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Elections communales

Vie politique: «La langue, c'est la grande problématique»

Chercheur au Centre d'étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis), Sylvain Besch analyse le taux d'inscription assez faible des résidents étrangers aux prochaines élections communales. Et selon lui, ce n'est pas uniquement par manque d'envie...

Chercheur au Cefis, Sylvain Besch estime que la sensibilisation à la vie politique des résidents étrangers ne doit pas se faire uniquement à l'approche des élections.

Chercheur au Cefis, Sylvain Besch estime que la sensibilisation à la vie politique des résidents étrangers ne doit pas se faire uniquement à l'approche des élections. © PHOTO: Serge Waldbillig

Journaliste

Au 28 février dernier, le taux de participation des résidents non luxembourgeois était de 12,5%. Que cela vous inspire-t-il?

Sylvain Besch: Si on compare ce chiffre à celui enregistré en 2017 (22,8%), on constate une forte chute. Mais celle-ci s'explique essentiellement du fait que pour cette édition 2023, le droit de vote a été ouvert à tout nouveau résident en provenance de pays tiers (Ndlr: Union européenne). Dès lors, ce taux de 12,5% se base sur un nombre potentiel d'électeurs plus important qu'en 2017. Cette chute est donc mécanique.

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Est-ce l'unique explication?

Non. L'autre est le transfert automatique, vers les listes des électeurs nationaux, d'étrangers ayant obtenu, entre-temps, la nationalité luxembourgeoise. Après, il faut regarder à ce que l'on appelle le «flux d'inscription».

C'est-à-dire?

L'évolution, mois après mois, des nouvelles inscriptions. Par exemple, on en avait 40 en juillet 2022, 88 en août, 475 en décembre, 1.337 en janvier et 2.206 en février... On peut s'attendre à ce qu'il y en ait encore davantage en mars. Ce phénomène va aller crescendo au fur et à mesure que l'on se rapproche de la date butoir. Seul bémol, celle-ci est fixée au 17 avril. Or, les vacances de Pâques (du 1er au 16 avril) pourraient avoir un impact négatif.

Seuls 3% des étrangers qui résident depuis moins de cinq ans au Luxembourg sont inscrits sur les listes électorales

Si le pourcentage est à la baisse, qu'en est-il du nombre d'inscrits?

Au 28 février, on était à 32.197 inscrits et je pense qu'on dépassera sans aucun problème celui de 2017 qui était de 34.638.

Combien y a-t-il de résidents étrangers en âge de pouvoir voter?

257.085 personnes auront 18 ans au 11 juin 2023.

Le taux d'inscription varie-t-il en fonction du temps de résidence dans le pays?

Oui. Seuls 3% des étrangers qui résident depuis moins de cinq ans au Luxembourg sont inscrits sur les listes électorales. Alors que chez ceux qui sont là depuis plus de 30 ans, le taux est de 36%. Et, là encore, ça va crescendo. Il y a une règle quasi mathématique: plus la durée de résidence est longue, plus la probabilité d'inscription sur les listes électorales est importante.

Que sait-on de la corrélation entre le taux d'inscription et les catégories socioprofessionnelles ici au Luxembourg?

Au niveau administratif, on n'a pas accès à ces données. Mais on le sait, bien des enquêtes l'ont démontré: les gens issus de couches sociales favorisées s'intéressent, et prennent davantage part, à la vie politique que ceux venant des couches populaires.

On constate, c'est vrai, une participation plus importante des résidents venus des pays nordiques, mais ils appartiennent à une certaine catégorie de la population.

Au 28 février, les «bons élèves» étaient les Néerlandais (22,5%), loin devant les Danois (18,2%), les Allemands (17,7%), les Belges (16,3%), les Portugais (16%) et, plus loin encore, les Français (12,7%). Qu'en déduisez-vous?

Dans tous les cas, ce sont des taux qui sont bas... Ensuite, il faudrait voir le stock d'inscriptions par nationalité. Certaines d'entre elles ont eu moins que d'autres des transferts de nationalité. C'est-à-dire de naturalisation. Après, si l'on retrouve aux premiers rangs les Néerlandais, Danois, Allemands et Belges, cela s'explique évidemment par des différences socioéconomiques avec d'autres nationalités.

On a tendance à vanter l'attitude citoyenne et politique des immigrés venus des pays nordiques. Cela témoigne-t-il, de leur part, d'une conscience et/ou d'une culture politique plus importante?

Ça peut jouer aussi... On constate, c'est vrai, une participation plus importante des résidents venus des pays nordiques, mais ils appartiennent à une certaine catégorie de la population. Si je prends l'exemple de l'immigration portugaise, une enquête, réalisée il y a quelques années, révélait que les Portugais ayant vécu sous la dictature de (Antonio de Oliveira) Salazar n'avaient jamais, par la suite, participé au vote. Ni au Portugal ni ici au Luxembourg.

Que dit ce faible taux de participation du sentiment d'intégration, ou de l'envie de prendre part à la vie politique luxembourgeoise, de ces résidents?

