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Selon Gilles Hempel

Marché du logement: «Il faudrait agir immédiatement»

Le marché de l'immobilier se dirige vers une situation explosive. Selon Gilles Hempel, directeur de l'Agence Immobilière Sociale, les nouvelles mesures peinent à relancer le marché du logement.

Le marché immobilier devient un problème. Pour une partie de plus en plus importante de la population, il n'est plus possible de se loger au Luxembourg.

Le marché immobilier devient un problème. Pour une partie de plus en plus importante de la population, il n'est plus possible de se loger au Luxembourg. © PHOTO: Anouk Antony

Les mesures prises par le gouvernement en octobre dernier - réforme de la taxe foncière et taxes spéculatives sur les terrains non bâtis et les logements vacants - visent à ramener le calme sur le marché immobilier. Mais elles passent en partie à côté de la réalité, estime Gilles Hempel, directeur de l'Agence Immobilière Sociale.

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Gilles Hempel, les trois mesures du gouvernement sont-elles suffisantes pour s'attaquer au déséquilibre du marché immobilier ?

Je suis d'avis qu'elles ne sont pas suffisantes. D'une part, en ce qui concerne le contenu des mesures. D'autre part, elles interviennent beaucoup trop tard. En ce qui concerne la taxe sur les logements vacants, les personnes concernées devront payer au départ 3.000 euros par an, soit 250 euros par mois.

Une personne dont le logement est vide renonce déjà aujourd'hui à 1.500 à 4.000 euros par mois, simplement parce qu'elle n'a pas envie de le louer. C'est pourquoi je me demande si cette taxe aura vraiment un impact important. Certes, la taxe augmente chaque année de 900 euros pour atteindre au maximum 7.500 euros, soit 625 euros par mois, mais c'est toujours moins que ce qu'il pourrait encaisser comme loyer.

Ne pensez-vous pas que les logements sont en partie inoccupés parce qu'ils sont destinés à accueillir plus tard des enfants ou des membres de la famille ?

Ce phénomène existe aussi. Mais les personnes concernées peuvent aussi venir chez nous dès aujourd'hui. Elles représentent 95% du secteur de la gestion locative sociale. Les gens mettent leur logement à disposition de l'AIS, de Croix-Rouge, de Caritas, etc. et le récupèrent plus tard. Les gens qui sont intéressés par cette solution le font déjà aujourd'hui.

Gilles Hempel est le directeur de l'Agence Immobilière Sociale (AIS).

Gilles Hempel est le directeur de l'Agence Immobilière Sociale (AIS). © PHOTO: Guy Jallay

Le projet de loi s'adresse plutôt aux personnes qui achètent un logement, ne l'équipent pas et le revendent ensuite à une valeur plus élevée. Le bénéfice réalisé est alors si important que le loyer non perçu devient insignifiant. La taxe est encore moins importante dans ce cas.

Vous avez évoqué l'effet à long terme des mesures. Quels sont donc les risques pendant la période où elles ne sont pas encore efficaces ?

Ce problème se joue surtout au niveau de l'impôt sur les biens immobiliers, qui sera dû pour la première fois en 2031. On voit que sur le graphique, l'impôt évolue très peu à la hausse, c'est-à-dire que dans les dix prochaines années, il ne se passera absolument rien. C'est dommage, car il y a des gens qui retiennent leurs terrains depuis dix, vingt ou trente ans. Je ne comprends pas pourquoi on leur donne encore presque dix ans avant de les taxer.

Sachant que là aussi, l'impôt est si faible qu'il ne pèse pas lourd si l'on considère les plus-values réalisées sur les terrains. On pourrait presque accuser le gouvernement de politique symbolique. Je ne pense pas que la taxe entraînera une augmentation du nombre de logements ou de terrains libres sur le marché.

La situation sur le marché du logement est-elle si urgente qu'il faudrait déjà agir à court terme ?

Il faudrait agir immédiatement, peut-être en abordant le problème différemment.

Les gens ne sont pas conscients que leur propriété doit en même temps servir au bien-être de la collectivité. C'est inscrit dans la loi fondamentale allemande.

Au Luxembourg, la propriété est fortement protégée, ce qui est aussi une bonne chose. Ce qui manque, c'est l'obligation sociale telle qu'elle existe en Allemagne, c'est-à-dire l'idée que «la propriété oblige». Les gens ne sont pas conscients que leur propriété doit en même temps servir au bien-être de la collectivité. C'est inscrit dans la loi fondamentale allemande.

Explosifs sociaux

Les représentants de la Chambre immobilière, de la protection des consommateurs (ULC) et des syndicats (LCGB et OGBL) partagent l'avis selon lequel les mesures prévues par le gouvernement ne suffiront pas à court terme pour détendre la situation sur le marché immobilier.

C'est justement le secteur des logements locatifs qui recèle une quantité d'«explosifs sociaux», explique Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière. Il fait état de 3.000 logements en moins qui seront construits en 2022 et 2023 et de clients qui se manifestent déjà dix minutes après avoir passé une annonce.

«Il s'agit de personnes qui, compte tenu de la hausse des taux d'intérêt et du durcissement des critères d'octroi des crédits, n'ont plus les moyens de s'offrir leur propre logement, mais qui disposent encore de revenus tout à fait corrects». Cette situation pousse les prix à la hausse.

La taxe à payer ne doit donc pas conduire à une sorte de «rachat de liberté». La Belgique va encore plus loin. Depuis le 1er septembre, la vacance y est considérée comme une infraction à la loi. On n'y paie donc pas de taxe, mais une amende.

