Voyages coûteux de parlementaires: «Le Luxembourg est transparent»
La polémique concernant des voyages dispendieux et discrets de la part de plusieurs parlementaires francophones enfle, notamment en Belgique. Au Grand-Duché, on assure viser la transparence la plus totale, tout en limitant les excès budgétaires.
Tout déplacement dans le cadre d'organisations internationales, dont l'APF, doit être approuvé par le bureau de la Chambre des députés. © PHOTO: Guy Jallay
Connaissez-vous ou avez-vous déjà entendu parler de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)? Cette dernière semble méconnue du grand public. Et pourtant, l'organisation existe depuis 1967 et a même vu le jour à Luxembourg. Celle-ci regroupe plus de 91 sections d'autant de pays différents avec un objectif commun: la promotion de la langue française et de la culture francophone dans le monde entier.
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Pour y parvenir, l'APF organise régulièrement des missions, des réunions des différentes commissions, des colloques et des séminaires aux quatre coins de la planète. L'idée globale est ainsi d'exercer une sorte de diplomatie parallèle avec l'ensemble des pays francophones ou ceux ayant un rapport «historique» et «culturel» avec le français. Pourtant, malgré cette immense coopération internationale, les résultats de ces missions à l'étranger sont quelque peu nébuleux.
D'ailleurs, si ces nombreux voyages à l'étranger n'avaient jusqu'alors guère suscité d'intérêt médiatique, une polémique a éclaté il y a quelques semaines en Belgique puis dans d'autres pays. En cause, des révélations dans la presse des voyages particulièrement dispendieux réalisés par des parlementaires wallons, notamment dans le cadre de missions pour l'APF dont l'utilité est sujette aux questionnements, que ce soit à Bali ou encore en Polynésie française.
23 missions à l'étranger pour 221.000€
Nos confrères de La Libre Belgique indiquent que selon des rapports d'activité qu'ils ont pu se procurer, la section belge de l'APF a participé, en 2022, à 23 missions à l'étranger, soit deux par mois en moyenne, pour un montant total de 221.000 euros. Certains membres, plus que d'autres, se sont d'ailleurs montrés très actifs. Le Journal de Quebec évoque quant à lui huit voyages depuis la fin de la pandémie pour un total de 276.634$ de dépenses de la part de la délégation québécoise de l'APF.
Plus de transparence au parlement wallon
Suite à la polémique survenue au sein du parlement wallon, ce mercredi, le règlement du parlement visant à mieux encadrer les voyages a été approuvée à l’unanimité. Désormais, toute mission effectuée par une délégation de l’assemblée sera soumise aux règles actuellement applicables aux missions des commissions. Par exemple, selon l'agence Belga, le parlement organisera sur son site internet une publicité préalable à toute mission, reprenant son objet, les dates, le programme, les participants et le coût estimé. Les dépenses liées à tout voyage seront également limitées.
Et pourtant, en ce qui concerne les frais ventilés, difficile d'en savoir plus sur le site de l'organisation. Les rapports d'activité ne font état d'aucun relevé détaillé des coûts qui permettrait à quiconque de savoir comment cet argent est utilisé, malgré le fait que l'APF soit financée par les États membres qui la composent. D'autant plus que certains voyages récents, à l'instar de Tahiti, Kigali ou encore Québec, en classe affaires pour certains, peuvent donner du grain à moudre à d'éventuels détracteurs en cette période d'inflation et de crise environnementale.
Bref, l'opacité budgétaire de l'organisation pose question, surtout qu'en raison de la fin des restrictions liées à la pandémie de covid-19, de nombreux autres voyages sont prévus en 2023.
En tant que membre fondateur de l'APF, le Luxembourg bénéficie lui aussi de sa propre section. Celle-ci est composée d'un secrétaire administratif ainsi que de six députés de couleurs politiques différentes: Gusty Graas (DP), Pim Knaff (DP), Mars Di Bartolomeo (LSAP), Laurent Mosar (CSV), Josée Lorsché (déi Gréng) ainsi que Diane Adehm (CSV).
