LuxLeaks: Raphaël Halet reconnu comme lanceur d'alerte
La Cour européenne des droits de l'homme a reconnu que Raphaël Halet, condamné au Luxembourg pour avoir fait fuiter des documents dans le cadre du scandale «Luxleaks», était un lanceur d'alerte et a condamné le Luxembourg à lui verser des dommages et intérêts.
Raphaël Halet s'est battu durant plusieurs années pour faire reconnaître son statut de lanceur d'alerte. © PHOTO: AFP
(m. m. avec AFP) - C'est un long combat judiciaire qui a abouti ce mardi. Raphaël Halet, un ressortissant français condamné au Luxembourg pour avoir fait fuiter des documents dans le cadre du scandale «LuxLeaks», vient d'être reconnu ce mardi comme lanceur d'alerte par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Le Luxembourg a été condamné à lui verser 15.000 euros de dommages et intérêts, ainsi que 40.000 euros pour les frais et dépens liés à la procédure judiciaire.
Lire aussi :La notion de «lanceur d'alerte» devant la justice européenne
La Cour, qui avait débouté le Messin en première instance, a estimé dans un arrêt de la Grande Chambre publié mardi que l'intérêt public attaché à la divulgation de ces informations l'emportait sur l'ensemble des effets dommageables résultant de celle-ci.
Ainsi, la CEDH, après avoir pesé les différents intérêts en jeu (l'intérêt public que présente l'information divulguée et les effets dommageables de la divulgation) et pris en compte la nature, la gravité et l'effet dissuasif de la condamnation pénale infligée au requérant, la Cour a conclu que l'ingérence dans le droit à la liberté d'expression du Français, en particulier de son droit de communiquer des informations, n'était pas «nécessaire dans une société démocratique».
Des rescrits fiscaux publiés dans les médias
À l'époque des faits, Raphaël Halet travaillait pour la société d'audit PricewaterhouseCoopers (PwC). L'activité de l'entreprise consiste notamment «à établir des déclarations fiscales au nom et pour le compte de ses clients et à demander auprès des administrations fiscales des décisions fiscales anticipées», rappelle le communiqué de la CEDH.
Ces décisions qui concernent l'application de la loi fiscale à des opérations futures sont appelées «Advance Tax Agreements» (ATAs) ou «rulings fiscaux» ou encore «rescrits fiscaux».
Entre 2012 et 2014, plusieurs centaines de rescrits fiscaux et de déclarations fiscales établis par PwC furent publiés dans différents médias. Ces publications mettaient en lumière une pratique, sur une période allant de 2002 à 2012, d'accords fiscaux très avantageux passés entre PwC pour le compte de sociétés multinationales et l'administration fiscale luxembourgeoise.
45.000 pages de documents confidentiels copiées
Une enquête interne menée par l'entreprise permit d'établir qu'un auditeur, Antoine Deltour, avait copié, en 2010, la veille de son départ consécutif à sa démission, 45.000 pages de documents confidentiels, dont 20.000 pages de documents fiscaux correspondant notamment à 538 dossiers de rescrits fiscaux, qu'il avait remis, en été 2011, à un journaliste à la demande de celui-ci.
Une deuxième enquête interne a permis d'identifier que Raphaël Halet avait, à la suite de la révélation par les médias de certains des rescrits fiscaux copiés par Antoine Deltour, contacté lui aussi le journaliste en question en mai 2012 en vue de lui proposer la remise d'autres documents.
Lire aussi :Raphaël Halet s'attaque au Luxembourg
Cette remise eut lieu entre octobre et décembre 2012 et a porté sur 16 documents, comprenant 14 déclarations fiscales et deux courriers d'accompagnement. Quelques-uns des documents furent utilisés par le journaliste dans le cadre de l'émission télévisée «Cash Investigation» diffusée en juin 2013.
En novembre 2014, les 16 documents furent par ailleurs mis en ligne par une association regroupant des journalistes dénommée «International Consortium of Investigative Journalists».
Condamné à une amende de 1.000 euros en appel
À la suite d'une plainte déposée par PwC, une procédure pénale a été engagée. Raphaël Halet a été condamné, en appel, au paiement d'une amende pénale de 1.000 euros ainsi qu'au paiement d'un euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par PwC. Dans son arrêt, la Cour d'appel conclut notamment que la divulgation par le requérant des documents couverts par le secret professionnel avait causé à son employeur un préjudice supérieur à l’intérêt général.
Raphaël Halet avait formé un pourvoi en cassation à la suite de la décision de la Cour d'appel, mais celui-ci avait été rejeté en janvier 2018.
En mai 2021, la CEDH, saisie par Raphaël Halet, avait donné raison aux juges du Grand-Duché, estimant qu'ils avaient ménagé «un juste équilibre» entre les droits de PwC et la liberté d'expression du requérant.
Raphaël Halet, qui entendait être pleinement reconnu comme lanceur d'alerte, avait demandé et obtenu le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la CEDH, formation suprême de la Cour. Qui lui a finalement donné raison.