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Une technologie utilisée au Luxembourg

L'intelligence artificielle, un outil prisé des recruteurs

L’intelligence artificielle est bien présente dans le processus de recrutement mais reste principalement un outil d’aide à la décision.

L'intelligence artificielle a su se faire une place dans le milieu du recrutement au cours de ces dernières années.

L'intelligence artificielle a su se faire une place dans le milieu du recrutement au cours de ces dernières années. © PHOTO: Shutterstock

«Gain de temps, simplification de nos process en interne dans l’analyse des données et prises de décision, meilleure gestion de nos réseaux, …» Samuel Duransseau, marketing manager chez Hunteed, énumère les avantages de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur de l'embauche. «Hunteed est une plateforme digitale de mise en relation d’entreprises avec des cabinets de recrutement», détaille-t-il. La société a ouvert une antenne au Luxembourg il y a un an, en janvier 2022. «La data est de plus en plus développée chez nous depuis maintenant trois ans», poursuit-il. «On fait intervenir différents thèmes : la data science, le machine learning, le deep learning, …».

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Des termes complexes qui recouvrent une réalité de plus en plus présente : l’intelligence artificielle. Selon le Parlement européen, cette dernière désigne «la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité.» Et elle séduit le domaine de l'embauche.

Une plus-value pour les acteurs du recrutement

«L’IA facilite la vie des recruteurs», plaisante à moitié Pierre Gromada, directeur d’Hays Luxembourg et responsable de la filiale Technology Solutions. Chez Hays, présent sur le sol luxembourgeois depuis 2005, l’IA est utilisée au travers de logiciels. Des fonctionnalités de types ANI, qui correspondent à l’IA faible, y sont rajoutées. «Aujourd’hui, on a des outils prédictifs, qui font des préconisations sur les candidats», développe Pierre Gromada. «L’IA permet aussi une automatisation des tâches. Par exemple, elle va nous faire une liste de clients qu’on n'a pas appelés ces six derniers mois. On s’en sert aussi pour la traduction des candidatures, surtout au Luxembourg où beaucoup de langues sont parlées», continue-t-il.

L’IA fait correspondre les CV à des offres, et fait en sorte que les missions proposées correspondent aux compétences des candidats.
Samuel Duransseau
Hunteed

Rémi Fouilloy est quant à lui le directeur général régional du Luxembourg, de la Belgique et de la Suisse pour le groupe Morgan Philips. Son usage de l’IA diffère de celui d’Hays. «Nous utilisons l’IA pour identifier des candidats potentiels dans la phase d’approche directe. Ces candidats ne sont pas sur le marché du travail. Il faut entrer en contact avec eux, et comprendre leurs leviers de motivation à changer de poste». «L’IA est justement pertinente dans ce travail d’identification et nous permet d’être exhaustif dans notre approche», renchérit-il. Par contre, pour Rémi Fouilloy, il n’est pas question d’utiliser l’IA dans la sélection des candidatures. «Si l'on ne se base que sur des mots-clefs pour sélectionner une candidature, il faut faire attention à ne pas passer à côté de talents. On peut perdre un vivier de candidats si l’on paramètre l’outil de présélection de manière restrictive», estime-t-il.

Des dérives sont possibles

Une vision qui n’est pas totalement partagée par Samuel Duransseau, de Hunteed. La plateforme digitale utilise l’IA pour une meilleure identification de lecture des CV. «L’IA fait correspondre les CV à des offres, et fait en sorte que les missions proposées correspondent aux compétences des candidats», s’enthousiasme le marketing manager. Il faut néanmoins rappeler que Hunteed est une plateforme de mise en relation et non un cabinet de recrutement : «Les cabinet de recrutement avec lesquels nous travaillons vérifient déjà les candidatures une première fois», précise Samuel Duransseau. Ceci explique son approche différente.

L’usage de l’IA peut cependant entraîner des dérives. Amazon a par exemple dû arrêter d’utiliser un outil de tri des CV en 2017, car il discriminait les femmes à l’embauche. Celles-ci étaient systémiquement moins bien notées quand elles postulaient à des emplois techniques. Une dérive qui interroge sur la place à donner à l’IA.

La présence humaine doit rester au cœur du processus

«L’IA n’est pas 100% fiable», selon Rémi Fouilloy du groupe Morgan Philips. «Il y a un risque de discriminer et de standardiser l’approche de sélection. On peut perdre l’intelligence émotionnelle, alors que les soft skills sont indispensables en entreprise», juge-t-il. Puis il ajoute : «il y a aussi un risque de formatage des CV : pour biaiser le système, les candidats vont mettre les bons mots-clefs dans leur candidature».

