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Interview Claude Turmes

«Nous sommes probablement tirés d'affaire pour cet hiver»

L'UE a lancé un nouveau paquet de mesures contre la crise énergétique. Claude Turmes se montre confiant pour les mois à venir.

Le ministre de l'Énergie Claude Turmes est optimiste pour les mois à venir malgré la situation difficile.

Le ministre de l'Énergie Claude Turmes est optimiste pour les mois à venir malgré la situation difficile. © PHOTO: Anouk Antony

Après dix mois de guerre en Ukraine, la question de l'approvisionnement énergétique reste le sujet central pour l'Europe. Dans un entretien accordé au Luxemburger Wort, le ministre de l'Énergie Claude Turmes (déi Gréng) explique le nouveau plafond des prix du gaz, parle des effets de l'embargo sur le pétrole et donne un aperçu de l'évolution de la situation dans les mois à venir.

Claude Turmes, il y a un peu plus d'un an, les signes indiquant que la Russie prenait au sérieux son attaque contre l'Ukraine se sont multipliés. Quand avez-vous pensé que cela pourrait vous retomber dessus dans votre rôle de ministre de l'Énergie ?

Je ne peux pas dire que j'avais déjà prévu la guerre, mais le signal d'alarme a été pour moi le moment où j'ai remarqué que Gazprom ne remplissait pas les réservoirs en Allemagne et en Autriche. Gazprom a été fiable pendant 35 ans et a soudainement cessé d'être un partenaire de confiance.

Avec le recul, on peut supposer que cela faisait déjà partie de la stratégie de guerre russe ?

Oui, aujourd'hui, je dirais que c'était clairement une stratégie. A l'époque, le prix du gaz avait déjà augmenté, ce qui avait permis à Poutine de faire entrer de l'argent supplémentaire dans son trésor de guerre via Gazprom.

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L'Union européenne a maintenant décidé de plafonner les prix de gros du gaz à 180 euros par mégawattheure. Qu'attendez-vous de cette mesure ?

Tout d'abord, il est important de replacer cette décision dans toute la série de mesures qui ont été prises jusqu'à présent. L'UE a par exemple adopté une loi qui stipule que les réservoirs de gaz doivent obligatoirement être remplis. C'est ce qui a conduit aux niveaux de remplissage élevés que nous constatons actuellement. Par ailleurs, l'objectif d'économiser 15 pour cent de gaz a été défini. En fait, les statistiques montrent que nous réalisons en moyenne 20 % d'économies en Europe.

Il a également été décidé d'acheter le gaz en commun et d'accélérer les procédures d'amélioration de l'efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables. Le plafond de prix doit désormais entraîner une correction des prix en cas de dérapage spéculatif du marché du gaz, comme cela a été le cas en août, lorsque le prix a atteint 370 euros.

Qu'est-ce qui a motivé la fixation de la limite à 180 euros par mégawattheure ?

Pour cette mesure, il était important de trouver un équilibre et de ne pas intervenir trop fortement sur le marché. Les livraisons de gaz en provenance de Russie représentaient 40% du marché européen avant la guerre. Cela ne peut pas être entièrement remplacé par du gaz de pipeline provenant de Norvège, d'Algérie ou de la mer du Nord. C'est pourquoi nous dépendons du marché international du gaz naturel liquéfié. Et là, nous sommes en concurrence avec l'Asie et nous devons veiller à ce que cet instrument ne conduise pas à ce que les bateaux transportant le gaz naturel arrivent encore chez nous et ne partent pas pour Tokyo, par exemple, parce que le prix est trop bas chez nous.

Cette limite n'est pas une science exacte, mais le résultat de négociations entre les pays membres. Les pays qui ont demandé ce mécanisme de prix voulaient aller jusqu'à 160 euros, voire moins. Notre idée était plutôt de 200 euros. C'est donc un juste milieu.

Si nous avions un hiver plus froid que la moyenne, cela pourrait être encore un peu juste.

Aujourd'hui, le prix se situe plutôt entre 100 et 110 euros. Parallèlement, les réservoirs de gaz sont plus remplis que la moyenne. Sommes-nous tirés d'affaire pour cet hiver ?

Nous sommes probablement tirés d'affaire pour cet hiver, à moins qu'il ne fasse aussi froid que la semaine dernière pendant deux mois. On ne peut donc pas encore lever l'alerte à ce stade. Si nous avions un hiver plus froid que la moyenne, cela pourrait être encore un peu juste. Mais comme nous avons pris les bonnes décisions politiques, économisé du gaz et acheté massivement du gaz naturel, nous avons la possibilité de sortir de cet hiver avec des réserves de gaz relativement bien remplies.

Et c'est en fait la meilleure condition pour l'hiver prochain. Je tiens donc à remercier tous ceux qui, au Luxembourg également, ont contribué à économiser 30 % de gaz. C'est un effort de la société. Et ce n'est pas seulement l'industrie qui l'a fait, mais aussi les citoyens, comme on peut le constater. Cela montre aussi que les Luxembourgeois ont développé une autre conscience en matière de gaspillage d'énergie.

On peut construire sur cette base à long terme. Économiser l'énergie ne doit pas nécessairement signifier une perte de qualité de vie. Et cela a du sens à plusieurs égards : cela réduit notre dépendance, renforce notre sécurité d'approvisionnement et constitue une protection active du climat.

