserver les perspectives d'avenir de ces personnes».

L'AOT est un «labyrinthe bureaucratique»

Sérgio Ferreira voit d'un œil critique le fait que les réfugiés ayant un statut de protection internationale, qui ont fui la guerre en Syrie, en Libye ou en Afghanistan, aient été exclus de cette ouverture du marché du travail ces dernières années: «Il n'y a pas de réfugiés illégitimes. Ceux qui fuient la guerre ont le droit de pouvoir reconstruire leur vie au Luxembourg. L'Autorisation d'Occupation Temporaire (AOT), dont les personnes en quête de protection internationale ont pu bénéficier jusqu'à présent, est un labyrinthe bureaucratique».

Les employeurs désespèrent de la procédure, bien qu'ils recherchent désespérément de la main-d'œuvre.
Ambre Scholz, Passerell

En 2019, le Collectif Réfugiés Luxembourg avait déjà attiré l'attention sur les problèmes liés à l'autorisation provisoire d'emploi pour les réfugiés bénéficiant d'une protection internationale.

Après avoir demandé ce statut de protection, il faut attendre six mois avant d'entamer la procédure d'AOT proprement dite. Pour les employeurs comme pour les demandeurs d'emploi, la procédure est longue, bureaucratique, complexe et coûteuse. La durée de six mois d'une AOT ne permet pas aux employeurs de compter sur la main-d'œuvre à long terme. Une AOT ne peut pas répondre à la disponibilité spontanée de la main-d'œuvre, si importante pour le secteur de l'Horesca.

Inégalités entre les réfugiés

Ambre Schulz, de l'organisation Passerell, qui propose aux réfugiés des consultations juridiques par des avocats bénévoles, constate que peu de personnes cherchent à obtenir une autorisation provisoire d'occupation (AOT): «Sur l'ensemble des personnes qui ont demandé un statut de protection au Luxembourg au cours de l'année 2021, 24 ont demandé une AOT. Le fait que seuls 25 à 30% de tous les réfugiés aient trouvé un emploi dans le pays depuis la crise de 2015 est problématique par rapport aux normes européennes. Les employeurs désespèrent de la procédure, bien qu'ils recherchent désespérément de la main-d'œuvre».

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Déjà après l'évacuation de la SHUK (Structure d'hébergement d'urgence au Kirchberg), lors de laquelle des Irakiens, des Syriens, des Afghans et des Africains ont été conduits à la WAK (Wanteraktioun) pour faire de la place aux réfugiés ukrainiens arrivés, Passerell et plusieurs organisations de bénévoles ont mis en garde contre une distinction entre les «bons» et les «mauvais» migrants.

Selon Sérgio Ferreira, le fait que les personnes bénéficiant d'une protection internationale continuent d'être exclues du libre accès au marché du travail n'est pas une discrimination délibérée de la part des autorités compétentes: «Ce n'est certainement pas intentionnel. Mais le gouvernement devrait être conscient que cela peut créer de la frustration chez les gens».

Il semble en outre y avoir une distinction dans l'octroi de la protection temporaire. Passerell et ASTI confirment que les ressortissants de pays tiers qui ont fui l'Ukraine sont confrontés à des délais d'attente plus longs. A la question de savoir s'il y a eu des retards pour les réfugiés ukrainiens qui ont été hébergés directement par des familles et non par le SHUK, Sérgio Ferreira souligne que c'est possible, mais qu'il y a eu autant de cas dans l'autre sens. Il s'agit de retards qui se sont accumulés au fil des semaines.

Le marché du travail luxembourgeois est complexe, ne serait-ce qu'en raison de la diversité linguistique. Sans mesures d'intégration, il n'est pas certain que ces personnes trouvent réellement un emploi.
Sérgio Ferreira, ASTI

«Le marché du travail luxembourgeois est complexe»

Grâce à l'accès ouvert au marché du travail, les personnes qui ont fui l'Ukraine et qui bénéficient d'une protection temporaire pourront profiter de toutes les offres de l'ADEM.

Ambre Schulz de Passerell ne conteste pas qu'il s'agit là d'un grand soulagement pour les réfugiés, mais souligne que leurs inquiétudes doivent être entendues: «Avec les traumatismes avec lesquels certains d'entre eux arrivent, tous ne pourront pas travailler immédiatement. Le fait que ce sont plutôt les femmes qui ont fui avec leurs enfants entraîne à son tour des défis pour le marché du travail, comme davantage de garde d'enfants et de soutien psychosocial».

Sérgio Ferreira et le Collectif Réfugiés Luxembourg regrettent plutôt le manque de volonté politique de lancer un appel à projets pour favoriser l'intégration des exilés d'Ukraine: «Le marché du travail luxembourgeois est complexe, ne serait-ce qu'en raison de la diversité linguistique. Sans mesures d'intégration, il n'est pas certain que ces personnes trouvent réellement un emploi».

Des insuffisances dans le domaine de l'intégration

Une étude de l'OCDE (Organisation for Economic Cooperation and Development) de 2021 sur les acteurs du système d'intégration luxembourgeois a attiré l'attention sur le fait que les instruments à disposition ne sont pas suffisants.

Le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI) et le Parcours d'Intégration Accompagné (PAI) permettent certes aux exilés d'accéder à des cours de langue, mais l'étude critique l'impact que ces deux mesures ont eu jusqu'à présent. En 2019, seules 1.664 personnes sur environ 20.000 arrivant chaque année au Luxembourg auraient signé le CAI.

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Les 120 heures de français que le PIA permet gratuitement aux réfugiés ne suffiraient qu'à présenter un niveau de langue A1 à la fin. Il s'agit du niveau de langue le plus bas du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), ce qui entraverait la recherche d'emploi par manque de connaissances linguistiques.

En ce qui concerne les initiatives régionales d'intégration, chaque commune luxembourgeoise devrait disposer d'une commission communale consultative d'intégration (CCCI). Le fait qu'en 2020, seules 20 communes sur 120 aient mis en œuvre cette mesure coïncide avec les critiques de l'ASTI et du Collectif Réfugiés Luxembourg. Il y a inévitablement une marge de progression dans le domaine de l'intégration au Luxembourg.

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