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Port du burkini

«On a déjà vérifié la propreté de votre slip de bain?»

En France, l'autorisation par la mairie écologiste de Grenoble du port du burkini a fait grimper la température d'un cran. Au Luxembourg, si le sujet semble moins brûlant, on le manie avec des gants...

Dans certaines piscines du Luxembourg, le port du burkini est autorisé depuis de nombreuses années.

Dans certaines piscines du Luxembourg, le port du burkini est autorisé depuis de nombreuses années. © PHOTO: dpa

Journaliste

C'est un sujet sensible voire même inflammable sur lequel personne n'ose vraiment se mouiller. Il tient en un mot : burkini. Fruit de la contraction de «burqa» et «bikini», cette étoffe s'invite à l'approche de chaque été dans l'actualité. L'évoquer pousse certains à se fermer, à se crisper ou à vitupérer quand, d'autres encore, préfèrent mettre toutes voiles dehors. Au Grand-Duché, la position des différents ministères sur le sujet est pour le moins éloquente...

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De la Culture à la Justice en passant par l'Intérieur pour finalement déboucher aux Sports, chacun se renvoie notre demande telle une patate chaude pour, au final, voir le dernier nous orienter vers «les différents règlements de police des communes afférentes». Bref, le sujet ne serait pas du ressort de l'Etat mais des collectivités locales.

Au Syndicat des Villes et communes luxembourgeoises (Syvicol), la question du burkini ne s'est, dit-on, jamais posée. Gérard Koob, son secrétaire : «Si la commune en est propriétaire, c'est à elle d'établir les conditions d'utilisation de la piscine...» Le port du burkini entrerait-il alors dans la même catégorie que le short de bain?

Lundi, à quelque 600 km de Luxembourg, Grenoble est devenu l'épicentre d'une polémique en autorisant implicitement le port du burkini dans ses piscines. Ainsi, la majorité du maire écologiste de la ville, Eric Piolle, a adopté un texte modifiant leur règlement intérieur. Jusqu'ici, une «tenue décente» était exigée. Désormais, si les shorts et les t-shirts flottants sont toujours interdits, des tenues aux «tissus spécifiques à la baignade, ajustés près du corps» et pouvant couvrir les bras et les jambes sont autorisés. Bref, sans même le nommer, le burkini était adopté (29 voix pour, 27 contre).

L'aspect politique ou religieux, ce n'est pas notre problème. Ce qui prévaut, c'est l'hygiène et la sécurité.
Jean Wagner (Directeur Les Bains du Parc)

La cité iséroise a donc profité du principe de la libre administration des collectivités territoriales pour rejoindre Rennes où le port de ce vêtement, créé en 2004 par la libano-australienne Aheda Zanetti, est autorisé depuis 2018, soit presque dix ans après... Strassen. En effet, dès son ouverture en 2009, le Centre de natation intercommunal «Les Thermes» Strassen-Bertrange a autorisé le port de ce vêtement.

Cette décision n'a pas fait l'unanimité. Dans la mesure où les signes religieux (reste à savoir si le burkini est considéré comme tel?) sont autorisés dans l'espace public à condition de ne pas masquer le visage, les critiques se sont alors portées sur l'aspect hygiénique. Aux Thermes, cet argument tombe à l'eau. «On a déjà vérifié la propreté de votre slip de bain?», répond non sans humour notre interlocuteur sous couvert d'anonymat. «Notre volonté est de permettre à toutes les femmes qui le souhaitent de venir nager. Bon, de toute manière, on doit avoir deux femmes par mois qui viennent dans cette tenue. Cela représente vraiment une très faible minorité de notre clientèle. À ma connaissance, nous devons être la seule piscine du pays à autoriser le burkini...»

Le libre arbitre du maître-nageur

Non, «Les Thermes» n'est pas le seul établissement dans ce cas. Au centre aquatique Les Bains du Parc, à Esch-sur-Alzette, la combinaison est autorisée même si rien n'est gravé dans le marbre. Gérant administratif du site, Jean Wagner se réfère au règlement interne en vigueur: «Il est simplement dit ''port d'une tenue de bain correcte et propre exigée''.» Pour l'ancien défenseur de la Jeunesse d'Esch, il est hors de question de se mettre hors-jeu: «L'aspect politique ou religieux, ce n'est pas notre problème. Ce qui prévaut, c'est l'hygiène et la sécurité.»

Ces notions d'hygiène et de sécurité posent la question de la tenue en elle-même et, plus précisément, de sa conception. «Même si le terme n'apparait pas noir sur blanc, on accepte le burkini, à condition toutefois qu'il s'agisse bien de ce type de vêtement, déclare Jean Wagner. Il doit vraiment être destiné à aller dans l'eau. Pourquoi? Parce que sur un burkini, le voile est intégré à la combinaison. Or, un voile flottant entraîne de vrais risques de sécurité, car il peut rester accroché. Or, qui serait tenu pour responsable en cas de noyade? Le maître-nageur...»

A Grenoble (...) ils ont voté pour le port du burkini, mais aussi pour la possibilité de nager seins nus. Pourquoi ne vous intéressez-vous pas à cela?
Témoignage anonyme d'un(e) employé(e) d'une piscine de Luxembourg

A Esch, à défaut d'un texte plus précis, l'autorisation d'accès au bassin en fonction de telle ou telle tenue est donc laissée au libre arbitre du maître-nageur présent. Reste à savoir si cela relève vraiment de sa responsabilité? «C'est quand même lui qui est le plus à même d'évaluer la situation», confie le gérant administratif, amusé par la concomitance des événements: «Votre appel intervient alors que ce matin (vendredi) une douzaine de femmes sont venues avec, à les entendre, des burkinis, mais cela n'était clairement pas... Après discussion, le maître-nageur les a autorisées à entrer, mais il faut que ces femmes comprennent qu'il s'agit d'une question de sécurité!»

Et l'hygiène dans tout ça? «Normalement, il est stipulé que chaque client doit d'abord prendre une douche savonneuse avant d'entrer dans l'eau... On a des cabines privées. Les personnes qui le souhaitent peuvent donc enlever et remettre leur burkini à l'abri des regards.»

Ah, le regard... Dans une piscine d'un quartier de la capitale, le sujet de notre reportage interpelle. «A Grenoble, nous fait-on remarquer de manière anonyme, ils ont autorisé le port du burkini, mais aussi la possibilité de nager seins nus. Pourquoi ne vous intéressez-vous pas à cela?» Dans sa voix, l'intérêt pour la question est palpable. Quand on l'interroge sur la perspective de voir, dans le même bassin, des femmes couvertes des chevilles à la tête et d'autres en topless, sa réponse fait naître une autre question: «Et pourquoi pas?» Ou comment finir sur une note de fraîcheur.

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