Sylvie Reuter, secrétaire générale du secteur financier de l’OGBL, s’inquiète justement de la place prépondérante de l'IA. «Les algorithmes facilitent les tâches mais d’un point de vue éthique, si on contrôle, on verra plein d’abus, même non voulus», s’insurge-t-elle. «Les employeurs disent eux-mêmes que des candidats leur échappent car les algorithmes ont des failles…»

L‘IA est un support utile mais c’est l’intelligence humaine qui compte
Rémi Fouilloy
Morgan Philips

Cela dit, tous les acteurs du recrutement s’accordent sur une chose : l’erreur est aussi humaine. «Certes, il peut y avoir des dérives, mais l’IA peut aussi éviter les jugements humains pénalisants, comme les discriminations. Elle peut retirer ou ajouter des biais», résume Samuel Duransseau.

Face à ces risques, la présence humaine est complémentaire. «Notre business model repose sur l’IA et l’humain», poursuit le marketing manager d’Hunteed. Rémi Fouilloy abonde : «L‘IA est un support utile mais c’est l’intelligence humaine qui compte», affirme-t-il d’emblée. «En parallèle de ce mapping effectué par l’IA, nous croisons les informations entre différents canaux digitaux, dont LinkedIn. Plus il y a de canaux différents, mieux c’est. Le recrutement est un métier de comparaison, entre les compétences techniques et les soft skills», expose-t-il.

La nécessité d'un cadre légal

Différentes solutions peuvent par conséquent être mises en place, afin de limiter les potentielles dérives de l’IA. Samuel Duransseau évoque la solution de la comparaison. «Chez Hunteed, nous testons notre modèle d’IA avec ChatGPT. Cela permet de comparer des décisions prises par des IA différentes», fait-il valoir. «Cela peut être un bon compromis pour limiter les biais qui s’installent».

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Pour Sylvie Reuter, secrétaire générale à l’OGBL, cela n’est pas suffisant. «Il faut anticiper, discuter. Tous ces sujets doivent être clarifiés au préalable». Elle plaide ainsi pour la création d’«un cadre légal spécifique», afin de «maintenir les droits des salariés et futurs salariés». «L’OGBL participe activement à un groupe au niveau européen concernant l’IA», se réjouit-elle.

L’Artificial Intelligence Act, discuté en ce moment au Parlement européen, a justement pour but d’harmoniser les règles au sein de l’UE.

Vers une législation européenne

Encadrer l’usage et la commercialisation de l’IA: tel est l’objectif de l’Artificial Intelligence Act, une proposition de loi européenne. Les comités parlementaires du Parlement européen ont donné leur feu vert à celle-ci lors d’un vote, jeudi 11 mai. La prochaine étape est le vote en plénière, qui se tiendra en juin. Cette loi se caractérise par son classement des IA en quatre catégories de risques. Les IA sont classées selon leur dangerosité, d’un risque «inacceptable» à «minimal».

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Dans ce cadre, il est intéressant de s’interroger sur les systèmes utilisés dans le secteur de l'embauche. Selon l’annexe 3 de la proposition de règlement, «les systèmes d’IA destinés à être utilisés pour le recrutement ou la sélection de personnes physiques, notamment pour la diffusion des offres d’emploi, la présélection ou le filtrage des candidatures, et l’évaluation des candidats au cours d’entretiens ou d’épreuves» est considéré comme «à haut risque». Ces outils devront ainsi être évalués avant leur mise en œuvre.

Une aide mais pas l'élément central

«Cette loi est une bonne chose», pense Rémi Fouilloy. «Il faut s’assurer que l’IA n’aille pas en conflit avec la protection des données en Europe». Pierre Gromada est d’accord avec le directeur régional du groupe Morgan Philips. «Tant mieux», lance-t-il spontanément. «Tout ce qui peut servir à éviter les dérives est une force», souligne-t-il ensuite. «On se pliera aux règles».

L’IA est ainsi au service des acteurs du recrutement sans pour autant en devenir l’élément central. «La plus-value d’un cabinet de recrutement est justement de ne pas éliminer arbitrairement un candidat. Mais au contraire de proposer des alternatives au candidat parfait qui n’existe pas», déclare Rémi Fouilloy. L’être humain garde dès lors une place essentielle.

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