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«Des affaires comme à Remich, il y en aura d'autres en 2023»

À la demande de Jean-Paul Wiltz (Déi Gréng), Jaques Sitz (DP), le bourgmestre de Remich, a saisi la police afin d'effectuer des «vérifications d'adresse» de plusieurs conseillers communaux. À moins d'un an des élections, cela pose bien des questions...

Le conseiller communal Daniel Frères (photo) fait partie des élus de Remich visés par la motion de Jean-Paul Wiltz (Déi Gréng).

Le conseiller communal Daniel Frères (photo) fait partie des élus de Remich visés par la motion de Jean-Paul Wiltz (Déi Gréng). © PHOTO: Lex Kleren

Journaliste

«Mosel Licht und Flammen». Vendredi et samedi, nombreux étaient les Remichois à se masser dans l'un des cinq bateaux pour assister, comme le stipule le site internet, à «un festival de lumières et de musiques chatoyantes sur fond de paysages viticoles». La Moselle en lumière et en flammes donc, cela pourrait refléter l'ambiance au sein d'un conseil communal de Remich dont le brasier attire les projecteurs. Et en cette période d'économies d'énergie, certains s'en seraient bien passés, à l'instar de Jacques Sitz, bourgmestre de Remich: «Si elle n'était pas sérieuse, cette histoire me ferait presque rire...»

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Cette «histoire» débute le 13 juin dernier avec une motion déposée via lettre recommandée par le député Jean-Paul Wiltz (Déi Gréng) dans laquelle il pose la question suivante: «Daniel Frères et Ben Wagener résident-ils à Remich?» Le 17 juin, le sujet est évoqué lors du conseil communal. Dans le cadre de la loi du 19 juin 2013 relative à l'identification des personnes, un courrier signé par Jacques Sitz (DP) est envoyé le 24 juin dernier au commissariat de Remich avec une demande de «vérification d'adresse». Une démarche inhabituelle selon le bourgmestre: «Ça arrive que l'on vérifie l'adresse d'un écolier car certains scolarisés ici habitent en Allemagne mais sont enregistrés à Remich chez leurs grands-parents... Là, concernant des conseillers communaux, c'est la première fois. Enfin, je n'ai jamais vu une telle demande...»

Dans le rapport, il est dit qu'ils ne m'ont pas vu. Forcément, à 11h30, je suis à mon bureau! C'est quand même bizarre de faire une vérification d'adresse à 11h30, non?
Ben Wagener (Conseiller communal CSV)

Daniel Frères ne se rappelle plus de ce jour de juillet et de cette visite impromptue des policiers à son domicile. «C'était en milieu de semaine, à 13h. Sur le moment, j'étais vraiment surpris car je ne pensais pas que ça irait jusque-là, déclare navré l'intéressé. Mais bon, je leur ai fait visiter ma maison, mon salon, ma salle de bain, etc.» Dans son rapport daté du 18 juillet, que Virgule.lu a pu consulter, le commissaire de police de Remich conclut: «Il n'existe aucune preuve directe qui laisserait des doutes qu'il s'agit bien de son lieu de résidence réel.»

Un troisième cas

Dans le cas de Ben Wagener, conseiller communal CSV, la conclusion du rapport de police est plus nuancée: «Le soussigné doit exprimer ses doutes concernant le lieu de résidence réel de Wagener sans néanmoins être à même de le confirmer indubitablement.» Absent lors de la venue des policiers, ce chargé de gestion à la commune de Stadtbredimus évoque brièvement les circonstances du contrôle dont il a fait l'objet: «Les policiers sont venus et ont demandé si je résidais bien à cette adresse. On leur a répondu que oui, on les a fait entrer, ils ont vu ma chambre, ma salle de bain, etc. Mais dans le rapport, il est dit qu'ils ne m'ont pas vu. Forcément, à 11h30, je suis à mon bureau! C'est quand même bizarre de faire une vérification d'adresse à 11h30, non?»

À ces deux cas vient s'ajouter un troisième et cela touche cette fois un membre de... Déi Gréng, Serge Prado. Dans les rapports du conseil communal, aucune trace d'une demande officielle de «vérification d'adresse». Pourtant, le 22 août, Jacques Sitz adresse une nouvelle demande au commissariat de Remich suite, dixit le bourgmestre, «au signalement d'un citoyen qui m'a interpellé verbalement sur la situation de Monsieur Prado». Pour beaucoup, il ne fait guère de doute que ce «citoyen» est membre du conseil communal.

Une nouvelle fois, la police procède aux vérifications et conclut, dans un rapport daté du 7 septembre, que pour des raisons personnelles «Monsieur Prado n'habite plus depuis février à l'adresse indiquée, mais réside toujours à Remich». Dans son cas, la piste d'une éventuelle dissimulation semble écartée. D'autant que lors du conseil communal du 30 septembre, il fait part de son déménagement à Grevenmacher et annonce dans la foulée sa démission. Sa remplaçante, Danièle Hensgen (Déi Gréng) - cinquième sur la liste du parti en 2017 - fera son entrée lors du prochain conseil communal fixé au vendredi 28 octobre.

