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Nader Ghavami

«On est en train de faire une révolution»

Le comité pour la défense des droits de l'homme en Iran s'est joint à plusieurs autres manifestants à travers le monde pour afficher son soutien au pays dimanche dernier. Pour Nader Ghavami, vice-président du comité, les représentants politiques luxembourgeois n'étaient pas au rendez-vous.

C'est un cortège d'une centaine de personnes qui a manifesté du Glacis jusqu'à la place de l'Europe le dimanche 8 janvier.

C'est un cortège d'une centaine de personnes qui a manifesté du Glacis jusqu'à la place de l'Europe le dimanche 8 janvier. © PHOTO: Gilles Kayser

Journaliste

L'Iran est plongé dans une crise sans précédent depuis maintenant quatre mois. Ce dimanche 8 janvier, le comité pour la défense des droits de l'homme en Iran a manifesté place de l'Europe.

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Son but, «soutenir un Iran libre, laïc et démocratique, la solidarité avec le peuple iranien en respectant les droits des hommes et des femmes qui se sont levés pour le rétablissement de leurs droits et de leur liberté», mais aussi en gage de commémoration «du troisième mémorial des victimes de la destruction délibérée de l'avion PS752 par les gardiens de la révolution de la République islamique d'Iran». Enfin, les membres du comité veulent intenter «une action en justice devant le TPI contre la répression et l'exécution de manifestants en Iran».

Présent pour l'évènement, Nader Ghavami, vice-président du comité, confie sans détour qu'ils n'attendaient pas «énormément de monde, car la météo n'était pas forcément clémente». En revanche, ce qu'ils attendaient, et ce que les manifestants n'ont pas obtenu, c'était la présence d'un représentant luxembourgeois. «On espérait vraiment au moins une présence d'un représentant politique. Certains nous ont dit en amont qu'ils seraient là, mais personne n'est venu, c’était une triste journée pour la démocratie au Luxembourg.»

Devenu luxembourgeois il y a des années, Nader Ghavami est venu s'installer avec sa famille au Grand-Duché il y a de cela quarante ans, âgé de onze ans alors, fuyant un régime foncièrement dictatorial et islamiste. Révolté par la situation actuelle, il refuse de se résoudre à ne faire qu'observer passivement ce qui se passe dans son pays d'origine.

«Cela fait quatre mois que ça dure. On s'était dit qu’il fallait au moins montrer une réaction publique. Cela ne s'est pas seulement tenu à Luxembourg, mais dans des dizaines de villes à travers le monde ce dimanche. Au Canada, Justin Trudeau s’est déplacé en personne pour se joindre aux manifestants. Je ne le déclare pas avec une certitude absolue, mais on doit être le seul pays au monde où aucune personnalité publique ne s'est déplacée.»

Nous voulons que l'élite iranienne, celle qui s'affranchit du système et profite du régime soit identifiée et que les biens de ces personnes soient gelés.

Comparant encore avec l'Italie où des représentants étaient présents, il ne décolère pas. «Le chiffre zéro ça veut dire beaucoup…» Toutefois, il estime que les personnes présentes ont pu faire entendre leurs revendications devant le siège de l'Europe sur le plateau du Kirchberg. Et ces dernières font un écho singulier à des faits que l'on peut déjà observer à l’égard de la Russie depuis le début de la guerre en Ukraine.

«Nous voulons que l'élite iranienne, celle qui s'affranchit du système et profite du régime, soit identifiée et que les biens de ces personnes soient gelés, car ce sont des biens mal acquis. Il existe une corruption sans aucune mesure en Iran, et les enfants de ceux qui sont au pouvoir vivent en Amérique, en Europe, menant grand train… Exactement comme les oligarques russes et une grande partie de l’élite africaine!»

À titre de comparaison, le vice-président du comité juge que «la réaction européenne face à la Russie est très parlante. Nous vivons actuellement en Europe une situation sans précédent par décision politique. En soutien à l’Ukraine, nous nous sommes mis en situation périlleuse vis-à-vis du gaz pour nous chauffer cet hiver».

C'est dans cet esprit que les manifestants appellent «à la même idée de la justice pour l'Iran». «Si c'est bon pour un, ça peut être bon pour l'autre. Sans être spécialiste, je suis certain que des élites iraniennes ont des intérêts au Luxembourg…»

Briser le silence des politiques

Pour Nader Ghavami, l'inertie qu'il déplore concernant les personnalités publiques et les politiques du pays pourrait «laisser croire que le Luxembourg protège ses alliés de l'Asie de l'Ouest et du Moyen-Orient qui ne voient pas d'un bon œil que l'Iran devienne une démocratie, car ça enverrait un mauvais message pour les autocrates de la région…» Il reconnait que le Luxembourg s'était positionné sur le sujet en affichant son soutien via une déclaration commune à laquelle s'est joint le ministre Jean Asselborn, «mais cela commence à faire un moment. Depuis, plusieurs personnes ont tout de même été pendues!»

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Finalement, ce qui est le plus dur à digérer, par-delà les horreurs du régime iranien, «c'est ce silence qui interroge». «Je vis ici depuis plus de 40 ans, je vote pour des représentants et quand je vois tout ça, je me dis que les politiques devraient s'en préoccuper. Je ne veux pas comparer avec l'Ukraine, mais ce silence est coupable. Sur les réseaux sociaux tout le monde parle des pendaisons, ce matin des manifestants en Iran se sont mobilisés devant une prison pour empêcher une pendaison sur la place publique. Ce sont des barbares fanatiques, c'est une dictature. Sans forte réaction politique, plus qu'un hashtag, rien ne se passera.»

Et qu'on ne lui parle pas de non-légitimité à exiger des réactions sur le sujet: «Les Iraniens, ça fait un demi-siècle qu'ils sont au Luxembourg. Nous sommes une des plus grandes diasporas du monde entier à cause du régime islamiste. Il y a beaucoup d'entrepreneurs, d'artistes, d'architectes iraniens qui participent à la croissance de ce pays. Nous sommes donc légitimes à demander des comptes. On veut faire des choses et on est face à un mur, alors qu'on voit en parallèle beaucoup d'actions pour l'Ukraine. J'ai vu des politiques se pousser gentiment pour être en première ligne sur les photos des évènements organisés en 2022…»

Mettre la presse devant ses responsabilités

En attendant l'onde de choc souhaitée, le comité ne baisse pas les bras. «Le 16 janvier, il y aura une grande manifestation à Strasbourg devant le Parlement européen. Nous y serons, et nous avons aussi besoin de la presse».

Ce que j'observe, c'est de la censure, ce n'est plus de la simple négligence à ce stade.

Photographe professionnel collaborant souvent avec des journaux, Nader Ghavami ne peut d'ailleurs s'empêcher de faire remarquer «qu'une partie de la presse locale ne se saisit pas du sujet».

«Je pense notamment à un média qui se définit comme le premier média indépendant du pays et qui pratique un gros silence radio en la matière. Pourtant, cette révolution iranienne peut se décliner sur beaucoup d'angles: celui des investissements économiques ou encore le féminisme! Ce que j'observe, c'est de la censure, ce n'est plus de la simple négligence à ce stade. On est en train de faire une révolution et je ne peux plus rester dans mon coin, il faut dire les choses. Ce que nous attendons, c'est un geste fort.»

Découvrez ci-dessous le courrier envoyé par le comité à l'ensemble des personnalités politiques luxembourgeoises:

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