Virgule

«Rares sont ceux qui pensent à se tourner vers l'armée»

Nouveau chef d'état-major de l'armée, le général Thull entre en fonction dans un contexte marqué par l'affaire Schleck, mais aussi par la volonté de féminiser et de diversifier une institution qui peine à attirer de nouvelles recrues.

Outre la rénovation des infrastructures, le général Thull entend changer la perception de l'armée au sein de la société. Pour qu'elle soit «une institution considérée comme utile et positive»

Outre la rénovation des infrastructures, le général Thull entend changer la perception de l'armée au sein de la société. Pour qu'elle soit «une institution considérée comme utile et positive» © PHOTO: Pierre Matgé

Depuis mardi, l'armée luxembourgeoise possède un nouveau chef d'état-major en la personne du général Thull. Désigné en février 2020 pour succéder au général Duschène, le spécialiste de la cyberdéfense, 52 ans, prend ses fonctions dans un contexte de tensions internes, de difficultés de recrutement et la mise en place de nouvelles missions pour l'institution. Tour d'horizon des défis à mener.

Comme chaque nouveau général, l'une de vos missions consiste à moderniser l'armée. Cela passera forcément par la question des effectifs. Parvenir à recruter de nouveaux personnels constitue-t-il votre principal défi?

Général Steve Thull - «Les ressources humaines constituent effectivement le moteur de l'armée, le point crucial pour l'avenir. Pour la première fois de notre histoire, nous avons la possibilité de recruter un peu plus de 40 personnes chaque année et ceci est un point vraiment très important. Reste désormais à identifier la manière dont nous pouvons trouver ces nouveaux personnels. Et c'est là où les choses commencent à devenir plus difficiles. Ce phénomène s'observe d'ailleurs dans toutes les défenses du monde, ce n'est en rien un problème purement luxembourgeois.

Formé à l'École royale militaire à Bruxelles de 1987 à 1991, Steve Thull a notamment suivi un cycle d'enseignement militaire supérieur à Paris en 2006.

Formé à l'École royale militaire à Bruxelles de 1987 à 1991, Steve Thull a notamment suivi un cycle d'enseignement militaire supérieur à Paris en 2006. © PHOTO: Pierre Matgé

Général Steve Thull - «Les ressources humaines constituent effectivement le moteur de l'armée, le point crucial pour l'avenir. Pour la première fois de notre histoire, nous avons la possibilité de recruter un peu plus de 40 personnes chaque année et ceci est un point vraiment très important. Reste désormais à identifier la manière dont nous pouvons trouver ces nouveaux personnels. Et c'est là où les choses commencent à devenir plus difficiles. Ce phénomène s'observe d'ailleurs dans toutes les défenses du monde, ce n'est en rien un problème purement luxembourgeois.

Quelle(s) stratégie(s) allez-vous déployer pour attirer les 180 personnels dont vous avez besoin d'ici 2024?

«A l'heure actuelle, tout ce qui a trait à l'armée et à la défense en général reste dans un milieu très spécifique. Et donc, le grand public est très peu au courant de ces enjeux. Je crois donc qu'il faut porter ces questions en dehors de ce cercle pour montrer que nos missions et notre rôle constituent quelque chose non seulement d'utile mais aussi de nécessaire. Plus ces notions seront connues, plus les chances que de nouvelles personnes s’intéressent à ce que nous faisons cherchent à nous rejoindre.

Nous devons réaliser un travail pour non seulement intéresser les jeunes qui sortent de l'école, mais aussi les personnes qui ne connaissent pas la diversité de métiers qui existent au sein de l'armée, que ce soit ceux liés aux télécommunications, à l'observation satellitaire ou à l'aviation. L'une des difficultés actuelles consiste non pas dans l'absence de personnes compétentes au Luxembourg, mais plutôt dans le fait que rares sont ceux qui pensent à se tourner vers l'armée pour exercer leur métier.

Les difficultés actuelles que rencontrent des entreprises telles qu'ArcelorMittal, Guardian ou Luxair ne constituent-elles pas une opportunité pour l'armée?

«La conjoncture actuelle liée au covid-19 va jouer pour nous, car je suis persuadé que nous en sommes qu'au commencement de cette crise. A chaque fois que cela tourne mal dans le civil, l'armée devient un patron plus intéressant. Mais je n'entends pas jouer sur cette réalité, car mon but consiste à fidéliser du personnel qui souhaite s'investir dans le domaine de la défense. Je cherche donc des personnes pour qui l'armée est la première option et non des gens qui arrivent dans le cadre de leur plan B. Je rappelle que l'armée luxembourgeoise n'est pas composée uniquement de militaires, les civils en sont aussi une constituante qui pourrait être amenée à être plus importante à l'avenir.

Sous votre commandement, l'armée sera-t-elle amenée à se féminiser?