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À la tête de la section, le député Gusty Graas. Ce dernier a accepté de revenir sur la récente polémique, tout en assurant la transparence luxembourgeoise. «Le rôle de l'APF est totalement justifié», lance d'emblée le député. «La langue et la culture françaises ont encore leur rôle à jouer face à l'anglais qui continue encore et toujours de grappiller du terrain. Une diversité de langues est toujours intéressante pour les sociétés, d'où notre rôle de promouvoir la démocratie au sein de la communauté francophone».
Des propos qui rejoignent totalement ceux de Mars Di Bartolomeo, autre député de la section luxembourgeoise. L'ancien ministre, qui est aussi d'ailleurs le trésorier de l'APF depuis deux ans, insiste sur le rôle important de l'assemblée, notamment grâce à un ancrage important dans les pays africains. «J'ai suivi les discussions à propos de la Belgique et, dans une moindre mesure, en France. Ce que je peux dire, c'est que les collègues belges que je côtoie n'éveillent pas la moindre suspicion dans mon chef», plaide-t-il
De par son rôle parlementaire, l'homme affirme avoir mis en place tout un tas d'outils permettant d'assurer une bonne gouvernance de l'APF. «Sous mon impulsion ainsi que celles de mes prédécesseurs, nous avons notamment imposé un contrôle budgétaire externe à l'APF. Concrètement, un premier contrôle est réalisé par un comptable puis un second par un réviseur externe et enfin un troisième contrôle par le trésorier et son équipe. Depuis que je suis en place, il y a eu, certes, des propositions pour clarifier l'une ou l'autre dépense mais aucune irrégularité n'a été constatée.»
Des abus «pas acceptables» pour Gusty Graas
Gusty Graas est plus catégorique. Selon lui, il n'est pas «acceptable» que des personnes abusent de leur statut pour réaliser des dépenses et des voyages «inutiles». «Je ne peux évidemment pas accepter cette manière de fonctionner. Du côté de la section luxembourgeoise, outre Mars Di Bartolomeo qui, en sa qualité de trésorier de l'APF, doit davantage voyager, notre participation aux différentes missions est assez modeste, même un peu trop», rigole-t-il. «Personnellement, je n'ai participé à aucune réunion cette année. En 2022, j'ai participé à l'Assemblée régionale Europe de l'APF à Barcelone ainsi qu'à Tirana, dans le cadre de la neuvième édition du Parlement francophone des jeunes. J'y étais afin d'y expliquer le fonctionnement de la Chambre des députés luxembourgeoise. J'y suis resté seulement deux jours».
On l'aura compris, les décisions prises par l'APF n'ont pas vocation à être contraignantes. Les sessions et réunions organisées ont surtout pour vocation de débattre, de proposer et d'échanger des informations. D'aucuns pourraient toutefois déplorer le manque de communication de la part de l'organisme sur le contenu même de ces réunions. «Je suis également d'avis que l'APF doit faire davantage d'efforts en matière de communication. Effectivement, elle n'est pas assez connue et reste à l'écart de l'opinion publique», reconnaît Gusty Graas.
L'aval nécessaire de la Chambre des députés
Et puis, en ce qui concerne la transparence, les deux hommes assurent d'une seule et même voix qu'en ce qui concerne la délégation luxembourgeoise, chaque demande de mission internationale fait l'objet d'un contrôle strict. «Tout déplacement dans le cadre d'organisations internationales, dont l'APF, doit être approuvé par le bureau de la Chambre des députés lorsqu'il s'agit d'un déplacement lointain. Il ne peut donc pas y avoir d'abus de notre côté. Au contraire, on nous reproche même parfois que nous ne sommes pas assez engagés, car nous analysons à chaque fois si la mission vaut le déplacement ou non. Je suis sincère lorsque je dis qu'il est important que l'ensemble des coûts de ces missions doit être transparent car il s'agit de deniers publics», assure Gusty Graas.
