«Tout le monde peut être touché par le Sida»
A l'occasion de la journée mondiale de lutte contre la maladie, Carole Devaux, présidente du Comité de surveillance des maladies sexuellement transmissibles, revient sur l'importance - et les difficultés - du dépistage du VIH en ces temps de pandémie.
Si le nombre des victimes a baissé de plus de 60% depuis 2004, la maladie a tout de même tué 690.000 personnes à travers le monde, selon les données de l'ONU. © PHOTO: AFP
En 2019, 49 nouvelles infections au VIH ont été relevées. Craignez-vous que la pandémie sanitaire actuelle affecte le dépistage cette année ?
«Oui, c'est une certitude. Durant le confinement, les gens se sont moins déplacés pour se faire tester. Par rapport à l'année précédente, le nombre de tests HIV réalisés a fortement baissé. Au CHL, cette baisse est de 48% entre mars et mai, puis de 20% entre juin et août par rapport à la même période en 2019. Mais ce phénomène n'est pas propre au Luxembourg, il s'observe dans toute l'Europe.
Ces baisses ont-elles été remplacées d'une manière ou d'une autre ?
«Des alternatives ont été mises en place. Le service HIV Berodung de la Croix-Rouge a par exemple envoyé des autotests anonymes et gratuits par courrier. Mais pour le moment, il est difficile d'en connaître les retombées. Dans tous les cas, il faut être clair : si nous n'observons aucune augmentation pour l'heure, les gens eux n'ont pas arrêté de prendre des risques pendant la crise.
Ces autotests sont-ils considérés comme fiables ?
«Bien sûr. La principale différence réside dans le délai du dépistage : l'autotest permet de détecter une infection au plus tôt trois mois après une situation à risque, alors que les tests disponibles en laboratoire peuvent être réalisés dès six semaines. Mais il s'agit d'un outil supplémentaire indispensable, notamment pour permettre de tester toute une partie de la population qui ne voudrait pas se rendre dans un centre de dépistage.
Le Comité de surveillance du Sida - présidé par le docteur Carole Devaux - travaille notamment sur la prévention, la stigmatisation et le plan national VIH. © PHOTO: Eric Chenal / LIH
«Bien sûr. La principale différence réside dans le délai du dépistage : l'autotest permet de détecter une infection au plus tôt trois mois après une situation à risque, alors que les tests disponibles en laboratoire peuvent être réalisés dès six semaines. Mais il s'agit d'un outil supplémentaire indispensable, notamment pour permettre de tester toute une partie de la population qui ne voudrait pas se rendre dans un centre de dépistage.
Les personnes atteintes du Sida sont-elles plus vulnérables face au covid-19 ?
«Pas spécialement. Il a été montré que les personnes infectées par le VIH n'ont pas plus de risques de l'être par le SARS-COV-2. Les patients qui se trouvent sous traitement antirétroviral - en particulier le Tenofovir - présenteraient même un risque plus faible de tomber malades et d'être hospitalisés. Ce médicament aurait un effet sur la réplication du virus. Autrement dit, le virus SARS-COV2 se reproduirait moins bien chez ces patients.
En 2020, de nombreuses idées reçues sur le Sida persistent, notamment liées à l'homosexualité. Les chiffres montrent pourtant que les hétérosexuels sont tout autant touchés...
«En effet, le Sida concerne aussi bien les homosexuels que les hétérosexuels. Au Luxembourg, cela fait plusieurs années que la répartition est égale. Tout le monde peut être touché par le Sida. Les hommes sont néanmoins toujours plus affectés que les femmes.
Existe-t-il malgré tout des stratégies différentes selon les populations ?
«Bien sûr. Des moyens supplémentaires existent pour réduire le risque chez les homosexuels notamment. Au Luxembourg, nous avons mis en place une stratégie basée sur la PrEP, c'est-à-dire la Prophylaxie pré-exposition. Il s'agit d'un traitement antiviral qu'on donne en prévention pour ne pas être infecté. Dans certains pays, et notamment à Londres, cette stratégie - en complément d'un dépistage régulier - a permis de réduire efficacement le nombre d'infections au VIH.
Qu'en est-il des possibilités de traitement aujourd'hui ?
«L'infection par le VIH se soigne efficacement. Il existe en effet des trithérapies qui entraînent de moins en moins de résistance. Mais ce sont des traitements à vie, lourds, avec des effets secondaires. La recherche se tourne donc aujourd'hui vers une cure du VIH dont l'objectif serait de mimer une réponse immune qui arriverait à contrôler le virus, comme cela peut arriver très rarement pour une certaine partie de la population qui s'appelle des élites contrôleurs. Mais en attendant qu'une telle cure soit disponible, il faut continuer à prendre des traitements tous les jours pour soi-même, mais aussi pour éviter de transmettre le virus aux autres.
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Il n'est donc pas possible de guérir de l'infection par le VIH...
«Non ! Le virus se cache, dormant dans les cellules et à partir du moment où le malade arrête son traitement, il va à nouveau répliquer et entraîner la maladie.
La prise d'un tel traitement demande donc une grande rigueur. Le confinement a-t-il eu un impact sur les malades et leur suivi ?
«Non, des alternatives ont été mises en place, notamment des téléconsultations. Mais les personnes qui suivent bien leur traitement n'ont besoin de consulter un spécialiste infectiologue qu'une fois tous les six mois. Au Luxembourg, tout a été mis en place pour permettre l'accès au traitement malgré la pandémie. Ça n'a néanmoins pas été le cas partout. Dans certains pays en voie de développement, l'approvisionnement de ces traitements n'a pas pu se faire...
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Quant à la prévention, elle reste encore aujourd'hui compliquée. Il y a un effet de fatigue du coronavirus qui fait qu'il est difficile de gérer le dépistage d'un autre virus. En cette période, il est donc indispensable d'«appliquer les bons gestes, même sous la ceinture comme le souligne la campagne du HIV Berodung.»