Je n'ai pas besoin de dire aux écolos où je passe mes nuits...
Daniel Frères (Conseiller communal parti Pirate)

À moins d'un an des élections communales, cet épisode relève pour beaucoup d'observateurs d'une basse manoeuvre politicienne. Daniel Frères lui-même en est convaincu: «En 2017, il nous a manqué 28 voix pour obtenir un deuxième siège. Alors, peut-être que certains ont peur...» Au parti Pirate, cette théorie est assumée en haut lieu.

L'ombre du ministre plane-t-elle?

Derrière ces «dénonciations», Marc Goergen voit l'ombre de Henri Kox (Déi Gréng), l'ancien bourgmestre de Remich et actuel ministre de la Sécurité Intérieur et du Logement. «Monsieur Kox dit toujours que s'il a perdu les élections communales en 2017, c'était à cause de M. Frères, mais c'est faux! C'est parce qu'il n'a pas été bon pendant dix ans.» Jean-Paul Wiltz (Déi Gréng) réfute toute hypothèse d'instrumentalisation: «Il y a une loi et il faut la respecter. Un conseiller communal se doit d'être exemplaire. Et une ''vérification d'adresse'', cela n'a rien d'exceptionnel...»

Au-delà de sa légitimité, son timing suscite un certain scepticisme quant à son dessein. «Ça fait vingt ans que j'ai un chalet en Allemagne. J'y vais très souvent. J'ai aussi une petite maison en Espagne et alors, où est le problème? Je dors à Remich neuf mois par an, j'y travaille, je suis responsable des commerçants de la ville, je suis dans le syndicat d'initiative depuis dix ans. Je n'ai pas besoin de dire aux écolos où je passe mes nuits...», soupire Daniel Frères tout en soulignant que cette histoire n'a, pour l'heure, abouti qu'au seul départ de Serge Prado. «J'ai discuté avec lui et je lui ai dit que jamais, je ne me serais abaissé à ce genre de choses. Il m'a dit la même chose et je le crois», confie M. Frères avant d'ajouter: «En revanche, Monsieur Kox a encore sa marionnette ici à Remich...»

L'ombre de Henri Kox planerait donc au-dessus de cette histoire. Vérité ou pure fantasme? Alors que Virgule.lu a proposé ce lundi à l'actuel ministre de la Sécurité intérieure et du Logement de s'exprimer sur ce sujet, son secrétariat personnel a fait savoir que «Monsieur le ministre n'est pas disposé à donner une interview concernant le sujet énoncé. En effet, ce dernier ne relève plus de ses compétences». Pas faux.

Les Verts sont à l'origine de cette campagne. Ont-ils peur de perdre encore un siège au profit de M. Frères?
Jacques Sitz (DP, bourgmestre de Remich)

Vendredi dernier, dans une réponse à une question parlementaire déposée le 10 octobre par Marc Goergen sur les suites à donner à cette affaire et sur les éventuelles sanctions encourues, la ministre de l'Intérieur Taina Bofferding (LSAP) rappelle que des poursuites judiciaires ne peuvent être établies que si le bourgmestre de la commune saisit le Parquet. Or, aucune démarche n'a été faite dans ce sens.

«Cette affaire a commencé à Remich, mais...» Cette phrase, débutée samedi par Jacques Ditz, Ben Wagener la termine ce lundi: «Il y en aura d'autres en 2023. Et pas que chez nous...» Avec en toile de fond, l'article 10 de la loi électorale: «Le domicile électoral du citoyen est au lieu de sa résidence habituelle, c'est-à-dire où il habite d'ordinaire.»

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Jacques Sitz: «Toutes ces rumeurs courent dans les rues depuis des années. Pourquoi cette campagne n'a pas été lancée en 2016 ou 2017 avant les élections communales? À la rigueur, si on avait estimé à l'époque que M. Frères n'habitait pas à Remich, il n'aurait pas eu le droit de participer aux élections. Maintenant, un an avant les prochaines élections, les Verts sont à l'origine de cette campagne. Ont-ils peur de perdre encore un siège au profit de M. Frères? C'est probable car ce dernier a échoué de très, très peu. D'ailleurs, au suffrage liste, le parti Pirate a recueilli le plus grand nombre de voix!»

La notion de «résidence habituelle»

«Jusqu'à aujourd'hui, personne ne m'a démontré que j'avais commis une erreur. Le jour où ce sera le cas, je prendrai les mesures nécessaires. Je regrette que personne ne m'ait montré la faute commise.» Une notion un peu vague comme le signale Ben Wagener: «La seule définition que j'ai trouvée de ''résidence habituelle'' est celle de Bruxelles. Ce n'est pas à moi de rechercher la définition d'un mot de loi, mais au bourgmestre, à la commune, à l'état civil et au ministre de l'Intérieur de voir si je suis éligible ou non. Or, le bourgmestre a décidé, après le contrôle de police, de me maintenir dans le registre d'adresse de Remich. J'en déduis donc que je suis dans les règles...»

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