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«Un équilibre à trouver dans le télétravail»

Franz Fayot (LSAP) revient sur sa mise en quarantaine et la gestion de la pandémie par le gouvernement. Satisfait du bilan du chômage partiel, le ministre de l'Économie évoque aussi les conditions d'un retour à l'activité normale et se projette sur les enseignements à tirer de la crise.

Franz Fayot: «Nous avons l'un des États-providence les plus forts d'Europe et une Sécurité sociale exemplaire»

Franz Fayot: «Nous avons l'un des États-providence les plus forts d'Europe et une Sécurité sociale exemplaire» © PHOTO: Lex Kleren

(JFC, avec Madalena Queiros) -

Vous avez été le premier membre du gouvernement à être mis en quarantaine. Comment s'est déroulé votre isolement?

Franz Fayot (LSAP), ministre de l'Économie - «J'ai passé cinq jours en quarantaine, en auto-observation. C'était ce que je devais faire. J'étais en contact avec quelqu'un de positif et j'ai suivi les directives des autorités sanitaires. Je me suis isolé dans ma maison, mais j'ai continué à participer à toutes les réunions et au Conseil de gouvernement. J'ai toujours été en contact avec mes équipes via Zoom, Webex et Skype. Tout s'est très bien passé.

Pensiez-vous à l'époque que l'épidémie allait connaître une telle expansion dans le monde?

«Je pense que tous les gouvernements européens et mondiaux ont été submergés par cette pandémie. Nous étions confrontés à une situation complètement nouvelle. Nous avions un plan pandémique qui avait été élaboré en janvier. Et nous avons fait le nécessaire pour préserver la santé de la population et des plus vulnérables, comme les personnes âgées et les malades. Nous avons pris des mesures comme l'isolement qui a été défini le 18 mars.

Franz Fayot: «Il existe un ratio et une stratégie qui ont été suivis à la lettre par le gouvernement»

Franz Fayot: «Il existe un ratio et une stratégie qui ont été suivis à la lettre par le gouvernement» © PHOTO: Lex Kleren

Vous aviez donc commencé à réfléchir à cette stratégie dès janvier?

«Dès l'apparition des premiers signes de la pandémie, le Premier ministre a donné des instructions au Haut-Commissariat à la protection nationale (HCPN) pour commencer à réfléchir sur ce scénario. Mais il est vrai que nous avons commencé à parler de la réalisation de cette stratégie fin février, lorsqu'elle est devenue connue, alors que les cas augmentaient et que nous devions réagir.

Vous basez-vous sur un modèle afin de prendre ces mesures? Comment ces calculs sont-ils effectués?

«Il existe un ratio et une stratégie qui ont été suivis à la lettre par le gouvernement. Dès le début, nous avons travaillé avec les chercheurs du ministère de la Santé et de la Recherche, qui ont suivi l'évolution des infections à partir des données collectées et ce modèle était très précis. Dans une première phase, nous avons rouvert le secteur de la construction civile. Ensuite, nous avons attendu deux semaines pour faire une évaluation. Au début de la troisième semaine, nous avons décidé de rouvrir d'autres secteurs, comme le commerce et, dans une troisième phase, les restaurants et les bars. Tout était basé sur l'évolution des infections. Il y avait une méthode précise qui a été respectée et une modélisation. Au bout d'un certain moment, nous avons vérifié que l'évolution des cas suivait bien les prédictions des scientifiques.

Si une seconde vague devait survenir, l'approche serait-elle la même?

«Le cas échéant, nous ne ferons pas ce que nous avons fait en mars. Nous avons désormais beaucoup plus d'informations sur le virus, nous connaissons les gestes barrières et savons comment organiser les espaces. Dans ce cas, nous aurons une réaction beaucoup plus chirurgicale et plus subtile pour faire face à une nouvelle vague, si toutefois elle se produit. Je ne suis pas ministre de la Santé, mais nous avons pris toutes les précautions nécessaires. Nous avons des hôpitaux organisés pour cela et des centres de soins qui peuvent reprendre leurs opérations très rapidement. Mais je pense que nous sommes mieux préparés et pour nous protéger, nous avons désormais une "culture du masque".

Les chiffres annoncent une grande reprise en 2021, avec une croissance de 7%

Quel est l'impact réel de la crise du covid-19 sur l'économie luxembourgeoise?

«Il existe différents niveaux d'impacts, selon les secteurs. Certains ont été plus touchés par le confinement, car il s'agit avant tout d'une crise associée au confinement, ce qui signifie une crise de l'offre et de la demande. Aux États-Unis, ils parlent de "lockdown". Cette fermeture de l'activité économique affectera durablement certains secteurs. Par exemple, des activités comme les bars et les clubs ne rouvriront probablement que dans quelques mois. A côté de cela, d'autres ont continué à travailler, comme les industries. Mais leur activité a été réduite de 30% à 50% en raison des limitations des exportations et des marchés. Les situations sont donc très variables. Par ailleurs, le secteur financier a lui aussi continué de fonctionner, mais avec un impact sur les banques, les compagnies d'assurance, les consultants et cabinets d'avocats.

Quand l'économie devrait-elle revenir à la normale?

«Si je pense que l'activité retrouvera des niveaux normaux, je ne peux cependant pas affirmer que ce sera en un instant. Je n'ai pas de boule de cristal. Je ne peux que rendre compte des prévisions. Ainsi, les chiffres annoncent une grande reprise en 2021, avec une croissance de 7%, qui neutralisera les effets de la crise de 2020. Mais cela reste très compliqué de prédire quand l'économie européenne se redressera et avec quelle vigueur. Tout dépend des politiques de relance européennes et des fonds de relance.