«Oui. Nous devons trouver un peu plus de femmes qui sont intéressées par ce qui est fait au sein de l'armée. J'ai d'ores et déjà lancé l'idée d'un comité où les femmes peuvent se concerter pour mettre des propositions concrètes sur la table. Cela peut concerner aussi bien la question de l'uniforme, basé actuellement sur le standard masculin, que d'autres sujets plus généraux. Je suis tout à fait ouvert à cette manière de faire car je crois qu'il existe un réel potentiel dans ce domaine pour attirer de nouveaux personnels.

La fin de la carrière de votre prédécesseur a été marquée par des dissensions au sein de l'armée, illustrées par «l'affaire Schleck». Comment allez-vous tenter de juguler ces tensions?

«Honnêtement, je n'ai pas rencontré de personne issue de l'armée qui souhaitait la démission du général Duschène. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il y a eu des gens qui se sont désengagés du comité du syndicat professionnel de l'armée luxembourgeoise (SPAL). Les personnes qui souhaitaient ce départ se trouvent uniquement au niveau du SPAL. Cela ne cache pas le fait que des tensions ont existé et qu'elles sont là. Je ne souhaite pas regarder en arrière, c'est pourquoi je suis tout à fait disposé à travailler avec les associations professionnelles pour faire en sorte que l'armée avance. Mais il faut que chacun joue son rôle de manière honnête et propre.

Festivités troublées

Dans un communiqué publié mardi, le SPAL a indiqué avoir pris la décision «unanime» de ne pas être représenté lors de la cérémonie de départ en retraite du général Duschène. Une décision justifiée par la volonté de «marquer son désaccord» avec les décisions prises par l'ancien chef d'état-major qui «ne s'est pas comporté honorablement» dans l'affaire Schleck.

Dans le contexte de crise sanitaire, la création d'un hôpital militaire a refait surface récemment. Ce projet peut-il réellement voir le jour?

«Une étude sur cette question est en cours au sein du ministère de la Défense pour voir la faisabilité de cette option. Car il ne faut pas perdre de vue que c'est un domaine très complexe et pour lequel les experts présents au sein de l'armée luxembourgeoise sont très peu nombreux. Si nous n'avons déjà pas assez de personnels pour assurer les missions qui sont les nôtres aujourd'hui, mettre en place un nouveau domaine de spécialisation qui nécessite de la haute technologie s'annonce compliqué. Les conclusions de cette étude devraient être connues d'ici un an.

Lire aussi :L'armée joue la grande muette dans l'affaire LUXEOSys

En tant que spécialiste de la cyberdéfense, étiez-vous engagé dans la mise en place du projet de satellite militaire Luxeosys?

«Négatif. Si vous me demandez mon avis sur ce dossier, je trouve que c'est un projet qui colle très bien avec nos ambitions de garantir un environnement sécuritaire avec un nombre relativement restreint de personnels. Cela constitue quelque chose de très intéressant car complémentaire de nos compétences en communications satellitaires et qui permettrait d'exploiter des ressources déjà disponibles dans le pays. L'argent investi dans ce projet va retourner dans l'économie luxembourgeoise, sur le modèle de ce qui se passe dans les grands pays.

Lire aussi :L'Etat triple son investissement dans l'aviation militaire

Votre prise de fonction correspond aussi avec l'entrée en service de l'A400M. Est-ce que sa première mission pour le Luxembourg consistera à envoyer de nouveaux soldats au Mali?

«Ça se pourrait. Il faut juste se rappeler que l'engagement du Luxembourg est porté sur le multilatéralisme et donc la recherche de partenaires internationaux pour mener à bien nos objectifs. Cette philosophie devrait d'ailleurs, à mon avis, s'amplifier dans les années à venir pour répondre aux différents besoins. Sans pour autant que cela n'aboutisse rapidement à la mise en place d'une armée européenne. Cela ne se fera pas tant que je serai général de l'armée luxembourgeoise et pas non plus sous le commandement de mon successeur d'ailleurs...

Justement, dans quel état aimeriez-vous laisser l'armée lorsque vous serez amené à céder votre commandement?

«Au niveau des infrastructures, je serai très satisfait si les trois grands chantiers de rénovation programmés arrivaient à leur terme. A savoir la réfection du champ de tir, celui du site du Waldhof et celle des infrastructures du centre militaire. Mais je reste réaliste et sceptique quant à la réalisation de tous ces projets. Sur un plan plus général, j'aimerais laisser une armée dont la perception à l'extérieure aura changé, vers une institution considérée comme utile et positive qui contribue au bien-être de tous et dont les membres peuvent être fiers.

Vous avez évoqué plus tôt l'affaire Schleck et cela m'a fait énormément mal. Car beaucoup de choses ont été dites et cela nuit à l'armée. Cela est très injuste pour ceux et celles qui travaillent tous les jours avec envie et sincérité. C'est pourquoi je souhaite vouloir œuvrer vers une plus grande cohésion entre les différents acteurs. Nous ne sommes pas les meilleurs dans tout, loin de là, mais je demande à ceux qui critiquent de venir avec des propositions concrètes qui ont des chances d'aboutir afin de changer la donne et pas seulement des idées lancées en l'air.

Sur le même sujet

Sur le même sujet