Une photo très marquante du grand-duc Jean
Chef de la photographie au «Luxemburger Wort» et régulièrement accrédité par la Cour grand-ducale, Guy Wolff a souvent été face à l'ancien grand-duc. Un shooting au château de Fischbach l'a particulièrement marqué. Il raconte.
© PHOTO: Guy Wolff
Guy Wolff, 45 ans, a quasiment fait le tour du monde avec son appareil photo au bout de l'index, gravi des sommets et s'est approché de très près de stars mondiales sur le tapis rouge de Cannes ou celui des Jeux olympiques. Une fois, il s'est gentiment «brûlé les ailes». Sans le savoir. Il était jeune dans le métier.
C'est le grand-duc Jean qui le lui a fait remarquer 24 ans plus tard, l'air de rien. Quelques secondes avant que naisse cette photo. Derrière ce sourire spontané se cache en fait une phrase. Elle est liée à une anecdote qui en dit long sur notre personnage.
© PHOTO: Guy Wolff
Comme pour de très nombreuses fêtes nationales, visites d'Etat, événements dans l'intimité familiale, y compris dans la résidence d'été à Cabasson, Guy Wolff s'est retrouvé face à l'ancien Grand-Duc ce 20 mai 2014 dans son bureau privé au château de Fischbach où il a choisi de se retirer au soir de sa vie.
Lire aussi :
L'attachée de communication de la Cour et l'aide de camp laissent le photographe investir la pièce. «Je place mes lampes, prépare le matériel. Le grand-duc Jean est entré en marchant. Il voulait toujours se tenir debout. Comme il voulait toujours se lever pour accueillir ses enfants. Il m'a regardé et m'a reconnu. On l'a bien installé, avec un coussin dans le dos», décrit le photographe.
Le grand-duc Jean me répond: "Dir wart spéit!" Il s'en est rappelé 24 ans après!
«Dans ces moments-là je discute un brin, je cherche le contact. Parce que face à l'objectif, quand le contact visuel ne se fait plus avec le photographe, les gens sont souvent perdus. Ils ne savent pas où regarder. Alors je les mets à l'aise», raconte le chevronné.
24 ans après, «il s'en est rappelé!»
Pour mettre son sujet royal à l'aise, Guy Wolff lui remémore la première fois qu'il l'a fixé sur pellicule en ces mots: «C'était en 1994. Vous aviez inauguré le nouveau home des scouts à Dudelange en tranchant la corde inaugurale avec une hache. Et il me répond: "Dir wart spéit!" (traduisez: "Vous étiez en retard!") J'étais effectivement en retard ce jour-là. Il s'en est rappelé! J'en suis resté bouche bée», confie le photographe.
En cet instant d'échange de souvenir partagé «se crée une forme d'intimité et la personne photographiée oublie un court moment l'appareil». Sur le cliché, un sourire complice. Bien qu'institutionnelle et sérieuse dans la forme, la photo transpire l'humain. Guy Wolff a atteint son objectif. Il le sent au moment où il déclenche.
Lire aussi :La vie du Grand-Duc Jean
Le sourire de Monseigneur fera la couverture du célèbre Marienkalender annuel publié par le Groupe Saint-Paul, illustrera de nombreux articles et fera le bandeau du site officiel de la Cour grand-ducale. Au lendemain du décès du Grand-Duc Jean, elle a évidemment trouvé une place de choix dans le Luxemburger Wort.
© PHOTO: Maurice Fick
Si à l'époque du trancher de corde, le jeune photographe prometteur du «Républicain Lorrain» arrive en retard, c'est qu'il y a une bonne raison. «En réalité, je devais couvrir deux sujets ce soir-là à Dudelange. Juste avant de me rendre à l'inauguration du home des scouts, j'ai fait les photos de l'assermentation des nouvelles recrues de l'Armée devant l'hôtel de ville à Dudelange, en présence d'Alex Bodry qui était alors ministre».
Lire aussi :«Le Grand-Duc Jean doit être salué comme un héros»
«Monseigneur a proposé de refaire la photo»
En arrivant chez les scouts, Guy Wolff est le premier surpris. Il n'avait pas été prévenu par sa rédaction d'Esch-sur-Alzette que le Grand-Duc était de l'inauguration. «Il m'a fait remarquer que c'était un événement important et une demi-heure après l'inauguration, Monseigneur a proposé de refaire la photo. Alex Bodry étant également venu en retard», raconte Guy Wolff.
«Je venais d'avoir une bonne leçon de vie. En tant que militaire, le Grand-Duc tenait à la ponctualité. Ne dit-on pas que la ponctualité est la politesse des rois?», interroge le photographe qui lie depuis cet instant étroitement le mot retard à celui de respect.
Comme ce respect que Guy Wolff a toujours senti au côté du grand-duc Jean: «Il s'intéressait toujours aux gens. A l'humain dans l'histoire, et pas seulement à l'histoire». Comme lui-même.
Guy Wolff: «C'est la dernière photo que j'ai faite du grand-duc Jean. Partout où il allait, il était chaleureusement applaudi par la foule et le lui rendait toujours par un signe et avec ce beau sourire». © PHOTO: Maurice Fick
Lorsqu'il a appris, mardi 23 avril 2019 au matin la mort de «Monseigneur», comme il l'a toujours appelé, Guy Wolff n'a pu retenir ses larmes. Sur sa page Facebook il a rendu un dernier hommage à l'homme et a écrit: «Adieu Monseigneur, c'est votre sourire qui sera éternel. Vous avez maintenu.»
Procession de clôture de l'Octave, le 6 mai 2018. © PHOTO: Guy Wolff