Lire aussi :Le confinement freine l’évolution de l'emploi salarié

Contrairement au précédent, le nouveau modèle de chômage partiel permet aux employeurs de licencier du personnel. Ne craignez-vous pas une explosion de ces licenciements?

«Je souligne d'abord que le mécanisme du chômage partiel a permis de sauver l'emploi d'un tiers des salariés qui en ont bénéficié. Ensuite, il existe différentes catégories dans la nouvelle disposition sur le chômage partiel. Nous avons notamment celle qui ne permet pas de licenciement: ces entreprises sont dans le système de chômage structurel simplifié et peuvent mettre un pourcentage de leur personnel en chômage partiel, à condition de ne pas licencier.

Par ailleurs, il existe une modalité qui englobe les entreprises du commerce et des secteurs vulnérables, comme l'Horesca (hôtels, restaurants et cafés), l'événementiel et le tourisme: là, il est possible de licencier environ 25% du personnel. Tous les autres doivent proposer des plans pour conserver l'emploi dans le cas où ils se retrouveraient structurellement au chômage.

Mais toujours avec une limitation qui implique la création de plans sociaux et de plans de maintien de l'emploi et de réorganisation. Dans ces cas, il est garanti que les délégués du personnel doivent participer aux négociations et que des consultations sont nécessaires. Il faut tout faire pour éviter au maximum les pertes d'emploi dans les entreprises bénéficiant du chômage partiel. Beaucoup d'entreprises avec lesquelles je suis en contact souffraient d'un manque de main-d'œuvre avant la crise et étaient confrontées à la difficulté de trouver de nouveaux travailleurs bien formés et expérimentés. Je note que cet état d'esprit persiste aujourd'hui.

De nombreuses entreprises ont adopté le télétravail. Quels sont les avantages et les inconvénients de ce système et quel est son impact sur l'économie?

«C'est là une des expériences les plus intéressantes de cette période de crise. En quelques semaines, énormément de monde est passé au télétravail. Cela a d'abord provoqué un choc sur le système et les infrastructures: le réseau des postes et télécommunications notamment a été sollicité trois fois plus qu'en temps normal. Mais tout a globalement bien fonctionné. Ce qui montre que les investissements réalisés par Post ces dernières années ont été bénéfiques.

Le télétravail constitue un excellent enseignement. Les effets positifs sont nombreux et il ne fait aucun doute que nous devrions trouver un équilibre. Le modèle de rester deux jours par semaine à la maison s'avère intéressant. Même si nous savons que certains obstacles réglementaires et fiscaux doivent être résolus, nous voyons que les effets bénéfiques se manifestent au niveau de la vie familiale et dans l'animation des villes. Certes, nous déplorons certains effets négatifs, comme les restaurants du Kirchberg fortement affectés par la désertification des bureaux. Bref, le télétravail devrait davantage s'ancrer dans la société à l'avenir, mais avec un équilibre à trouver.

«Le gouvernement souhaite vivement accompagner et faciliter le télétravail»

«Le gouvernement souhaite vivement accompagner et faciliter le télétravail» © PHOTO: Lex Kleren

Le télétravail constitue un excellent enseignement. Les effets positifs sont nombreux et il ne fait aucun doute que nous devrions trouver un équilibre. Le modèle de rester deux jours par semaine à la maison s'avère intéressant. Même si nous savons que certains obstacles réglementaires et fiscaux doivent être résolus, nous voyons que les effets bénéfiques se manifestent au niveau de la vie familiale et dans l'animation des villes. Certes, nous déplorons certains effets négatifs, comme les restaurants du Kirchberg fortement affectés par la désertification des bureaux. Bref, le télétravail devrait davantage s'ancrer dans la société à l'avenir, mais avec un équilibre à trouver.

Justement, quels incitants le gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour ancrer le télétravail dans la société?

«Il existe une demande dans ce sens, qui émane du secteur privé et de l'économie. Mais il s'agit d'un problème complexe, avec de nombreuses implications en termes transfrontaliers et au niveau de la Grande Région. Il y a notamment toute une dimension fiscale au cœur de la discussion.

Jusqu'à présent, nous avons eu la chance de bénéficier d'une tolérance des pays voisins. Mais quand cette situation parviendra à son terme, nous devrons mener cette discussion et créer une stratégie commune en termes de politique de la Grande Région. Concernant les résidents luxembourgeois, cela impliquera également quelques modifications du droit du travail. Le gouvernement souhaite vivement accompagner et faciliter ce mouvement.

Comment se sent un homme politique socialiste au sein d'un gouvernement qui mène une politique capitaliste?

«Le Luxembourg est un pays capitaliste, comme tous les pays d'Europe. Mais c'est aussi un pays avec une forte tradition sociale-démocrate et qui a été marqué par les longues années de participation de mon parti au gouvernement. Nous avons l'un des États-providence les plus forts d'Europe et une Sécurité sociale exemplaire. Malgré le libéralisme, nous conservons une conscience sociale dans notre pays.

Rares sont ceux qui remettent en question des mesures telles que l'indexation des salaires ou le modèle social luxembourgeois. Même les employeurs sont conscients que la paix sociale est un atout précieux pour l'économie. Il existe un fort consensus autour de ces valeurs, considérées comme un acquis socialiste.»

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