Je ne pense pas qu'on puisse y voir un manque d'envie de s'intégrer. Et puis, que met-on derrière ce terme d'intégration? On peut très bien être très actif dans une association culturelle ou sportive et ne pas être inscrit sur les listes électorales. D'ailleurs, sans l'apport des bénévoles de nationalité étrangère, il n'y aurait plus beaucoup de clubs.

Même si pas mal d'efforts ont été faits ces dernières années, le champ politique reste en luxembourgeois, le débat politique est en luxembourgeois...

Mais sur le plan de l'intégration à la vie politique? Selon certains, bon nombre de résidents étrangers s'intéresseraient davantage à la politique de leur pays d'origine...

Il y a quelques années, une enquête avait été réalisée et le constat était le suivant: pour un résident étranger, le sentiment d'appartenance se fait avant tout avec la commune dans laquelle il habite. Et ce, bien avant son pays de résidence ou d'origine. Les taux de participation aux différentes élections en témoignaient. En 2001, si 10.622 Portugais étaient inscrits pour les communales, ils n'étaient que 2.095 à voter la même année pour les législatives.

Début mars, Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l'Intégration, expliquait que «la question de la langue était bien plus importante que celle de la nationalité». Mais celle-ci ne constitue-t-elle pas une barrière pour bon nombre de résidents étrangers?

Ça, c'est la grande problématique, ici, au Luxembourg. Dans les conseils communaux, la langue usuelle reste le luxembourgeois. Alors certes, on peut poser sa question en français ou en allemand, mais on n'a pas de traduction pour la réponse... Même si pas mal d'efforts ont été faits ces dernières années, le champ politique reste en luxembourgeois, le débat politique est en luxembourgeois...

Comment y remédier?

Depuis dix ans, on remarque que la langue française est dominante, tant dans le domaine du marché de l'emploi qu'en termes de communication. Une autre langue qui surgit de plus en plus, c'est l'anglais. Cela s'explique par l'arrivée d'une migration «spécialisée», mais aussi une autre que je dirais plus lointaine et qui communique aussi en anglais. Nos questionnaires, au Cefis, on les rédige en français, en anglais, en allemand et/ou luxembourgeois et aussi en portugais.

Du sud du pays à Luxembourg-ville, la langue prédominante est le français, et un peu l'anglais. Dans le nord et du côté de la Moselle, c'est l'allemand. Alors, pour espérer voir les résidents étrangers s'intéresser davantage à la politique luxembourgeoise, voire s'y impliquer, il faudrait déjà commencer par mettre en place des traductions simultanées.

En 2017, le taux de candidats étrangers devait être de 8-10%, celui des élus était de l'ordre de 1 à 3%. Bref, le champ politique reste luxo-luxembourgeois...

Quel regard portez-vous sur celle-ci?

En 2017, le taux de candidats étrangers devait être de l'ordre de 8-10%, celui des élus était de l'ordre de 1 à 3%. Bref, le champ politique reste luxo-luxembourgeois... Mais pour en revenir aux taux d'inscription, on l'a déjà dit en 2017, il faudrait que tout nouveau résident soit informé par sa commune de son droit de s'inscrire sur les listes électorales. Cela passe par une communication permanente, et pas uniquement à l'approche des élections.

Quel bilan faites-vous de l'impact des 300 multiplicateurs chargés d'aller convaincre les résidents étrangers de s'inscrire sur les listes électorales?

On fera un bilan de leur action. En 2017, on avait remarqué que le taux d'inscription, chez les résidents capverdiens, était passé de 11 à 22% en l'espace d'un an. C'était dû en grande partie au travail des multiplicateurs de la communauté capverdienne.

Ce manque de participation à la vie politique peut-il constituer un danger?

Il y a toujours un risque que ne s'instaure un décalage entre la population qui décide et celle qui réside... Non seulement, ce n'est pas très sain, mais en plus ça affaiblit la légitimité des élus. Les partis politiques doivent être conscients du poids électoral des étrangers. Le poids électoral, ce n'est pas le taux d'inscription, mais le taux de votants des étrangers sur l'ensemble des suffrages exprimés. Or, en 2017 à Luxembourg-ville, le vote des «étrangers» représentait 20%. Et ce poids est appelé à augmenter. Et c'est aussi autant de voix à séduire pour les partis politiques...

Lire aussi :Le vote par correspondance peut être demandé dès ce 20 mars

Dans ce domaine, quel regard portez-vous sur la stratégie des partis politiques?

Au niveau national, les différentes formations ont parfois une section internationale avec des personnes de nationalité étrangère. Au niveau local, il y a évidemment des différences en fonction de la taille des communes, des ressources des partis, etc. Les efforts d'adaptation ne sont pas suffisants. Mais si le taux d'inscription n'était pas de 12,5%, mais de 35%, la discussion serait complètement différente et ça aurait un impact tel sur le paysage politique qu'il faudrait d'autres mesures vis-à-vis de cet électorat-là.

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