Dans la situation actuelle du marché du logement, il n'est pas acceptable que des logements ou des terrains restent inoccupés. On ne peut pas non plus simplement scier une forêt, car la collectivité en a besoin pour absorber les émissions de CO₂. Cette approche nous fait défaut dans l'immobilier. Ici, tout est plus libéral - chacun peut faire à peu près ce qu'il veut, taxe ou pas.

En matière d'immobilier, pouvez-vous donner d'autres exemples de domaines où la pensée sociale joue un rôle ?

Au Luxembourg, il y a des problèmes de viabilisation des terrains et de construction. Pourquoi avons-nous besoin de 102 plans d'urbanisme dans ce petit pays ? Il y a 102 communes, et chaque commune a son propre plan d'urbanisme. Chaque commune dispose de son propre règlement de construction et est quelque part son propre bureau des permis.

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Pour moi, cela n'a aucun sens d'avoir un si grand appareil urbanistique sur un territoire aussi petit que le Luxembourg, avec si peu d'habitants. Je plaide pour un seul plan d'urbanisme pour tout le pays, un seul règlement de construction et une autorité centrale qui délivre les plans d'urbanisme et les permis de construire. Cela déchargerait certains bourgmestres, surtout dans les petites communes, de cette matière complexe. Tout deviendrait plus rapide et plus simple.

Où se dirige la politique immobilière si un tel changement de mentalité n'a pas lieu ?

Ce sera un gros problème, car tout le monde doit habiter quelque part. Notre économie a besoin de gens de tous les secteurs professionnels. Pour une partie de plus en plus importante de la population, il n'est plus possible d'habiter ici, parce qu'il manque des logements et que les logements existants sont trop chers. Cela a pour conséquence - et cette tendance est déjà perceptible - que de moins en moins de personnes viennent habiter et travailler au Luxembourg. On le voit dans la construction, où les entreprises ne trouvent pas de collaborateurs qui veulent venir au Luxembourg.

Quelqu'un qui vient aujourd'hui au Luxembourg pour travailler dans le secteur de la construction reste toute sa vie dans une chambre au-dessus d'un bar, qu'il doit encore partager avec quelqu'un d'autre, et pour laquelle il paie la moitié de son salaire. Aujourd'hui, personne ne quitte son pays pour une telle vie.

Autrefois, les Italiens ou les Portugais venaient travailler au Luxembourg en sachant qu'ils pourraient y construire leur propre maison et y fonder une famille. Aujourd'hui, quelqu'un qui vient au Luxembourg pour travailler dans le secteur du bâtiment reste toute sa vie dans une chambre au-dessus d'un bar, qu'il doit encore partager avec quelqu'un d'autre, et pour laquelle il paie la moitié de son salaire. Aujourd'hui, personne ne quitte son pays pour une telle vie. Cela signifie que nous manquons de logements abordables pour les personnes dont nous avons besoin pour construire les logements qui nous manquent. Nous nous trouvons pour ainsi dire dans un cercle vicieux.

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Je m'étonne que l'on ne fasse pas preuve de plus de courage et que l'on ne défende pas à ce point les intérêts d'une petite élite au détriment de tout un pays et de toute une société.

Où l'État pourrait-il encore intervenir ?

L'État pourrait soutenir davantage les organisations à but non lucratif dans le domaine de la construction de logements sociaux et abordables. Au Luxembourg, le Fonds du Logement et la Société nationale des habitations à bon marché (SNHBM) sont principalement actifs dans ce domaine. S'y ajoutent les communes.

Nous manquons de logements abordables pour les personnes dont nous avons besoin pour construire les logements qui nous manquent.

A l'étranger, la construction de logements sociaux tend vers des organisations à but non lucratif qui sont énormes. Au Luxembourg, pendant des années, on a un peu laissé passer la mise en place d'un tel secteur. Il s'agit d'acteurs qui fonctionnent comme une entreprise privée, mais qui ne font pas de bénéfices, mais qui réinvestissent ce qu'ils ont gagné dans la construction de logements.

En avez-vous des exemples ?

Au Luxembourg, il s'agirait des sociétés sans but lucratif (asbl), des fondations, des «sociétés d'impact sociétal» (SIS) ou des coopératives. Selon la loi, elles peuvent certes introduire des demandes d'aide à la construction de logements sociaux. Mais il existe une barrière extrêmement élevée à l'entrée sur le marché de l'immobilier, où des millions sont en jeu. Cela explique pourquoi pratiquement aucune organisation n'est établie à grande échelle. Il en faudrait pourtant une pour avoir un équilibre sur le marché, à côté des acteurs de l'immobilier qui travaillent dans un but lucratif.

Est-ce la raison pour laquelle la construction de logements abordables est plus développée à l'étranger ?

C'est l'une des raisons. Dans certains pays, lorsqu'il s'agit de logements sociaux, la moitié ou plus des logements sont construits par des organisations à but non lucratif. Chez nous, cela n'existe pratiquement pas. On dit toujours que nous devons impliquer les communes. Je suis d'avis que ce n'est pas la tâche des communes et que les communes sont mal placées pour cela.

Ce n'est pas la tâche des communes.

Car pour la construction de logements, on a besoin de spécialistes. Il s'agit de personnes dont le métier est de créer, de construire et de gérer des logements - ce n'est pas quelque chose qu'un bourgmestre peut faire en passant. Celui-ci réalise typiquement un projet immobilier pendant la législature, qu'il inaugure ensuite avec tambours et trompettes. Si l'on veut s'attaquer à plus grande échelle et rivaliser avec les grands acteurs commerciaux, il faut des organisations à but non lucratif fortes, comme il en existe en France, en Autriche ou en Suisse. En France, elles gèrent parfois un million de logements.

Cet article a été initialement publié sur le site du Luxemburger Wort.

Traduction: Mélodie Mouzon

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