Mars Di Bartolomeo va même plus loin. «Si le thème de la mission n'intéresse pas directement le Luxembourg, nous n'y participons pas ou nous envoyons une délégation très réduite pour ne pas engendrer des coûts importants. Il faut le reconnaître: certains déplacements ne sont pas donnés. Dans le cadre d'une mission du bureau de l'APF, il est évident que le trésorier doit y participer. L'alternative serait d'abandonner le poste et même de quitter l'APF, mais ce n'est clairement pas une option pour le Parlement luxembourgeois.»
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L'ancien ministre explique même avoir tenté de réduire la voilure concernant certains voyages. «On avait demandé s'il était possible que certaines missions soient réalisées via vidéoconférence. Dans certains cas, le pays hôte en question avait refusé sous prétexte de réciprocité et l'importance de venir constater certains problèmes sur le terrain. Bref, si nous voulons que ces pays participent à nos réunions à Paris ou à Luxembourg, il est donc important que nous participions aux leurs lorsqu'ils sont organisateurs.»
Mars Di Bartolomeo assure que les déplacements ont été considérablement réduits ces dernières années en raison de la crise sanitaire. «Je confirme m'être seulement rendu en Polynésie française, encore une fois de par ma fonction de trésorier. Il n'y avait aucun autre membre de la section luxembourgeoise, pareil pour Kigali où j'étais également présent. Il y a également eu un voyage au Québec et où j'ai voyagé en classe affaires, car il s'agissait d'un vol de plus d'une dizaine d'heures. Cela dit, nous nous efforçons de commander les billets suffisamment tôt pour que les tarifs soient moins élevés, nous avons également des maxima définis par le bureau en ce qui concerne les prix des chambres d'hôtel», tempère-t-il.
Paris, Abidjan, Ottawa, Libreville, Quebec, Louisiane, Géorgie, les parlementaires francophones ont un agenda de missions internationales déjà bien chargé pour l'année 2023. On en compte 14 au total. Interrogés sur leur possible présence à ces futurs rendez-vous, les deux députés luxembourgeois expliquent ne pas encore savoir s'ils seront de la partie ou non.
Un budget annuel d'environ 52.872€
Sur le site de la Chambre des députés, il est notamment possible de retrouver les différents rapports de la commission des comptes, notamment ceux concernant les institutions parlementaires internationales, dont l'APF fait partie.
En 2017, par exemple, bien avant la pandémie, la délégation luxembourgeoise avait notamment voyagé au Québec, à la conférence des présidents de la région Europe à Budapest, à la semaine parlementaire européenne à Paris, à la 30e assemblée régionale Europe à Sarajevo, à une réunion du réseau parlementaire de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme à Rabat ainsi qu'à une réunion du secrétariat général à Paris. Total des frais de route et de séjour: 29.638€.
L'année 2017 était également spéciale à plus d'un titre pour la section luxembourgeois puisqu'elle marquait le 50e anniversaire de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie. Mars Di Bartolomeo, député membre et trésorier de l'APF, se rappelle qu'une rue de la Francophonie dans le quartier du Ban de Gasperich avait ainsi été inaugurée. Au total, 600 personnes issues de quatre continents s'étaient rendues au Luxembourg et avaient été reçues par le Premier ministre Xavier Bettel ainsi que le grand-duc Henri. A événement extraordinaire, budget extraordinaire. Près d'1,3 million d'euros avaient ainsi été mobilisés pour organiser l'événement.
2020, année de crise sanitaire, les missions à l'étranger ont été considérablement réduites. Ainsi, sur un budget alloué de 52.872€, seuls 2.176,43€ ont été dépensés. Une somme de 15.000€ a également été dépensée pour l'organisation de conférences.
Le dernier rapport pour l'exercice 2021 a quant à lui été déposé en octobre dernier. Là encore, force est de constater que les dépenses ont été réduites à leur plus strict minimum. Sur ce même budget de 52.872€, seulement 916,95€ ont été dépensés en guise de frais de route et de séjour.