Le ministre part du principe que l'embargo sur le pétrole n'entraînera pas de grandes perturbations.

Le ministre part du principe que l'embargo sur le pétrole n'entraînera pas de grandes perturbations. © PHOTO: Anouk Antony

Quelles sont les perspectives pour l'année à venir ?

Le marché international du gaz naturel liquéfié sera probablement plus étroit cette année, lorsque l'économie chinoise se redressera et achètera davantage. Cela dépendra beaucoup de notre capacité à sortir de cet hiver avec des niveaux de remplissage plus élevés dans les réservoirs de gaz et à continuer à faire baisser la consommation de gaz.

C'est pourquoi l'accélération des procédures pour l'installation de pompes à chaleur, de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes, que nous avons décidée cette semaine au niveau européen, est extrêmement importante, car elle nous permet de sortir structurellement du gaz et de réduire durablement la demande. Au Luxembourg aussi, nous constatons une forte dynamique dans le développement des énergies renouvelables.

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L'État a fait relativement beaucoup pour atténuer les conséquences de la crise énergétique. Cela ne risque-t-il pas de supprimer l'incitation à économiser ?

Non, je ne vois pas ce risque. Les chiffres nous confirment que nous avons eu raison de prendre ces mesures. Les gens économisent quand même parce qu'ils savent que cela a du sens. Les aides ont contribué à maintenir la cohésion de la société et la paix sociale au Luxembourg. Ce n'était pas facile en ces temps extrêmes, où le mécanisme d'indexation aurait été en surchauffe si nous n'étions pas intervenus aussi massivement.

Il a également été décidé de procéder à un achat commun de gaz naturel au niveau européen. L'idée est d'utiliser le pouvoir de marché commun pour négocier des conditions plus avantageuses. Les premiers contrats devraient être signés d'ici l'été. Comment cela va-t-il se passer dans la pratique ?

La Commission européenne coordonnera cela et nous, en tant que pays membres, devrons déclarer les quantités que nous souhaitons acquérir via cet achat commun. Nous sommes déjà en train de discuter avec les fournisseurs luxembourgeois pour voir quelles quantités doivent être achetées. Au moins 15% des besoins doivent être couverts par ce biais.

Si l'on additionne les 27 États membres, on obtient une quantité importante. La Commission lancera un appel d'offres pour désigner le négociateur professionnel qui coordonnera les achats au nom de l'UE.

L'embargo sur le pétrole russe est également en vigueur depuis début décembre. Peut-on déjà estimer les effets que cela aura sur l'approvisionnement au Luxembourg ?

Pour l'instant, il semble que cela se passe relativement bien. Mais il faut garder un œil sur l'évolution. La part importante de pétrole russe dans les raffineries d'Anvers et de Rotterdam semble actuellement être remplacée par du pétrole provenant d'autres pays.

Il faut savoir qu'une raffinerie est conçue pour une certaine qualité de pétrole. Cela signifie que je ne peux pas remplacer le pétrole russe par du Saudi Light, par exemple, mais que je dois le remplacer par des types de pétrole qui ont des caractéristiques similaires. Mais il y a de bons signaux de la part des exploitants de raffineries qui indiquent que cela va réussir. Bien sûr, cela demande un effort de la part de tous ceux qui sont actifs dans le commerce du diesel.

Dix, quinze ou vingt pour cent d'économies, il est possible d'y parvenir presque partout.

Mais certaines analyses estiment que le marché sera tendu au début de l'année.

Il faut partir du principe que ce marché ne sera pas aussi liquide qu'avant la guerre. Mais il semble actuellement que les acheteurs aient réussi à remplacer le pétrole russe.

Le troisième problème dans toute la question énergétique est l'approvisionnement en électricité. Une partie importante des centrales nucléaires françaises est toujours déconnectée du réseau. Y a-t-il déjà de nouvelles informations sur la sécurité de l'approvisionnement pour le reste de l'hiver ?

Le Luxembourg est principalement approvisionné par les réseaux allemands. L'Allemagne a fait un test de résistance et la situation semble bonne pour le Luxembourg et la partie voisine de l'Allemagne. Ce sera peut-être un peu plus difficile en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg. La situation est plus tendue en France. Néanmoins, les Français ont réussi à s'en sortir, même la semaine dernière, où il a fait extrêmement froid.

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Mais c'est aussi parce qu'en France, on consomme désormais beaucoup moins d'électricité. Là-bas, ils ont lancé une campagne massive pour inciter les citoyens et aussi l'industrie à être plus économes.

Mais si l'on réussit maintenant à économiser l'énergie partout aussi rapidement, n'aurait-on pas pu le faire il y a quelques années déjà ?

Oui, surtout dans l'industrie, ils regardent les prix d'un peu plus près. Ils constatent ainsi que de nombreuses petites améliorations de l'efficacité conduisent rapidement à d'énormes économies, simplement en faisant une optimisation technique, via l'utilisation de LED ou le réglage correct de la ventilation ou du chauffage. Il s'est avéré que l'on peut réaliser dix, quinze ou vingt pour cent d'économies presque partout.

Cet article a été publié pour la première fois sur wort.lu/de

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